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    11/06/2025

    Formations souvent inexistantes, école à 13.000km, paradis fiscal…

    Le business lucratif des fausses écoles à conventions de stage

    Par Gaspard Couderc

    Des écoles promettent des conventions de stage en un temps record et pour quelques centaines d’euros à des jeunes qui recherchent un stage, parfois déscolarisés et en quête d’expérience. Enquête sur le business de ces formations en ligne.

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    Qui n’a jamais été stagiaire ? Depuis des années, le nombre de ces travailleurs bon marché ne cesse de progresser en France. Au mitan des années 2000, il y en avait 800.000 dans l’Hexagone. À peine cinq ans plus tard, le chiffre avait déjà doublé. Il tournerait aujourd’hui autour des deux millions. Et 91 % des diplômés BAC+5 ont été stagiaires. Dans ce milieu où se côtoient simple découverte d’un milieu professionnel et travail déguisé, voilà une décennie que des établissements d’un genre nouveau ont ouvert. Ils proposent à des jeunes déscolarisés des conventions de stage en un clic ou presque, pour un prix oscillant entre 200 et 500 euros, le tout envoyé parfois en « moins de 24 heures ». Reconnaissables à leurs réclames savamment agressives, ces organismes s’appellent Edu Business Institute, W-Eduu Business School, FacForPro, Paris Executive Business School ou BeStudentAgain.

    Leur stratégie bien rodée fonctionne comme n’importe quel site marchand, où l’étudiant est un client comme un autre, qui dispose d’un choix presque démesuré de formations : marketing, communication, droit, audiovisuel, journalisme, immobilier, architecture… Avec ces écoles et leurs conventions payées, il est théoriquement possible de faire un stage dans la plupart des entreprises. À supposer qu’elles acceptent le sésame un brin galvaudé. Une grande partie des élèves interrogés par StreetPress évoquent un « mal nécessaire », sans lequel il serait tout bonnement impossible d’avoir « de l’expérience ». Ce qui, mécaniquement, les poussent à accepter de payer pour travailler, parfois pour des organismes étatiques. Un système qui a même été expérimenté par l’auteur de ces lignes. En face, les structures – dont au moins trois sont basées dans des paradis fiscaux – tirent profit de cette situation. Contacté à maintes reprises, le ministère de l’Enseignement supérieur n’a pas souhaité répondre à nos questions.

    Un modèle pérenne

    Pour Valentine (1), c’est l’urgence qui a guidé son choix : « Après avoir quitté la fac de droit, j’ai été prise en stage chez Chanel, j’avais donc besoin d’être conventionnée », explique la vingtenaire, qui a choisi BeStudentAgain. Après s’être acquittée des 210 euros de frais de scolarité, la voilà inscrite par l’école… en Afrique du Sud, à la East London University, à 13.000 kilomètres de son domicile. À cette distance, elle n’a évidemment assisté à aucun cours ou examen dans cette école qui existe pourtant – et qui n’a pas souhaité répondre « à un média français ». Si la jeune femme y voit une « formation fantôme », le modèle n’a pourtant « posé aucun problème ni à Chanel ni au magazine dans lequel j’ai travaillé par la suite ». Sophie (1), elle, a pu faire un stage de trois mois dans la fonction publique, lié au ministère de la Culture. Elle refuse de donner le nom pour ne pas vouloir « les exposer d’une quelconque façon », preuve du malaise qui règne entre les différentes parties de ces accords.

    Nour (1), 26 ans, a eu recours en 2022 à un autre de ces organismes, la Edu Business Institute. « J’étais hors des délais à la fac pour obtenir une convention », se remémore-t-elle. « Mon maître de stage m’a parlé tout naturellement de ces organismes. » L’apprentie avocate a payé 250 euros pour aller en stage dans un cabinet, qui l’a prise « sans rechigner et deux fois de suite ». Quant à la formation :

    « J’étais inscrite en formation droit international, mais pour être honnête, je n’ai suivi les cours qu’une ou deux fois, car ils ne sont pas actualisés, ils ne reprenaient pas les nouvelles réformes et traités. Tout était optionnel, c’était des vidéos ou des PDF mis à disposition sur la plateforme. »

    Une thèse que réfute le directeur général d’Edu, également préposé au « service client » qui, s’il admet offrir une formation « non diplômante », évoque tout de même « un suivi », notamment via « des contrôles et des quiz ». « Une obligation », selon lui. Un encadrement pour le moins nébuleux dont n’a pas pu profiter Leïla (1), 23 ans, stagiaire chez Webedia en tant que community manager grâce à une convention également estampillée Edu : « Je n’avais aucun accompagnement au niveau des cours, j’étais totalement libre de les lire ou non. » Du côté de chez W-Eduu Business School, une autre de ces écoles, la note paraît encore plus salée, raconte Sarah, la vingtaine, stagiaire monteuse chez Webedia elle aussi :

    « C’est de l’arnaque. Tu paies ta convention 200 euros – soi-disant une promotion – et tu n’as ni carte étudiante ni cours, on m’avait dit qu’il y avait une plateforme, mais je n’en ai jamais vu la couleur. Après m’avoir donné ma convention, ils n’ont plus jamais répondu à mes mails, c’était silence radio pendant six mois. »

    Publicité bien ordonnée et paradis fiscaux

    Des mois plus tard, sur la page d’accueil de W-Eduu Business School, la grande promotion qui promet une convention à « 199 euros seulement » est toujours bien présente. Ça fait même des mois qu’elle est disponible pendant encore seulement deux jours… Sur le site d’Edu Business Institute, dont le site reprend trait pour trait celui de W-Eduu, le tarif est également écrit en gros caractère – 299 euros la convention. En dessous, il est impossible de rater l’encart qui renvoie vers un article du Figaro Etudiant et vante évidemment les mérites de leurs conventions de stage. Un gage de respectabilité pour n’importe quel jeune qui aurait une once de doute. Seulement, il s’agit d’un « contenu publi-éditorial… proposé par Edu Business Institute », auquel « n’a pas participé la rédaction du Figaro Etudiant ». Un énième tour de passe-passe. L’école propose même un service VIP plus cher qui, au lieu des 24 à 48 heures de délai habituel pour obtenir une convention, vend une livraison « en deux heures ouvrées ».

    Pas mal pour une école qui, comme W-Eduu Business School, a établi son siège social à Dubaï. L’eldorado des influenceurs y pratique une absence totale d’impôt sur le revenu. Les deux entreprises à conventions sont voisines et sont domiciliées dans le quartier Digital Park, à la Silicon Oasis de Dubaï, à côté d’une société émirati de fret qui achemine du pétrole russe. Interrogé sur cette adresse, le directeur général d’Edu commente laconiquement :

    « On faisait de la formation à Dubaï, donc on s’est installé ici. »

    Chez BeStudentAgain, les courriers vont plutôt du côté des Etats-Unis et plus précisément dans le Wyoming, un État qui fait partie des taux d’imposition les plus faibles du pays, souvent considéré comme un paradis fiscal. Sollicitées, cette dernière, ainsi que W-Eduu, n’ont pas répondu à StreetPress.

    Pignon sur rue en France

    Dotée d’une adresse parisienne, la Paris Executive Business School (PEBS) promeut peu ou prou le même système que ses homologues, la domiciliation exotique en moins. Attiré par ce vernis de respectabilité, l’auteur de ces lignes y a souscrit trois fois, bénéficiant d’un « rabais » pour la dernière. Signe de la bonne réputation de cet organisme, trois rédactions renommées l’ont accepté. Une seule a retoqué la convention, car elle n’acceptait « aucun stagiaire provenant de cet organisme privé d’enseignement à distance », vu que « ce dernier ne délivre pas de diplômes ou de certifications qualifiantes ». La directrice pédagogique, Maria Pouloudi, soutient pourtant être en adéquation « avec des exigences pédagogiques » : « PEBS est un organisme privé d’enseignement supérieur à distance enregistré et sous contrôle pédagogique du Rectorat de Paris depuis sa création en 2014. L’objectif principal de notre établissement est de favoriser l’insertion professionnelle de nos étudiants et de les engager vers la voie entrepreneuriale. » Cependant, mis à part des mails envoyés chaque semaine, aucun réel suivi n’est à noter. Sophie, dont la convention a été acceptée dans un organisme culturel public, ne dit pas autre chose :

    « On n’est tenu de rien, il n’existe aucune obligation de suivre les cours. »

    Le cas est un peu différent à FacForPro, une école créée en 2014. Outre une certaine habilité pour vendre des conventions de stage « en 24 heures », les élèves peuvent venir y suivre des cours en présentiel, en plus du e-learning généralisé, une fois la convention obtenue. À l’inverse des autres écoles, les élèves sont assurés lors de leurs stages « au titre de l’URSSAF », explique la directrice Caroline Barnaud, qui tient au téléphone à souligner la particularité de son établissement :

    « Même s’il y a sûrement des gens qui dévoient le système, ce n’est pas la majorité qui s’inscrit juste pour la convention de stage. »

    Tout juste reconnaît-elle pratiquer une « communication agressive », à l’instar de « toutes les écoles privées qui en font un business, à partir du moment où il y a des frais de scolarité ». Cependant, elle tient à préciser que l’accompagnement est sérieux : « On a un vrai suivi : au bout de trois absences aux cours par exemple, il y a un avertissement. On a aussi des tuteurs de stage et les élèves sont évalués à la mi-stage. » Avant même la publication de l’article, la directrice a pourtant vitupéré sur des propos qui auraient été « sortis de leur contexte ». Un procédé qui nuirait « gravement à la compréhension du sérieux et de la réalité de nos formations ».

    (1) Les prénoms ont été modifiés.

    Illustration de Une de Yann Bastard.