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    15/05/2025

    « On pose des micros, ou des caméras ? »

    Filatures et caméras, l’université Paris-Nanterre a espionné des syndicalistes étudiants

    Par Romain Ferrier

    C’est une affaire ubuesque. Agacés par l’occupation d’un bâtiment par des étudiants de l’UNEF, les services de sécurité de l’Université Paris-Nanterre ont acheté des caméras-espions, fait suivre des étudiants et même envisagé de poser des micros.

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    Janvier 2022, la direction de la sûreté et de la sécurité incendie (DSSI) de l’Université Paris-Nanterre convoque une réunion de crise. Depuis octobre 2021, le bâtiment B est occupé par les « sans facs » – des bacheliers sans affectation cornaqués par l’Union nationale des étudiants de France (UNEF). La mobilisation s’éternise au grand dam des responsables de la sécurité, qui semblent prêts à tout pour les faire partir, y compris mener des actions illégales. « On pose des micros, ou des caméras ? », questionne placidement ce jour-là Jean-Luc P., numéro deux de la DSSI. Sa supérieure directe, Yasmina S., ne pipe mot. Elle est, de l’avis de plusieurs sources, la plus remontée contre les étudiants. C’est Samir (1), chef de site pour l’entreprise de sécurité prestataire qui aurait refusé d’obéir à cette consigne illégale :

    « Perso, je ne peux pas le faire, c’est ma carte professionnelle qui va sauter. »

    En juillet 2024, il a accepté de témoigner par écrit dans le cadre d’une procédure disciplinaire visant neuf militants ou anciens militants de l‘UNEF Nanterre. Samir s’est aussi confié à StreetPress. Il met gravement en cause la direction de la sécurité. Il dénonce « des pratiques jamais vues en une dizaine d’années de métier » :

    « On m’a demandé de mettre des micros dans les lieux d’occupation afin d’écouter les conversations de l’UNEF. »

    Il aurait refusé. La direction de la sécurité n’aurait pas essayé de lui forcer la main, sans pour autant renoncer au projet, déclarant qu’elle allait adresser sa requête directement à l’entreprise qui salarie Samir. Rien ne permet, à ce jour, d’affirmer que des micros ont été placés, mais plusieurs indices laissent à penser que le projet d’espionnage des syndicats pourrait bien avoir été mis à exécution.

    C’est une bourde des services comptables de l’université qui va révéler le pot aux roses. En mars 2024, en amont d’une commission budgétaire, ils mettent par inadvertance à disposition des élus étudiants de l’UNEF, un bilan comptable. Celui-ci révèle que « deux nano caméras » ont été acquises en janvier 2023, pour 201,79 euros. À quelles fins ? Mystère… « En tapant “nano caméras” sur Internet, j’ai vu que c’était l’autre nom des caméras espions », raconte encore estomaqué le président de l’UNEF, Victor Mendez. Ce même bilan comptable mentionne, sans plus de précision, deux « dossiers » au nom de leaders syndicaux (Victor Mendes et Mickaël Musto), facturés par un prestataire inconnu, de respectivement 967 euros et 2.740 euros. S’agit-il là encore d’une prestation de surveillance ? Tous les fantasmes sont permis… D’autant que quand le syndicat étudiant a interpellé l’université sur ces dépenses, elle s’est murée dans le silence, se contentant de supprimer le fichier comptable de la plateforme en ligne où il était, et de le remplacer par un autre, sans les détails des dépenses. Questionnées par StreetPress, ni la directrice de la sûreté ni la présidence de l’université n’ont répondu.

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    En mars 2024, les services de l'université Paris-Nanterre mettent par inadvertance à disposition des élus étudiants de l’UNEF, un bilan comptable. Celui-ci révèle que « deux nano caméras » ont été acquises en janvier 2023, pour 201,79 euros. / Crédits : Caroline Varon

    Fichages et filatures

    Plusieurs agents de sécurité s’insurgent, car, selon eux, les lignes rouges ont été allègrement franchies. Employé en qualité de vigile sur le site de l’université, Ahmed (1) témoigne comme son collègue Samir des demandes clandestines émises par Yasmina S. En particulier celle d’une utilisation frauduleuse des caméras de vidéo-protection. « Chaque entrée des militants était épiée, notamment en utilisant les caméras de l’université qui donnent sur la gare Nanterre-Université et le campus », critique-t-il. Une pratique illégale, d’autant plus qu’« aucun panneau n’indique que le site est sous vidéosurveillance », note Ahmed (2).

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    Yasmina S., la responsable de la sûreté de l'université Paris-Nanterre, aurait demandé à ses agents de prendre en filature des militants de l’UNEF. / Crédits : Caroline Varon

    Les vigiles devaient aussi, selon lui, systématiquement prendre en photo ou en vidéo avec leurs smartphones les membres du syndicat pour informer la directrice de tous leurs déplacements. « C’est illégal, mais si tu refuses, tu es viré direct ! », s’insurge Ahmed :

    « [Le service sécurité] demandait même de suivre les militants jusqu’aux toilettes. »

    Noa T. et Hajar A., militantes à l’UNEF, racontent avoir été victimes de ce harcèlement. « Durant l’une des épreuves, lorsque je suis sortie de la salle, l’un des vigiles m’a suivie jusqu’aux cabinets », détaille la seconde. Des vidéos et un constat d’huissier, réalisé à la demande du syndicat étudiant, font même état de restrictions d’accès à certains bâtiments, illégales. « Depuis le 2 mai 2022, première semaine des examens, les étudiants syndiqués UNEF Nanterre se voient refuser l’accès aux bâtiments de l’Université Paris-X-Nanterre », peut-on lire dans le constat d’huissier. « Ces restrictions ne sont dues qu’à l’appartenance syndicale de ces étudiants. » Des pratiques confirmées par Samir, l’ancien chef de site :

    « [La direction de la sûreté] nous informait lorsqu’il fallait les laisser entrer dans les bâtiments, lorsqu’ils allaient à leurs cours ou à leurs examens, car elle empêchait leur libre circulation dans les bâtiments [le reste du temps]. »

    Auprès de StreetPress, il dévoile l’enregistrement d’une conversation téléphonique avec Yasmina S. La responsable de la sûreté lui demande de prendre en filature les militants de l’UNEF. « Je vous ai demandé de rester avec eux ! » Samir refuse et rappelle que la loi interdit de mettre en place une surveillance sur la base d’opinions politiques ou d’appartenances syndicales. Au bout du fil, la responsable hurle :

    « Je me fous de votre article [de loi] ! »

    Obsédés, semble-t-il, par la surveillance des syndicalistes turbulents, la responsable de la sûreté et son équipe vont, pendant l’occupation, jusqu’à bloquer les issues qu’ils ne peuvent pas contrôler. Un matin de décembre 2021, les occupants sont réveillés à cinq heures par le bruit des visseuses sans fils des agents venus condamner certaines fenêtres. Plus tard dans le mois, une voiture de fonction est garée devant la seule issue de secours disponible aux occupants pour empêcher son ouverture. Des méthodes illégales, mais aussi dangereuses en cas d’incendie.

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    Pendant une occupation des étudiants, la responsable de la sûreté et son équipe seraient allées jusqu’à bloquer les issues qu’ils ne pouvaient pas contrôler. / Crédits : Caroline Varon

    Plus trivial, alors qu’en décembre 2021, le mercure flirte avec le zéro, l’université va couper le chauffage dans le bâtiment B occupé. « En plein hiver », s’étrangle Victor Mendez, le président de l’UNEF :

    « Ce sont des méthodes de mafieux ! »

    Samir attribue ces actions à la responsable de la DSSI de l’université Paris-Nanterre. « La police, le juge à l’université, c’était Madame S., elle faisait sa loi », soupire l’ancien chef de site.

    Des méthodes toujours d’actualité

    À la suite d’un nombre anormalement élevé d’arrêts de travail des agents de sécurité, une enquête avait été demandée à un fonctionnaire du ministère de l’Éducation nationale (3). « Vers le mois de mars [2022], nous avons été reçus par le ministère de l’Éducation nationale […] sur des dysfonctionnements au sein des services de sécurité de l’université », relate Samir. Il assure avoir, à cette occasion, remonté les problèmes, sans plus de détails. Un rapport d’enquête a, selon nos informations, été remis à la direction de l’université. StreetPress n’a pas pu le consulter. Contactés, le rapporteur de la mission et l’ancienne directrice générale des services, en poste au moment des faits, n’ont pas souhaité communiquer dessus. Impossible donc d’en connaître la teneur et, à notre connaissance, aucune mesure particulière n’a été prise depuis.

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    Deux agents de la sécurité de l'université Paris-Nanterre se sont confiés à StreetPress, sous couvert d'anonymat. / Crédits : Caroline Varon

    Pire, ces méthodes de barbouzes semblent avoir encore cours à Nanterre. En atteste une série de messages que StreetPress a pu consulter – toujours formulés de la même manière – envoyés sur le groupe WhatsApp de la sécurité les 21 novembre 2024, 21 janvier et 30 janvier 2025 :

    « Bonjour, consigne UNEF […] : Merci de signaler immédiatement au chef de site la position des membres de l’UNEF s’ils arrivent dans vos bâtiments. »

    L’UNEF annonce vouloir porter plainte. Contacté par StreetPress, le service communication de l’université et le ministère de l’Enseignement supérieur n’ont pas répondu à nos sollicitations. Yasmina S., la directrice de la DSSI, son adjoint et le prestataire de sécurité n’ont pas non plus répondu à nos questions.

    (1) Le prénom a été modifié.

    (2) StreetPress s’est rendu sur place et n’a pas non plus vu de panneau indiquant la présence de caméras. Il n’en est pas non plus question dans le règlement intérieur, les statuts ou les chartes de l’université.

    (3) Bien que l’université dépende du ministère de l’Enseignement supérieur, le fonctionnaire qui a mené l’enquête est rattaché à l’Education nationale.

    Illustrations de Caroline Varon.

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