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    13/11/2025

    Le grand remplacement des signatures

    Reçu par la commission « anti-LFI », le rédac chef de « Frontières » accusé d'avoir signé des papiers qu’il n’a pas écrits

    Par Lou Brayet , Mathieu Molard

    Jules Laurans est à la manœuvre de certaines enquêtes du média d’extrême droite « Frontières », qui lui ont valu une invitation en novembre à l’Assemblée. Problème : il se serait approprié celle sur le média rap, Booska-P, au détriment d’un pigiste.

    Moustache taillée, chemise boutonnée, raie au milieu : Jules Laurans, rédacteur en chef du trimestriel d’extrême droite « Frontières », s’est présenté sous son meilleur profil pour sa venue à l’Assemblée nationale. L’institution l’a reçu ce mercredi 5 novembre dans le cadre de sa commission d’enquête sur les liens entre mouvements politiques et organisations islamistes. Connue comme la « commission anti-LFI », elle est menée par le député de droite Xavier Breton (LR) et d’extrême droite, Matthieu Bloch (UDR) (1).

    Pendant plus d’une heure, les élus ont interrogé Jules Laurans sur sa publication ayant accusé une trentaine de maires d’être des « collabos » et des « complices de l’islamisme » (2). Une attention institutionnelle surprenante pour le plumitif d’un média souvent épinglé pour ses écarts déontologiques. Un ancien pigiste de Frontières, l’accuse même d’avoir signé des articles qu’il n’a pas écrits.

    Un pigiste en colère

    En juillet 2024, dans son quatrième numéro, « Frontières » publie une enquête sur Booska-P, « au cœur du média des banlieues ». Deux papiers dans lesquels il accuse en vrac le site de référence sur le rap de tenter « d’islamiser » la France, d’être complaisant avec l’antisémitisme ou d’être anti-police. Les articles, disponibles en ligne, sont signés par Jules Laurans… qui n’en serait pas l’auteur. Le véritable rédacteur, le pigiste Aurélien B., dénonce la supercherie dans un thread X publié le 17 août 2025.

    « Ni le sujet, ni le plan, ni rien du tout, ne sont de lui », écrit-il. Ce que semblent confirmer des messages que StreetPress a pu consulter. En mai 2024, Jules Laurans fait par mail quelques retours à son pigiste et lui recommande d’« éviter de mettre trop d’opinion ». Le rédacteur en chef du « Mediapart de droite » autoproclamé, lui conseille ensuite de « donner un style un peu d’investigation » mais n’aurait rien écrit lui-même. À peine change-t-il quelques formulations ici et là.

    À LIRE AUSSI : Le fiancé fan du IIIe Reich de Louise Morice, l’égérie du média « Frontières »

    Le 16 juin 2024, l’enquête est prête. Jules Laurans demande à son pigiste une co-signature au motif d’assurer sa « promotion » sur les réseaux sociaux et plateaux télé. Aurélien accepte. Mais surprise quand le mag sort en kiosque : Jules Laurans signe seul. Pour appuyer une connaissance du sujet qu’il s’attribue, Jules Laurans a d’ailleurs posé dans un des numéros de « Frontières » en survêtement Adidas, affalé dans un fauteuil rouge, se présentant comme « fan de rap ». Du côté de « Frontières » on a une autre lecture de l’affaire : Aurélien B. n’était pas journaliste, c’était une simple source. Comme il a fourni un travail conséquent, le média l’a indemnisé.

    De Booska-P à « Frontières »

    Car contrairement au rédacteur en chef du média d’extrême droite, Aurélien B. connaît vraiment le rap et le média sur lequel il a enquêté. Il a en effet travaillé huit ans chez Booska-P, avant de se faire licencier. Il va par la suite dénoncer une prétendue dérive du média vers « l’idéologie des Frères musulmans » et multiplier les propos islamophobes sur X.* « Il est plus agréable de boire de la Javel que de lire le Coran », écrit-il par exemple en octobre 2025 (3).

    Deux ans plus tôt, il tweetait que « dans le rap français, on préfère fêter l’Aïd que le 14 juillet ». Des propos qui provoquent à l’époque la réaction d’Amadou Ba, fondateur de Booska-P, qui répond : « Je suis atterré de voir les propos d’un ancien collaborateur à l’opposé des valeurs de Booska-P. Je ne peux pas être en accord avec lui, je représente tout ce qu’il déteste. » Le pigiste de 43 ans conteste de son côté toute affiliation à l’extrême droite, et insiste sur le fait qu’il juge ce qualificatif « très malhonnête intellectuellement ».

    Payé au noir, sans factures

    Pierre Sautarel, directeur de « Fdesouche », une revue de presse identitaire créée en 2005, aurait repéré sur les réseaux ce journaliste au parcours atypique et l’aurait mis en relation avec « Frontières ». Mais l’expérience tourne court. En plus du remplacement de sa signature, il accuse « Frontières » de ne pas lui avoir versé une partie de sa rémunération. Dans des mails datant de mai 2024, les deux parties semblaient s’être accordées sur 600 euros brut pour une enquête. Aurélien B. rend finalement le double de signes, et réclame un tarif multiplié par deux. Il affirme auprès de StreetPress qu’ils s’étaient mis d’accord pour « être payé au pro rata » (3). « Impossible de payer autant », lui répond Jules Laurans sur WhatsApp, le 17 juin 2024. Aurélien B. reçoit finalement sa paye, « des semaines après » et « des quantités de courriels » plus tard. Il est payé au noir, sans facture, grince-t-il. Une accusation impossible à confirmer.

    « Frontières » finit par le « ghoster comme sur Tinder ». Mais le thread du pigiste circule sur les réseaux sociaux. Il a beau avoir glané plus de 500.000 vues sur X, aucun des médias, qui l’a invité après son audition à l’Assemblée nationale, ne l’a interrogé sur le sujet. Chez les médias Bolloré, il s’est surtout plaint d’avoir eu « des questions complètement déplacées » des députés et a reproché l’audition des maires qu’ils accusaient d’islamisme. L’horreur, quasiment du journalisme.

    (1) Contactés, les deux députés en charge de cette commission n’ont pas répondu à nos sollicitations.
    (2) Parmi les élus accusés par le magazine, ceux d’Annecy et d’Annemasse, ont annoncé porter plainte contre le média d’extrême droite.
    (3) Edit le 24/11/25 – StreetPress a dans un premier temps indiqué Aurélien B. a été écarté de Booska-P pour des propos islamophobes. Il conteste cette version et indique avoir déposé un recours aux prud’hommes.
    (4) Edit le 24/11/25 – Ajout de la mention suivante : il affirme auprès de StreetPress qu’ils s’étaient mis d’accord pour « être payé au pro rata ».

    Illustration de Une par Mila Siroit.

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