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    29/05/2019

    « C'est une façon de leur dire : “Tu es quelqu'un” »

    Grâce à l’École de la Deuxième Chance, on peut réussir sans diplôme

    Par Anouk Loisel , Léo Derivot

    À Paris, l’École de la Deuxième Chance propose aux jeunes sans diplômes une formation avant de reprendre des études ou de trouver un job. Au programme : stages en entreprise et retour sur les fondamentaux. Et ça marche !

    Mamadou ne peut pas s’empêcher de se balancer d’un pied sur l’autre. « Un employeur vous jugera sur votre corps, votre comportement, vos gestes », le prévient Patrick, prof d’improvisation théâtrale. Dans la petite salle jaune au plafond charpenté, les élèves expliquent un par un ce qu’ils aiment devant tous les autres. Ils doivent ensuite se planter successivement devant trois de leurs camarades pour leur dire individuellement. Un exercice moins évident qu’il n’y paraît. « Il faut avoir une présence, porter sa voix. Et le regard, tout passe par le regard ! », lance Patrick à l’assemblée.

    Patrick est missionné par l’École de la Deuxième Chance (E2C). Installée rue d’Aubervilliers à Paris, elle accueille 450 jeunes par an. La plupart des apprenants sont sortis du système scolaire, ont entre 18 et 25 ans et sont sans diplôme ou qualification. Ce sont les conditions pour pouvoir intégrer l’un des 130 sites-école de la Deuxième Chance en France.

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    Français, maths, informatique, mais aussi ateliers de citoyenneté et sorties culturelles, l’éventail des cours est large. / Crédits : Léo Derivot

    Check, visage rond et rieur, est le premier à relever le défi du prof de théâtre avec brio. Ses camarades applaudissent pour le féliciter. Ils sont 14 par promo et ont tous signé pour dix mois de formation. Français, maths, informatique, mais aussi ateliers de citoyenneté et sorties culturelles, l’éventail est large. Le but : les réinsérer dans la société et dans le monde professionnel. « Il y en a certains parmi vous qui sont mous, abattus », débriefe Patrick, à la fin de la séance de trois heures. « Il faut vous donner, mettre de l’énergie, car vous n’aurez pas forcément de troisième chance… »

    Des jeunes sortis du système scolaire

    Christelle est coquette. En replaçant sa robe sportwear bleu, elle raconte avoir arrêté l’école à 19 ans, son seul brevet des collèges en poche. Aujourd’hui, elle en a 26 et coiffe des gens chez elle. La jeune femme a rejoint l’École de la Deuxième Chance pour « avoir des expériences dans la coiffure européenne », explique-t-elle. Niouma, elle, est arrivée du Sénégal il y a quatre mois, à 23 ans. Elle a arrêté sa scolarité en 4ème. Entre temps, elle s’est mariée et a eu un enfant, aujourd’hui âgé de deux ans.

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    Atelier en cours. / Crédits : Léo Derivot

    Pour Check, 18 ans, l’aventure scolaire a coupé court au moment des épreuves du baccalauréat, l’année dernière. Grand sourire aux lèvres, plein de vie, il raconte : « J’ai toujours passé les classes de justesse, parce que j’étais gentil et que je faisais des efforts ». Découragé, il ne se rend pas aux épreuves orales. « Je savais que je n’y arriverais pas. » C’est sa sœur qui l’a découvert et lui conseille de demander de l’aide à des assos, qui l’orientent vers l’École de la Deuxième Chance. En parallèle, il est livreur pour Deliveroo. Il s’apprête aussi à repasser son bac en candidat libre. Mais il y a quelques jours, rebelote, il a séché les oraux. « J’ai tout essayé, réviser chez moi, à la bibliothèque, faire de l’aide au devoir… Mais je n’y arrive pas. » Il hésite avant de poursuivre :

    « Je n’ai pas confiance en moi, j’ai peur de décevoir encore ma famille, et puis j’ai l’échec de l’année dernière qui reste en moi… Il y a un blocage avec ce foutu bac. »

    Une école pas comme les autres

    C’est Chantal Lerbernady, la directrice adjointe, qui est en charge de la sélection des jeunes. Après l’envoi de leur dossier de candidature, elle les reçoit en entretien. La petite femme vive et joviale explique ses critères :

    « On a besoin de les entendre dire : “J’ai envie de faire quelque chose de ma vie”. Après, on les prend comme ils sont. C’est une façon de leur dire : “Tu es quelqu’un” et de leur redonner confiance et dignité. »

    Ceux qui ont été retenus commencent dès le lundi suivant. Rémunérés 330€ par mois, ils alternent entre trois semaines de cours et trois semaines de stage en entreprise. Yassine, grand et fin, est en fin de parcours à l’E2C. Trois ans plus tôt, il s’était engagé dans un bac pro mécanique, qu’il a arrêté en seconde. « Personne n’était motivé dans la classe, beaucoup étaient là par défaut, les profs ne s’intéressaient pas à nous… » Pendant une année, il n’a rien fait. Sa mère, qui est passée par hasard devant l’E2C en se promenant dans le quartier, a pris des renseignements pour lui. « Au début, je ne voulais pas retourner à l’école, mais j’ai vite compris qu’ici c’était différent. »

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    Wafa a 22 ans, fait de la pâtisserie et est à la fin du cursus. / Crédits : Léo Derivot

    Ici, pas de salles de classe et d’élèves assis face au tableau. Seulement des blocs de tables et un formateur qui s’installe parmi eux. Les cours sont individualisés, avec des exercices adaptés au niveau de chacun. « On peut aussi, même si c’est plus rare, adapter l’emploi du temps en fonction des besoins de l’élève : lui mettre plus de cours de français par exemple… », détaille la directrice adjointe.

    Niouma, penchée sur sa feuille de mathématique, est très concentrée. Quand vient la fin du cours, la jeune sénégalaise tarde à sortir. Elle voudrait pouvoir finir ses exercices. De toute la promo 6, elle est de loin la plus calme et la plus studieuse. Malgré sa bonne maîtrise du français, il est moins fluide que celui de ses camarades. Pour elle, l’École de la Deuxième Chance représente l’opportunité d‘« apprendre pour s’intégrer dans la société française ». Ce qu’elle veut, c’est devenir aide-soignante : « Mon père a été malade, je me suis beaucoup occupée de lui. Mon mari aussi, quand il a eu son accident du travail au mois de novembre. Ça m’a donné envie d’aider. »

    Construire et faire aboutir un projet professionnel

    L’objectif principal de la formation est l’insertion professionnelle. Chaque jeune doit construire son projet. Certains, comme Yassine, l’avaient déjà en tête en arrivant. Lui veut être monteur-cadreur. Depuis son entrée à l’E2C, il a enchaîné les stages dans des boîtes de prod’ et des théâtres, comme Le Vent se lève. Il a aussi trouvé une formation pour la suite, dans une boîte de production de multimédia. Pour lui, l’école a été un propulseur :

    « J’aurais pu devenir monteur-cadreur autrement, mais pas aussi facilement. Les écoles de cinéma sont souvent sélectives et payantes. Et je n’avais même pas le bac… »

    Check, lui, voudrait être psychologue. « Je me suis rendu compte en parlant à des proches que j’essayais toujours de les comprendre », se rappelle-t-il. Un métier dans lequel il est difficile de rentrer sans études et sans diplôme. Il compte sur l’École de la Deuxième Chance pour l’aider à y voir plus clair dans les possibilités qui s’offrent à lui. « Il faut que je sache ce que je pourrais avoir avec et sans le bac », analyse-t-il. « Si le bac est le seul moyen, alors je retenterai encore et encore… »

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    Yassine avaient déjà en tête ce qu'il voulait faire en arrivant : monteur-cadreur. / Crédits : Léo Derivot

    Et pour les indécis, comme Lionel, des ateliers sont prévus avec des coachs en insertion pro. « Mon métier de rêve c’est producteur, mais c’est très compliqué de le devenir. J’ai dit à ma coach que chez moi je mixais, et elle m’a dit : “Tu pourrais faire ingé son !” », raconte le grand bonhomme de 21 ans. Il en est à son troisième stage. « C’est une voie qui me plaît. »

    « Il y a 83% de sorties positives », dévoile Chantal. « Ceux qui abandonnent sont souvent ceux qui sont dans les addictions, ou alors des jeunes mamans qui ne tiennent pas le rythme très soutenu. » 60% des jeunes partent en apprentissage, car « pour certains métiers, il faut vraiment apprendre », explique-t-elle. D’autres reprennent des études pour pouvoir s’appuyer sur un diplôme reconnu, comme Lionel, qui postule à l’Infa (Institut national de formation et d’application) pour apprendre à être technicien son. Christelle, elle, va intégrer un CAP Coiffure. Seule une petite proportion cherche directement à rentrer sur le marché du travail après l’école. « Souvent, ils sont embauchés sur un de leur lieu de stage », note Chantal. Check conclut :

    « Même si l’école ne m’apporte pas ce que j’étais venu chercher, je ne serais pas venu pour rien. J’aurais pu combler des lacunes. Je connaîtrais mes points forts et mes points faibles. »

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