Il est 15h57 ce samedi 26 août 2023 quand Béatrice A. se rend au commissariat de police d’Aix-les-Bains (73). La femme de 61 ans vient déposer plainte contre X pour violences. Elle se dit victime de « violentes humiliations mentales », de « violences physiques volontaires, répétitives, malveillantes, insistantes » et « d’asphyxies répétitives par coussins ». La veille, elle est arrivée au petit matin avec 11 autres personnes dans un gîte perché en plein cœur du parc naturel des Bauges en Haute-Savoie pour participer à un stage de « libération émotionnelle par la voix » organisé par l’association Liyelo. Elle ne s’attend pas à ce qu’elle va vivre.
Dès le premier jour, des duos sont formés parmi les participants qui doivent « lister I’ensemble des éléments qui le rendent “inférieur” aux autres », d’après le procès-verbal de dépôt de plainte. Des volées de « je suis un gros paresseux », « je suis une grosse merde », « je me sens nulle » hurlées par des personnes « en transe et dégoulinant de sueur », rapporte Béatrice. La sexagénaire ne se prête pas à l’exercice. Dès lors, raconte-t-elle à la police, les encadrants l’ont « obligée » à raconter le suicide de son mari et l’ont entourée : « L’un des participants, assez fort […], avec un encadrant […], m’a prise en étau pour m’étouffer. L’un était derrière moi, I’autre devant, et ils se sont serrés contre moi […], pour m’étouffer et pour me faire crier […] Je suffoquais. Pour me défaire, j’en ai mordu un […] au niveau du pectoral gauche. Ils ont fini par me lâcher mais une encadrante […] est arrivée. » Celle-ci se serait alors allongée sur Béatrice, demandant au binôme de faire de même, et lui aurait infligé des « asphyxies répétitives par coussin ». Dans un souffle, Béatrice avoue :
« Je me suis vue mourir une deuxième fois. »
Sans nier les faits et se disant « vraiment désolé » que Béatrice ait « eu peur », l’organisateur Thierry C. limite dans un premier temps leur portée au téléphone :
« Si elle dit : “Je ne pouvais plus respirer”, bah c’est pas vrai. Elle a respiré. Je veux dire, de quoi on parle ? Quelqu’un qui ne peut plus respirer, il meurt. Donc ça n’a pas été le cas. »
Un musicien au surnom sioux
Au téléphone, sitôt cette phrase sortie à StreetPress, Thierry C. rétropédale et présente des excuses à de multiples reprises, ce qu’il avait déjà fait par message auprès de Béatrice. L’organisateur, qui se fait appeler Wambli – « l’aigle » en lakota, principal dialecte sioux –, insiste sur le fait qu’en 17 ans de pratique personne ne l’a poursuivi en justice.
Lors de son premier contact téléphonique avec Béatrice, trois mois avant le stage, il lui déroule son CV de musicien et d’ancien professeur au conservatoire d’Aix-les-Bains et de l’école de musique d’Albertville (73). De quoi rassurer la cadre de haut niveau, passionnée de chant pour avoir fréquenté les conservatoires de Vienne (38) et de Lyon (69). Depuis quelques années, sa voix est enrouée, et c’est en cherchant un moyen d’y remédier qu’elle tombe sur le site internet de Liyelo. Thierry C. cultive pourtant le flou sur ses méthodes : s’il garantit que le stage répondra aux besoins de Béatrice, il ne dévoile pas sa méthodologie. Tous les participants du weekend confirmeront la nécessité de la garder secrète. L’une d’elles précisant à StreetPress que l’organisateur a « clairement dit de ne jamais raconter ce qui se passe là-bas ».
L’organisateur, qui se fait appeler Wambli, « l’aigle » en lakota, principal dialecte sioux, insiste sur le fait qu’en 17 ans de pratique personne ne l’a poursuivi en justice. / Crédits : Léa Guiraud – Kiblind
S’il comprend que cela puisse paraître suspect, Thierry C. assure que le mystère permet d’amener les participants « à une libération, à quelque chose auquel ils ne s’attendent pas ». Surprise bien présente chez Béatrice dès la première heure du séjour : « Personne n’est venu pour chanter et les stagiaires s’assoient en rond, beaucoup se disent en dépression ou sous médoc. » Certains confient à StreetPress avoir subi des viols au cours de leur vie, d’autres, être en situation de rupture au moment du stage.
Caresses et vision du genre conservatrice
Dès le début du stage, l’organisateur demande aux participants de s’allonger en position fœtale et de « contacter le bébé qui est en eux », avant de se transformer en animal de la jungle. Ensuite, Thierry « Wambli » aurait commencé à avoir des gestes « très tendancieux », selon Béatrice. Sans que cela n’apparaisse dans le dépôt de plainte, elle lui reproche de « caresser les bras, le ventre, le visage », tout en disant : « Tu es belle. » D’après Béatrice, il aurait fait allusion aux attributs féminins toute la journée en prononçant des phrases comme :
« Pour vous les femmes, il est temps de se recentrer sur votre utérus, d’aller en quête de votre féminin sacré. »
À l’écoute de ce récit, Thierry « Wambli » explose de rire avant que la mémoire ne lui revienne : « Ah ! Il peut arriver que je dise parfois que le centre de créativité de la femme, c’est son utérus. C’est un lieu qui, à mon avis, est riche de connexions pour sentir son pouvoir qui commence d’abord par le fait de faire des enfants. » Une vision du genre conservatrice qu’il développe dans d’autres stages dédiés aux « archétypes du féminin et du masculin ». Quant aux caresses, il ne s’agirait pas, selon lui, de « plaisir libidineux » mais « d’un geste d’affection plus que bienvenu quand quelqu’un vient de traverser un océan de colère ou de tristesse ». Il affirme avoir le même comportement avec les hommes.
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« Ça a été beaucoup trop loin »
Vient ensuite l’exercice où Béatrice a cru s’étouffer. Au moment des faits, lui est dans la même salle mais avec un autre binôme : « J’étais occupé de manière importante avec quelqu’un et je ne pouvais pas lâcher cette personne donc j’ai manqué de vigilance pour voir que, peut-être, il y avait quelque chose qui se passait mal à côté. » Au téléphone, le premier assistant visé par Béatrice récuse quant à lui la version de la cadre et raconte plutôt l’avoir « enserrée ». « Là le but ce n’est pas d’étouffer la personne, mais qu’elle trouve l’énergie de se dégager par la voix. Et elle l’a très bien fait », justifie-t-il d’une voix sereine. De son côté, le binôme de la victime confie à StreetPress qu’il n’a « pas été d’accord avec les assistants sur cet exercice ». Il ajoute : « Pour moi, une personne qui dit non, c’est non ». Il se serait alors mis en retrait en voyant que cela allait « beaucoup trop loin ». Questionné à ce propos, l’assistant en question admet pourtant aller parfois « beaucoup plus loin avec des personnes qui sont vraiment en résistance ».
Quant à l’assistante accusée par Béatrice de lui avoir causé des « asphyxies répétitives par coussin », Thierry C. a résumé sa position par mail. Celle-ci serait allée « aider le binôme, et voyant que Béatrice avait du mal à contacter une quelconque émotion », elle lui aurait « proposé un exercice similaire mais allongé, cette fois-ci, sous une couverture. Cet exercice commence doucement et contraint de plus en plus pour aider et provoquer la libération. Pour ce faire, elle s’est allongée sur Béatrice », écrit l’organisateur au surnom sioux. L’assistante assure à Thierry C. avoir arrêté quand Béatrice s’est trouvée « dans un grand inconfort ». Contactés, quatre participants ont refusé de parler à StreetPress et quatre ont nié avoir assisté à des scènes de violences. Beaucoup évoquent la bienveillance du dispositif et à quel point il a changé leur vie.
Saisine du parquet par la Miviludes
En plus de sa plainte, dont l’enquête a été redirigée vers le parquet d’Annecy le 5 mars dernier, Béatrice a également alerté la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). L’organisation a adressé un signalement au procureur de la République de Lyon, qui n’a pas répondu aux questions de StreetPress.
Entre 2015 et 2021, la Miviludes a pointé la hausse significative des signalements pour dérives sectaires (à 86%). Un quart concernait le domaine de la santé et du bien-être. D’après l’Ordre des médecins, une dérive thérapeutique est définie comme une pratique non fondée sur les données actuelles de la connaissance scientifique et par la mise en danger de la personne. La pratique de Thierry C. joue d’une ambiguïté : il ne s’agit, selon lui, ni d’un stage de chant ni d’une thérapie. « L’aigle » se dit simplement « accompagnant » et ne peut justifier que de 38 jours de stages de formation non qualifiante. Sa motivation première ? « Redonner confiance, que les gens puissent oser être qui ils sont. »
Il assure faire cela par « passion de l’être humain ». Une passion qui se monnaye pourtant. Le stage coûte entre 400 et 560 euros par personne, selon le module. En 2024, il en avait planifié sept de ce type. Il n’a pour l’instant pas prévu de mettre un terme à son activité, de prochaines dates sont répertoriées sur son site.
Illustration de Une par Léa Guiraud-Kilblind.
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