« Il est hors de question que je discrimine les bacs pros donc j’ai refusé de participer à ce classement absurde », s’insurge Antoine (1) professeur de l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspe) de Créteil (94). Depuis une quinzaine de jours, un vent de colère souffle sur l’établissement. Les enseignants dénoncent les critères de sélection des candidats au Master 1 MEEF, qui forme les futurs professeurs des écoles. Depuis deux ans, les candidatures des étudiants qui veulent poursuivre leurs études après une licence s’effectuent sur la plateforme Mon Master et chaque formation est dans l’obligation d’établir un classement. StreetPress a pu consulter la grille de notation qui permet de sélectionner les étudiants : Moyenne générale, parcours de licence, lettre de motivation et… filière du bac : si l’étudiant a fait un bac général, il obtient 14 points, pour un bac pro, quatre points seulement.
Le bac pro considéré comme un « sous bac »
« Il semble y avoir une erreur dans le tableau des critères de sélection : la note attribuée à une personne ayant un bac général est 14 tandis qu’elle est de quatre pour une personne ayant un bac pro ». Sébastien (1) est le premier enseignant à s’indigner des critères de classement dans un mail adressé à ses collègues et à plusieurs responsables de l’Inspe le 15 mai dernier. « Notre institution étant bien entendue favorable aux discriminations positives et non l’inverse, il va de soi que les notes ont été échangées n’est-ce pas ? », demande-t-il dans la boucle de mail à laquelle StreetPress a eu accès. Le responsable qui lui répond, assure que les bacs pros ne sont pas pénalisés mais « qu’au regard des contenus de notre Master, un parcours qui n’aurait pas permis de développer certaines connaissances et compétences […] pourrait les envoyer en position d’échec ». Une posture confirmée par la directrice provisoire de l’Inspe à StreetPress :
« D’expérience, on sait que les étudiants venant de bac pro se retrouvent en difficulté dans nos formations et réussissent beaucoup moins le master que les autres. »
« Avec Mon Master, il a fallu trouver des critères de classement au regard des besoins de la formation, ce qui n’était pas le cas avant », explique Sophie Renaut. Si plusieurs professeurs assurent à StreetPress n’avoir jamais été mis au courant de ces critères « imposés sans discussion collective », la directrice affirme elle, que la grille a été établie par un « collectif de formateurs et d’enseignants » qui ont « repéré les types de profils, de parcours scolaire qui réussissent plus ou moins, pour pouvoir les classer ». « Ce sont des critères locaux », décidés et mis en place par l’Inspe de Créteil, indique-t-elle.
La grille de notation qui permet de sélectionner les étudiants. / Crédits : DR
Un argument qui n’a semble-t-il pas convaincu l’ensemble du corps enseignant. Dans un communiqué diffusé le 21 mai en interne, l’intersyndicale s’insurge :
« Malgré tous les beaux discours pour revaloriser les bacs professionnels, la sanction tombe : le bac pro est un “sous-bac” ! »
Sur la centaine de personnes chargée de noter les futurs candidats pour les classer sur la plateforme, 28 profs ont refusé en voyant les critères, rapporte Sophie Renaut, la directrice provisoire de l’Institut.
Un critère qui « favorise les favorisés »
« Comment un institut où l’on forme les futurs professeurs peut-il véhiculer de tels clichés alors qu’il devrait former les futurs enseignants à s’en défaire ? », soutient Éric (1), dans un mail du 25 mai qui interpelle la directrice.
Parmi les nombreux critères établis dans le droit français et européen comme relevant d’une pratique discriminatoire (âge, sexe, apparence physique,…), le niveau ou parcours scolaire n’y figure pas. Cette notation n’en reste pas moins inégale pour plusieurs membres de l’équipe éducative : « C’est de l’injustice et c’est révoltant », réagit un professeur contacté par StreetPress. « Je ne bosse pas pour favoriser les favorisés et exclure les défavorisés », défend un autre. « Je pense qu’il faudrait qu’on prenne leurs notes de CP/CE1 pour voir s’ils ont appris rapidement à lire ou pas ? », ironise quant à lui Sébastien (1).
De son côté, Sophie Renaut reconnaît cette « injustice », mais assure que « peu importe les critères, tous les étudiants seront pris ». Dans un contexte où les métiers de l’enseignement attirent beaucoup moins, l’Académie de Créteil peine à trouver ses étudiants en MEEF. « On a plus de places que de candidats », déplore la directrice. D’après elle, sur les 1.327 candidatures pour le cursus en présentiel, 6% sont des étudiants issus de bacs pros et pour le cursus en semi-présentiel, ils sont 18 sur les 227. Elle assure que quatre d’entre eux sont classés dans les 50 premiers et qu’aucun ne se trouve en bas du classement.
L’année prochaine, dans le cadre d’une réforme, les candidatures ne passeront plus par Mon Master, seuls les étudiants lauréats du concours de leur dernière année de licence auront une place en Master MEEF.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
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