« Les termes animaliers comme “crinière” ou “tignasse”, c’est mort. En réunion avec les marques, je mets un stop tout de suite », assure Fatou N’Diaye en remuant sa main de droite à gauche, en signe de négation. Assise sur une des coquettes banquettes du resto Season, repère des blogueurs de la capitale, l’influenceuse raconte ses partenariats avec les marques de cosmétiques et de produits capillaires. Depuis 2007 et le lancement de son blog, BlackBeautyBag, l’auto-entrepreuneuse de 40 ans a acquis une solide réputation dans le milieu de la beauté. Elle y parle make-up, mais pas seulement :
« Ca n’est pas qu’une question de rouge à lèvres. Je parle de la beauté noire, d’estime de soi. Nous [les blogueurs] sommes suivis et avons une voix. Il faut s’en servir. »
Forte de ses 121.000 abonnés Instagram et ses 134.000 fans Facebook, Fatou N’Diaye fait partie des blogueuses beauté les plus anciennes et les mieux installées du paysage français. Elle est surtout une des seules blogueuses noires de cette envergure. Ce que les marques ont bien compris. M·A·C, Yves-Saint-Laurent, Armani ou encore L’Oréal, réclament aujourd’hui ses conseils pour rendre leurs produits et publicités plus inclusives. Pour ces enseignes, elle répond à cette question : « Comment s’adresser aux femmes noires ? ».
Capture d'écran du compte Instagram de Fatou N'Diaye / Crédits : DR
« Tu m’as redonné confiance en moi »
« Excuse-moi, tu es bien Fatou ? J’adore ce que tu fais, on peut prendre une photo ? », demande timidement une jeune femme noire d’une vingtaine d’années, installée à la table d’à côté. Fatou N’Diaye esquisse un sourire avant d’accepter poliment. Elle pose son verre de limonade, se lève, puis propose de se déplacer de quelques mètres. Le contre-jour gâcherait la photo, fait-elle remarquer. « Vraiment j’adore ce que tu fais : tu m’as donné confiance en moi », assure la fan, en vérifiant les différents clichés. « Elle a joué un rôle important pour plein de jeunes femmes noires. Elle était surtout une des premières à parler de la beauté noire. A l’époque, c’était novateur. Nous n’avions pas vraiment de modèle français », remarque l’autrice et afro-féministe Kiyémis, co-présentatrice du podcast Quoi de meufs.
Lorsqu’elle ouvre son blog il y a 11 ans, Fatou N’Diaye partage ses astuces pour prendre soins des cheveux crépus et clame être fière de ses lèvres charnues. Elle dénonce aussi les stéréotypes qui entourent le physique des femmes noires. Une époque où les marques et la presse ne parlent que de beauté blanche, explique la blogueuse :
« Je ne trouvais pas de femmes qui me ressemblaient dans les magazines : cheveux, beauté, morphologie, rien ne me concernait. Alors je me suis lancée. Mon blog était un journal intime ouvert à tous ceux qui voulaient bien me lire. »
Murmurer à l’oreille des marques
Propos discriminants dans une publicité ou dernière polémique nationale… Malgré son énorme communauté, elle continue de donner son avis sur ses réseaux. « Fait rare pour une influenceuse », souligne son ami Almamy Kanouté, militant antiraciste, notamment membre du comité Adama :
« S’il y avait plus de gens influents comme elle qui donnaient leur avis, nos causes seraient plus entendues. »
Il se souvient d’un de ses billets publié en 2016 et titré « Je m’appelle Fatou ça vous pose un problème ? ». Un des plus lus. Elle évoque les blackfaces, ainsi que les discriminations et moqueries autour de son nom. « C’est pour ce ton que les marques viennent me voir », assure l’influenceuse. Si elle gagne sa vie grâce aux contrats de publicité et de partenariats, elle a également élargi son activité en proposant de conseiller les marques sur la manière de s’adresser à un public noir. « Souvent ça marche en packaging : partenariat pub’ plus comm’ ! » Depuis 2014, elle travaille par exemple pour L’Oréal. Elle est même égérie de la marque, aux côtés d’actrices comme Leïla Bekti.
Ready pour fouler le red carpet du
— BlackBeautyBag (@blackbeautybag) 10 mai 2018Festival_Cannes</a> avec la <a href="https://twitter.com/lorealparisfr?ref_src=twsrc%5Etfw">
lorealparisfr #lorealfamily #lorealcannes2018. Vêtue dune tenue traditionnelle de l'ethnie Soninke de mon papa #malipuissanci pic.twitter.com/PlVEJ4kCpT
Fière
C’est à l’invitation de cette marque de cosmétique qu’elle était au festival de Cannes 2018. Fatou N’Diaye y a fait sensation en descendant les marches dans une robe en Bazin d’une créatrice Sénégalaise, accompagnée d’une imposante coiffure malienne. Le buzz sur les réseaux est immédiat. « Ça a mis une claque à un paquet de monde. Comme si les gens découvraient qu’il y avait des créateurs qui n’étaient pas occidentaux », souligne Almamy Kanouté. « Les gens m’ont félicité alors que pour moi il n’y avait rien d’extraordinaire. C’est une tenue qu’on pouvait porter les week-ends quand j’étais petite », raconte la blogueuse, qui poursuit :
« Porter cette coiffure et cette tenue, à la base populaire, c’était une façon de célébrer et de valoriser les cultures de mes parents. »
Fatou N’Diaye est né à Paris. Son père, d’origine malienne, est ouvrier. « Le goudron, les égouts, il a fait les métiers dont l’élite française ne voulait pas. » Quant à sa mère, nigérienne, elle était femme de ménage, avant de devenir cuisinière à l’hôtel de ville de Paris. Pendant les vacances, la famille voyage, surtout en Afrique. « J’ai été éduquée dans la valorisation de la culture de nos parents. Je n’ai jamais renié mes origines. J’essaie, au contraire, de célébrer ce multi-culturalisme. »
Capture d'écran du compte Instagram de Fatou N'Diaye / Crédits : DR
Éduquer
« En 2018, une femme noire a la vie beaucoup plus simple. On peut au moins célébrer ça ! », insiste Fatou N’Diaye. Elle cite pêle-mêle : le mouvement nappy, qui encourage les femmes noires à porter leurs cheveux crépus, bouclés ou frisés au naturel ; l’actrice et réalisatrice Lupita Nyong’o, à la carnation très noires, devenue égérie de la prestigieuse maison Lancôme ; ou encore, plus simplement, la commercialisation en magasin de fonds de teint pour toutes les carnations. « Avant on devait les faire importer ! » Pour l’autrice Kiyémis, Fatou N’Diaye y a joué un rôle :
« En 2007, sa critique, radicale pour l’époque, lui a permis de se faire remarquer. Et par la même occasion de mettre en avant les problèmes de toute une communauté. A travers le maquillage, à travers la beauté, elle a fait tomber plusieurs barrières racistes. »
Aujourd’hui, la blogueuse l’assure :
« Pour faire tomber un système, il faut l’intégrer et le combattre de l’intérieur. Il faut discuter avec les gens qui sont décideurs pour faire changer les choses ».
Elle se dit féministe et non afro-féministe ou militante, prétextant que ces « termes sont devenus trop péjoratifs et excluants ». Elle poursuit :
« Le féminisme que je défends est celui de Chimamanda Ngozi. Elle valorise un féminisme noire que toutes les femmes, de toutes religions et de toutes couleurs, peuvent comprendre et où elle peuvent se retrouver. Un féminisme lucide à mon avis. Pour que les autres comprennent nos luttes, il faut les y inviter. »
Alors elle s’évertue à discuter et à éduquer les marques sur les discriminations qui touchent les femmes noires :
« On vit dans une société plurielle. On veut voir tout le monde représenté. Toutes les minorités. »
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