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    21/04/2021

    Des étudiants tentent de faire bouger les lignes

    Racisme sur les campus de Sciences Po

    Par Emilie Rappeneau

    À Reims et à Menton, des collectifs d’étudiants de Sciences Po se sont donnés pour mission de relayer les témoignages des victimes de racisme sur le campus. Ils espèrent faire bouger l’administration.

    « On a peur de parler, parce qu’on se dit que c’est potentiellement dangereux pour la suite de nos études. » Mélissa (1) est élève en première année au campus de Sciences Po Menton. La jeune fille d’origine algérienne a, avec ses amis Sarah (1) et Eva (1), fondé Alwanat. Depuis janvier 2021, l’association relaie la parole d’étudiants victimes de racisme sur le campus.

    L’un des premiers posts Instagram de l’association évoque les chants d’intégration de l’école. Provocateurs et vulgaires, ils sont remplis de références racistes. Morceaux choisis :

    « Ma mère a survécu à l’excision, mon père pose des bombes dans les avions, ma mère sans clitoris, mon père est terroriste. »

    « Voir l’imam, pour lui demander si j’ai le droit de battre ma femme […] mon fils non ça ne se fait pas, si elle fait chier prends en trois. »

    De tradition musulmane, Mélissa et Sarah voient ces chants comme un violent manque de respect. Elles espèrent alerter leurs camarades à travers Alwanat. « L’administration ne peut rien faire dans ces cadres extrascolaires. C’est là qu’on intervient », décrypte Sarah.

    Créé en septembre 2020, le compte Instagram Being Black at Sciences Po (Être Noir à Sciences Po) relaie lui aussi des témoignages d’élèves. Ses cinq fondatrices, étudiantes au campus de Reims, souhaitent rester anonymes : elles craignent qu’une prise de parole leur porte préjudice au sein de la grande école. Et pour cause, les réactions à la création de ce compte ont été ambivalentes. En décembre 2020, le compte Being de droite à Sciences Po est créé. Il reprend le format de Being Black at Sciences Po pour le tourner au ridicule, drapeau français et photo de profil de Charles De Gaulle à l’appui.

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    En décembre 2020, le compte Being de droite à Sciences Po est créé. Il reprend le format de Being Black at Sciences Po pour le tourner au ridicule. / Crédits : Émilie Rappeneau

    Un été pour tout changer

    « Deux facteurs ont déclenché la création de Being Black at Sciences Po », explique Sofia (1), élève d’origine mexicaine. En août 2020, Sciences Po Paris publie sur son compte Instagram et recommande la lecture d’une série de livres qui traitent des questions antiracistes. En commentaires, des centaines d’internautes postent des messages haineux.

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    En août 2020, Sciences Po Paris recommande sur son compte Instagram la lecture de livres qui traitent des questions antiracistes. En commentaires, des centaines d'internautes postent des messages haineux. / Crédits : Émilie Rappeneau

    Sofia reproche aussi à la direction sa passivité au moment du mouvement Black Lives Matter. En juin 2020, 294 élèves de master signent un courrier demandant entre autres la mise en place de cours sur l’intersectionnalité et la reconnaissance du passé colonial de l’école. La direction promet la création d’un document stratégique pour l’inclusion et la diversité, à ce jour inexistant. Insuffisant pour les fondateurs de Being Black at Sciences Po.

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    Les commentaires haineux s'enchaînent. / Crédits : Émilie Rappeneau

    Une étude statistique basée sur des témoignages

    En octobre 2020, Being Black at Sciences Po participe à la rédaction d’un rapport basé sur les réponses de 158 élèves de l’école à un questionnaire. Dans leurs réponses, de nombreux étudiants reprochent à certains de leurs professeurs des propos racistes sous couvert d’humour.

    « Un professeur m’a dit que ce n’était pas grave si je travaillais pendant les vacances parce que venant des Outre-mer et que j’étais habituée à l’esclavage », a témoigné un étudiant sur le compte Being Black at Sciences Po. Ou encore « Un professeur m’appelait Abdul alors que ce n’était pas mon prénom. Et il appelait un élève chinois Chang », dans le rapport.

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    Le compte Instagram Being Black at Sciences Po relaie la parole d'étudiants victimes de racisme. / Crédits : Émilie Rappeneau

    Du côté de Menton, les fondatrices d’Alwanat remarquent que les élèves traitent différemment les enseignants racisés. « Quand c’est un prof’ rebeu, ils l’appellent par son prénom, le tutoient. C’est à la limite du manque de respect », souffle Mélissa. Sa voix teintée de colère, l’étudiante énumère les incidents qui l’ont choquée depuis son arrivée à Menton : les calligraphies religieuses reprises par le BDE pour un jeu d’alcool, les chants d’intégration parsemés de références au djihad - « Sur la musique Rehab d’Amy Winehouse : “They tried to make me go to jihad but I said no, no, no” » - etc… Elle raconte les réactions d’étudiants de tradition musulmane, qui préfèrent ne rien dire, voire jouer de cet humour douteux. « Ils se moquent d’eux-mêmes pour rentrer dans le moule des grandes écoles », décrypte Sarah. « Je n’arrive pas à leur en vouloir ». Les jeunes filles à l’origine d’Alwanat voient leur association comme une “safe place” pour les futurs élèves.

    « Il faut que l’administration reconnaisse qu’il y a du racisme sur le campus, que l’héritage colonial de l’école impacte les étudiants racisés d’aujourd’hui. » Being Black at Sciences Po met en avant plusieurs propositions à ce sujet, notamment la mise en place d’un pôle indépendant sur chacun des sept campus. Pôle où les étudiants pourraient signaler des cas de discrimination raciale perpétués par d’autres étudiants ou des membres du personnel.

    À LIRE AUSSI : Pas de Sans Pap’ à Sciences Po Paris

    Le Pôle égalité femmes / hommes et lutte contre les discriminations de Sciences Po n’a pas donné suite à nos sollicitations.

    (1) Les prénoms ont été changés.

    _Image d’illustration : Campus de Reims (Sciences Po) de ChapsalImagina via Wikimedia Commons. Certains droits réservés.

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