Depuis quand le miel tient-il autant à coeur à nos chers députés ? Depuis octobre, 75 questions écrites (QE) portant sur ce seul sujet ont été posées au gouvernement. Pas vraiment une coïncidence : le 19, l’UFC Que Choisir et l’Union Nationale de l’Apiculture publiait un communiqué conjoint appelant à renforcer la traçabilité sur le miel. Un coup d’oeil sur le document suffit pour voir que les questions des députés reprennent, souvent à la virgule près, l’argumentaire de ces deux groupes d’intérêts.
Pour quantifier ce phénomène StreetPress a conçu un petit algorithme qui, grâce à la « distance de Levenshtein » permet de repérer parmis le 4579 questions écrites, posées depuis le début de la mandature, les plagiats (1). Résultat, à l’Assemblée, la machine à copier-coller marche à plein tube : notre logiciel repère 8.9% de copiées-collées (95% de similarité dans le texte) ou de questions « similaires » (70% du texte est identique). Au total, 406 questions ont été posées plusieurs fois. Le miel est donc loin d’être un cas isolé et tous les groupes parlementaires sont concernés.
Des réponses plus rapides ?
L’envoi massif de questions identiques, ou extrêmement similaires ne risque-t-il pas de ralentir le temps de réponse ? Selon le blog de L’Express, les Cuisines de l’Assemblée, c’était en tous les cas l’une des raisons qui motivait leur plafonnement à 52 QE par an et par député. En effet les ministères sont tenus de répondre sous deux mois. Passé ce délai, les groupes parlementaires peuvent signaler les questions restées sans réponse.
Mais « plus il y a de questions sur le même thème, plus la réponse sera rapide » affirme Delphine Metz, collaboratrice parlementaire du député Les Républicains, Martial Saddier. Même argument du côté de la France Insoumise. L’objectif est de « forcer le gouvernement à nous répondre », justifie François Ruffin. Les députés LFI ont ainsi posé 24 questions écrites ayant déjà une copie, dont 19 circonstanciées à leur seul groupe politique.
Mais obtenir une réponse ne semble pas être le seul objectif des députés copieurs. Reprenons notre exemple du miel. Alors que la QE avait obtenu une réponse le 5 Décembre 2017 cela n’a pas empêché six députés de la poser une nouvelle fois.
La politique du chiffre
Mais, si ce n’est pour avoir une réponse, pourquoi les députés s’amusent-ils à faire des copier-coller ? L’ancien député René Dosières, engagé en faveur de la transparence en politique, a son idée :
« Si ce n’est pas des questions financières, c’est seulement pour faire du chiffre et donner le sentiment que le parlementaire travaille. »
« La QE a ce côté clientéliste vis-à-vis des électeurs qui me déplaît », abonde l’ex-députée PS Catherine Lemorton qui tente de combattre l’influence des lobbies à l’Assemblée. Publiées au Journal Officiel, et régulièrement relayées sur les blogs et comptes Twitter des députés, les QE font aussi office, auprès du grand public, de baromètre du travail parlementaire, et ce malgré leur plafonnement.
Le site NosDéputés.fr recense l'activité des parlementaires et notamment les questions écrites. / Crédits : Nosdeputes.fr
Qui écrit vraiment les questions des parlementaires ?
Une chose est sûre, les députés font leur miel des questions écrites prémâchées. L’ancien collaborateur parlementaire Thierry Benier affirme à ce sujet « quand vous avez un bon texte, pas besoin de se casser la tête ». Même constat pour le député du Parti radical de gauche, Olivier Falorni, qui assume reprendre « les revendications ou en tout cas les argumentaires (…) quand le sujet et l’argumentation [lui] paraissent pertinents ». Interrogé sur le nombre d’apiculteurs en Charente-Maritime, son département, il concède d’ailleurs qu’il n’y en a « pas particulièrement mais je suis député de la nation ».
Or les principaux émetteurs de ces questions ne sont pas les citoyens, mais bien les lobbies. Il n’est pas rare que ceux-ci glissent des textes clés en main dans la boîte mail des députés. « UFC que choisir sont les rois des questions écrites », affirme d’ailleurs l’ex-députée Catherine Lemorton. Contactée, l’association reconnait avoir un service dédié.
La salve de mails fait généralement partie d’une stratégie de communication plus globale. Revenons encore une fois à notre exemple du miel. En octobre 2017, l’Union nationale de l’apiculture Française et l’UFC Que Choisir ont mené une opération de sensibilisation sur la question de la traçabilité du miel en France. Le but, obtenir la mise en place d’un étiquetage obligatoire détaillant le pays d’origine des miels commercialisés en France. L’opération visait en premier lieu Bruno Le Maire, ministre de l’Économie qui fait la sourde oreille.
En l’absence de réponse de celui-ci, l’Unaf a « élargi sa stratégie de lobbying » en faisant appel à son réseau de syndicats départementaux afin qu’ils envoient un email personnalisé faisant « pression sur leurs députés pour qu’ils rédigent une question écrite », explique en toute transparence Henri Clément, son porte-parole. Résultat, plusieurs pics de questions au sujet du miel publiées au journal officiel exactement aux mêmes dates : 15 le 24 octobre 2017 et 19 le 31 octobre 2017 !
Qui sont ces lobbies ?
Autre exemple frappant, celui des orthophonistes, 51 des 57 questions écrites à leur sujet se font écho du manque de rémunération dont souffre la profession dans le milieu hospitalier, et font vraisemblablement suite à une campagne de communication débutée en juin dernier, sous forme de courriers adressés directement aux députés, par la Fédération des Orthophonistes de France.
Les organisations professionnelles ne sont pas les seuls à faire du lobbying, les industriels sont également de la partie. Lors de la précédente législature, un député a reconnu que la question écrite qu’il avait posé sur le réagrément de la filière emballages, semblable à celles de ses confrères, lui avait en réalité été soufflée par Eco-Emballages. « Ce n’est pas compliqué [de déceler les copiés-collés] quand on connait le sujet, puisque c’est la position exacte de l’organisme », tacle Olivier Guichardaz, le journaliste à l’origine de ces révélations.
A la corbeille !
« Ceux qui pratiquent le copier-coller ont un vrai problème de déontologie », affirme l’ex-député PS René Dosières :
« Quand je recevais des textes pré-écrits, je les mettais directement a la poubelle. »
Il n’est d’ailleurs pas le seul. Le député LFI François Ruffin explique pour sa part que « tout mail qui n’est pas adressé à M. François Ruffin [qui serait donc parti en envoi groupé à plusieurs députés], nous n’y répondons pas ».
En ce qui concerne les copiés-collés, aucun groupe parlementaire n’est donc épargné. Or, pour l’ex-députée PS Catherine Lemorton, « ces questions viennent principalement de groupes d’intérêts très organisés » et « ne devraient même pas faire partie du travail parlementaire ». De là à poser une question écrite… sur les questions écrites, il n’y a qu’un pas.
(1) Notre logiciel ne prend pas en compte les mêmes questions posées plusieurs fois par le même député.
Enquête réalisée par Luca Eckermann, Éva Quéméré, Jeanne-Marie Desnos, Alice Hérait, Lucas Chedeville et Léa Esmery étudiants de la StreetSchool, encadrée par Nathalie Gathié. L’algorithme a été conçu par David Billamboz.
Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.
StreetPress, parce qu'il est rigoureux dans son travail et sur de ses valeurs, est un média utile. D’autres batailles nous attendent. Car le 7 juillet n’a pas été une victoire, simplement un sursis. Marine Le Pen et ses 142 députés préparent déjà le coup d’après. Nous aussi nous devons construire l’avenir.
Nous avons besoin de renforcer StreetPress et garantir son indépendance. Faites aujourd’hui un don mensuel, même modeste. Grâce à ces dons récurrents, nous pouvons nous projeter. C’est la condition pour avoir un impact démultiplié dans les mois à venir.
Ni l’adversité, ni les menaces ne nous feront reculer. Nous avons besoin de votre soutien pour avancer, anticiper, et nous préparer aux batailles à venir.
Je fais un don mensuel à StreetPress
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER