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Autour de dizaines de tables carrées, ils restent assis pendant des heures, cartes en mains. Malgré les apparences, il n’est pas question ce week-end-là de « bridge de salon » entre personnes âgées. C’est le championnat de France de bridge junior. Dans cette catégorie, des jeunes âgés de 18 à 25 ans, tous mordus de la même passion pour un jeu que l’on qualifie volontiers de « ringard », « vieillot » et « élitiste ». Et pour cause. Sur les 100.000 licenciés de la Fédération française de bridge, les moins de 26 ans ne représenteraient que 7 % des effectifs.
Bébés bridgeurs À 11 ans, Ludovic Rousseaux découvre le bridge. Dans son collège, des ateliers découvertes sont proposés par la fédération française de bridge (6.000 scolaires sont aujourd’hui concernés par ces programmes). 13 ans plus tard, il n’a pas quitté son jeu de cartes. Même si, parfois, il préfère les planquer : « si tu essaies de draguer quelqu’un en disant que tu joues au bridge, ça ne marche pas ! » confie-t-il en rigolant. Quant à sa sœur Laetitia, qui est également sa partenaire de jeu, « elle le cache. Elle raconte qu’elle fait des compétitions mais ne dit pas où. » Pas facile à tenir : des compets de bridge sont organisées presque tous les week-ends.
Pique et Cœur sont « les couleurs majeures ». As, Roi, Dame et Valet sont les cartes les plus fortes et valent respectivement 4, 3, 2 et 1 point(s). Le principe est de fournir de la couleur demandée si on en a, tout en remplissant un contrat correspondant à un certain nombre de plis annoncés. Le camp opposé, lui, essaye de faire chuter l’autre paire en réalisant un nombre de plis supérieur. Le jeu se divise alors en deux parties : les enchères et le contrat, qui correspond à la réalisation d’un certain nombre de levées.
Un peu plus loin, dans la salle, Landry Andrea. À 25 ans, il collectionne les titres de champion de France et a terminé troisième aux championnats du monde. Comme Ludovic, il a découvert sa passion au collège. D’autres, autour d’eux, ont appris avec leurs grands-parents. « Plus tôt on s’y met, mieux c’est » explique Éric Remy, le directeur général de la fédération française de bridge. Pour lui, le bridge est bien plus qu’un jeu de société. C’est un « sport cérébral ».
Globe-trotteur overbooké Ce n’est pas Cédric Lorenzini qui dira l’inverse. Du « sport cérébral », il en fait depuis ses 8 ans, poussé par son grand-père. Sport qui n’est pas toujours si cérébral que ça puisque le jeune bridgeur, sacré champion du monde en 2008, parcourt le monde au rythme des tournois. Surnommé « l’étoile montante » du bridge, il s’apprête à participer aux championnats d’Europe en Open (toutes catégories confondues) et aurait dû, en théorie, également s’envoler pour le Danemark. « Mais je ne le fais pas, faut quand même que j’écrive ma thèse ! » Et oui, car être mordu de bridge, « ça prend du temps », explique le favori entre deux parties. Surtout lorsque l’on joue 10 heures par jour durant plus d’une semaine, comme lors des compétitions. L’emploi du temps de Cédric ?
« En semaine, je prépare ma thèse de chimie, mais tous mes week-ends sont consacrés au bridge et j’ai trois entraînements de deux heures par semaine, sans compter toutes les discussions autour du bridge, la nuit… »
A droite, Ludovic, champion de France scolaire, très concentré
Le champion avoue quand même avoir sauvegardé deux heures de tennis par semaine.
Ludovic, lui, est un brin moins pris mais quand même : en comptant les parties sur Internet, il confie jouer entre 8 et 10 heures par semaine. “Avant je faisais du water-polo, de la natation, mais il n’y a que le bridge qui est resté.” Landry, lui, reconnaît carrément qu’avec le bridge, « on n’a moins de temps à consacrer aux autres. » Surtout depuis qu’il bosse en tant qu’ingénieur en téléphonie mobile. Même esprit chez sa copine, interne en médecine : « j’ai des semaines de folie ! »
Élitiste ? Ingénieur, futur médecin : de nombreux jeunes bridgeurs font de longues études. D’ailleurs, Pierre Saguet, vice-président en charge de l’Université du bridge, se réjouit : « aujourd’hui, tous nos champions ont fait des études brillantes ! » Les bridgeurs défendent une certaine complémentarité entre les deux. « Ce ne sont pas les études qui conditionnent au bridge, c’est l’inverse », raconte Landry. Pour vendre les bienfaits de l’activité, le lien est tout trouvé. Éric Remy, le directeur de la fédération :
« Ce jeu développe les capacités d’analyse, de synthèse, de stratégie, de mémoire, de concentration… Qu’est-ce qu’on demande en entreprise ? C’est pour ça que certains professeurs le recommandent. »
Son but, à terme ? Que le bridge devienne une option au bac, comme dans d’autres pays. En Pologne, par exemple, les stages de bridge sont obligatoires au collège. Alors à quand une France de jeunes bridgeurs ? Le ministère de l’Éducation nationale prévoit de signer une convention en ce sens, pour proposer l’option au collège. Un enjeu de taille pour une fédération qui a perdu 5.000 membres ces dernières années. D’autant plus que son principal soutien, la Société générale, ne sponsorise quasiment que les jeunes aujourd’hui. Pour le vice-président en charge de l’Université du bridge, il en va de la survie du jeu. Rien que ça.
« On ne peut pas faire autrement que de favoriser les jeunes si on ne veut pas que le bridge périclite. »
Mais pour ça, il y a encore toute une image à changer. Et la nouvelle génération compte bien y contribuer. Avant de se lever pour aller « kibbitzer », Landry lance en rigolant : « On est des jeunes normaux hein, on n’est pas des papis avec la tasse de thé ! » Ouf, on est sauvés.
Bulle : prendre un mauvais coup.
Mort : partenaire inactif du déclarant. Ses cartes sont visibles de tous.
Top ou Pic : la meilleure note lors d’une compétition.
Résidu : Ensemble des cartes possédées par l’adversaire dans une couleur.
Allez, maintenant, accroche-toi !