Paris, 9ème arrondissement – Mercredi 24 mars, Fatoumata est devant son ordinateur pour une réunion en visioconférence. Elle sort une liasse de billets face caméra et fait les comptes avec le groupe. Plus tard, la jeune femme aux longues rastas explique à StreetPress :
« Je compte toujours l’argent devant les adhérentes. Ça renforce les liens de confiance entre nous. »
Fatoumata, 26 ans, est aide à domicile. Il y a deux ans, elle a fondé la tontine des femmes originaires de Samécouta, au Sénégal. Les vingt participantes confient chaque mois 500 euros chacune au groupe. Le total, soit 10.000 euros, est attribué à chaque fin de mois à l’une des adhérentes. Les participantes qui ont reçu l’enveloppe continuent à cotiser et doivent attendre que les 19 autres aient bénéficié du système pour à nouveau toucher le pactole. L’affaire est une alternative au crédit des banques, enclines à la méfiance, qui refuseraient les demandes de prêt ou gonfleraient le taux d’emprunt des personnes non blanches.
Un système bien rodé
Une fois par mois, Fatoumata choisit une « créancière ». Chargée de se déplacer au domicile des épargnantes, elle récupère les cotisations et s’assure que les participantes ne manquent de rien. « J’ai commencé par le nord de Paris. Ça m’a pris une après-midi entière ! Le lendemain, j’ai fait le sud. » Ce mois-ci, c’est Aissata, une psychologue de 38 ans, qui s’y colle. La femme au tailleur vert, perchée sur des escarpins noirs, s’est rendue chez les dix-huit adhérentes en jonglant entre ses consultations en visio et la tontine.
Le jour de la réunion, Fatoumata s’assure qu’aucune des femmes ne s’est endettée pour honorer la créance. « Je leur demande si elles ont rencontré des problèmes pour avancer les fonds », dit la rastas. Elle complète:
« Si c’est le cas, je rends la cotisation. »
Une fois le tour de table terminé, place au vote. Les adhérentes inscrivent sur une ardoise le prénom de la personne qu’elles ont choisie pour empocher les 10.000 euros. La fondatrice explique :
« La tournée recommence tous les vingt mois. Avant de voter, on hiérarchise les projets de chacune du plus urgent au moins urgent, car l’épargne n’est prise qu’une seule fois. »
Ce jour-là, l’heureuse élue est Foulématou, assistante dentaire et mère de 33 ans. « Je vais acheter une voiture », dit la jeune femme à l’afro soigné. Elle ironise: « fini les transports en communs avec les enfants ».
Discrimination bancaire
Fatoumata a décidé de monter cette tontine en 2015. Cette année-là, le père de la jeune entrepreneure tombe malade au Sénégal. Elle fait une demande de crédit à la conso de 800 euros auprès de sa banque, pour financer ses soins. Demande refusée. « Sans garanti que vous ne resterez pas au Sénégal, je ne peux pas vous accorder le crédit », lui répond la banque. Née à Paris, Fatoumata habite et travaille en France depuis toujours. Elle touche 1.500 euros net par mois. À l’époque, elle est hébergée chez sa tante et assure ne pas payer de loyer. Mais elle s’est vu refuser le crédit :
« J’ai été victime de discrimination. Aujourd’hui, faute de soins, mon père est mort. »
Foulématou, l’assistante dentaire complète : « On est des mères de famille, des étudiantes, des salariées et des entrepreneures. On est là aujourd’hui car on a été, à un moment donné, victime de discriminations bancaires. La tontine nous sauve. » Si Fatoumata a décidé de réserver cette tontine aux femmes, c’est pour qu’elles soient les seules maîtres de leur projet :
« L’indépendance financière est primordiale. Puis à la maison, c’est nous qui gérons le foyer. »
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