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    13/12/2017

    Il rêve d’ouvrir un centre d’archives ouvert au public pour faire vivre ses 8.000 documents

    Phan Bigotte, archiviste de la culture LGBT

    Par Manon Walquan

    Dans son pavillon de Vitry-sur-Seine, Phan Bigotte conserve la plus grande collection française d’archives consacrées aux LGBT. Livres, fanzines, vidéos… Au total plus de 8.000 pièces. Il cherche un local pour ouvrir ses archives au public.

    « J’ai commencé en allant au lieu de drague des Tuileries, où je récupérais les magazines gays laissés près des poubelles par ceux qui n’osaient pas les ramener chez eux. » A 62 ans, Phan Bigotte est le premier archiviste de l’histoire LGBT française. L’homme au corps frêle bouillonne d’énergie lorsqu’il raconte son arrivée à Paris en 1975 et la collecte de ses premiers trésors.

    Réfugié politique, le Vietnamien d’origine découvre alors la culture gay parisienne et la « culpabilité » dans laquelle vivent certains hommes, à l’époque. En 1987, il ouvre sa première librairie… qu’il doit fermer deux ans plus tard quand il apprend sa séropositivité. Cette année là, Phan Bigotte s’engage à la fois à Act-Up et Aides. Dans le même temps, il achète un grand pavillon à Vitry-sur-Seine de 300 m2. Depuis 30 ans, il y entasse la plus grande collection française d’archives ayant trait aux LGBT.

    (img) Le soldat Phan Bigotte soldat_vietnam.jpg

    D’où viennent les archives ?

    Méticuleusement, il a conservé des revues et des tickets de spectacle. Depuis ses premières balades aux Tuileries, Phan Bigotte n’a jamais arrêté de collectionner. Retraité depuis peu, il vit dans sa maison-bibliothèque dont les murs sont couverts d’étagères et d’armoires cadenassées. Le pavillon conserve près de 3.500 revues et presqu’autant de livres et de films. Il y a même quelques pièces de collections glanées sur Internet, comme le jeu « Homopolis », le Monopoly des lieux gays d’Amsterdam.

    C’est par bouche à oreille que Phan Bigotte a constitué sa collection : petit à petit, les militants ont entendu parler de sa maison et l’ont contacté. A la fin des années 80, l’épidémie du VIH ravage la communauté gay. « J’avais deux enterrements par semaine au Père Lachaise », raconte-t-il le visage sérieux. Avec la maladie, viennent les enjeux de mémoire. Personne ne sait comment le VIH se transmet. On se débarrasse à la va-vite des effets des disparus. Phan Bigotte récupère des affaires qu’on ne sait pas où mettre. Dans ces moments, c’est souvent une question d’urgence.

    Un jour, Philippe Labbey, le compagnon de Cleews Jellay, ex-président d’Act-Up immortalisé par 120 battements par minutes, l’appelle :

    « Il n’en pouvait plus. Il avait gardé toutes ses affaires pendant 10 ans. Il avait besoin d’un lieu. »

    Phan Bigotte accepte de conserver les papiers et les photos personnelles de l’activiste. Une autre fois, c’est le partenaire d’un éditeur de livres d’art décédé qui le contacte : « On est venus avec des caddies de course, on pensait récupérer quelques revues gays. En fait, on a vidé l’appartement entier. Un duplex. » Aujourd’hui, l’archiviste amateur est débordé par l’ampleur de la tâche :

    « Quand les gens nous appellent, je leur dis “c’est formidable, gardez vos affaires précieusement”. Je n’accepte de les récupérer qu’en cas d’extrême besoin, lors d’un déménagement ou d’un décès. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/archives_1.jpg

    Un aperçu du bordel chez Phan Bigotte. /

    Parfois, il refuse aussi, car les documents ne sont pas assez mis en valeur dans son pavillon :

    « Le photographe Tom Greg, qui a pris des photos historiques des années sida m’a appelé. Il voulait me donner des fonds. Je lui ai dit qu’ils ne seraient pas mis en valeur. J’ai bien fait, car ils sont finalement exposées au Mucem, à Marseille. ».

    Quand il n’a pas d’autres solutions, Phan sollicite des proches pour qu’ils accueillent des surplus qu’il ne peut conserver mais ne souhaite pas voir disparaître.

    Mais que font les autorités publiques ?

    Sa maison ne suffit plus à stocker l’énorme « fond du conservatoire des archives et de la mémoire LGBT » qu’il a créé en 2001 avec le documentaliste professionnel Thomas Leduc. « On ne peut plus circuler dans la maison », regrette-t-il. Depuis, l’archiviste négocie avec les autorités pour créer un lieu dédié à ses archives. Il est aujourd’hui las des bisbilles politiques :

    « La situation est simple : nous avons des archives, des étagères, des bibliothèques… Nous avons tout : qu’on nous prête simplement un local. ».

    Éreinté par le combat, le militant n’attend même plus de subventions : « Je suis prêt à payer l’électricité et demander de l’aide à des copains pour ouvrir ». Il faut dire qu’à Paris, le musée des archives LGBT est un serpent de mer, qui a connu moult épisodes depuis 2001. En octobre dernier, la mairie de Paris a annoncé que les archives LGBT ouvriraient leurs portes en 2020. Une éternité pour Phan Bigotte, pour qui « tout est prêt ».

    Le militant est incollable sur l’histoire des mouvements LGBT. « Il est très bavard », confie le documentaliste Thomas Leduc, alors que Phan Bigotte évoque des souvenirs de jeunesse. Soutien du collectif d’Archives LGBTI qui s’est monté cette année, Phan Bigotte donne aussi régulièrement des coups de main à des associations qui recherchent de vieux numéros de magazines. Mais faute de véritable lieu, ouvert au public, difficile de faire revivre ce fond.

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