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    13/01/2023

    Panne de chauffage et économies d’énergie sur le dos des détenus

    « Il fait plus froid en cellule qu’en promenade » : en prison, les détenus souffrent de l’hiver

    Par Clara Monnoyeur

    En prison cet hiver, les températures ont chuté dans les cellules des détenus. À cause de pannes, mais aussi de coupures de chauffage volontaires pour faire des « économies ». L’insalubrité n’arrange rien.

    « On va finir par ressembler à des sushis », lance fin novembre Yanis (1), incarcéré à la maison d’arrêt de Nanterre (92). « L’eau dégouline des fenêtres. Les murs sont gelés, humides et ruisselants. C’est une catastrophe », complète Pierre (1), lui aussi détenu à la prison des Hauts-de-Seine. Le système de chauffage serait défectueux. S’il déclare ne pas avoir de thermomètre sur lui, Pierre assure qu’il fait moins de 15 degrés dans sa cellule début décembre. Alors, pour se réchauffer, il superpose les couches. Trois épaisseurs en haut avec un pull en plus pour dormir la nuit, un jogging et trois couvertures. « Il fait très très froid. » Début décembre, il a fait jusqu’à -4 degrés à Nanterre. Les températures enregistrées la première quinzaine de décembre n’ont jamais été aussi basses sur toute la France depuis février 2021. Et aucun mois de décembre n’a enregistré de valeurs aussi inférieures depuis une dizaine d’années.

    Le cas de Nanterre n’est pas isolé. Nantes, Nancy, Melun, Fleury-Mérogis, Osny, Mont-de-Marsan… L’Observatoire International des Prisons (OIP) énumère des problèmes similaires de pannes de chauffage, ou de systèmes défectueux, dans d’autres prisons de France.

    Pannes et insalubrité

    À Melun, depuis fin décembre, le chauffage serait régulièrement coupé. « Les fenêtres sont très mal isolées. Les détenus sont obligés de mettre des bouts de carton et des serviettes par dessus. Ils laissent aussi les plaques chauffantes fonctionner pour se réchauffer », raconte Odile Macchi, responsable du pôle enquête à l’OIP. L’insalubrité des cellules n’arrange rien au froid ambiant. Pierre, qui est à Nanterre, raconte dépité :

    « Le matin, au réveil, l’eau dégouline sur les fenêtres et les murs à cause de la condensation. Ça fait même des champignons. C’est hallucinant. »

    S’ajouteraient des rats et des cafards qui entrent dans sa cellule, dit-il. Yanis lui, montre des photos du mur qui s’écaille et l’eau de ses WC (sans porte) qui fuit sur le sol. Il y a aussi les prises électriques sorties du mur, pour lesquelles il a fait des signalements. En vain.

    L’eau coule aussi sur les murs de la cellule du fils de Valérie (1). C’est le deuxième hiver qu’il passe incarcéré à Annœullin près de Lille. Le jeune homme de 28 ans n’a pas non plus de chauffage dans sa cellule. Le problème viendrait d’une trappe bouchée. « Il a tellement froid qu’il allume son four pour se réchauffer », confie au téléphone la maman, inquiète. Le problème a été signalé, mais rien n’aurait été fait. À Mont-de-Marsan, dans les Landes, la prison n’aurait pas fourni de couvertures en plus aux détenus malgré les problèmes de chauffage, selon l’OIP.

    Des coupures volontaires pour faire des économies

    Parfois, les coupures de chauffage ne sont pas dues à un problème technique. À Carcassonne, la direction de la prison a coupé le chauffage la nuit… pour faire des économies, révèle France 3 Occitanie dans un article du 12 décembre 2022. Ni les détenus ni le personnel n’ont été prévenus.

    « Il fait plus froid en cellule qu’en promenade », alerte Ben (1) début décembre 2022, dans un message adressé à StreetPress. Incarcéré à Carcassonne, il dort avec sa capuche de son sweat vissée sur la tête, photo à l’appui :

    « On n’a rien pour se réchauffer à part le drap et la couverture qui ne servent à rien. »

    Interrogé par France 3 Occitanie, Jean-Pierre Limarola, surveillant à la prison et représentant du syndicat SPS déclare simplement : « Nous appliquons les consignes d’énergie. » La chaudière de la prison ne permet pas de régler la température. Son collègue, Yohann Verschelle, représentant syndicat de FO Justice, explique avoir eu connaissance des coupures suite aux plaintes de détenus. « J’ai demandé à la direction et c’est là que j’ai appris qu’il y avait des coupures la nuit. » Le surveillant échange avec la direction et obtient le droit d’avoir quelques chauffages d’appoint… mais seulement pour les surveillants.

    Finalement : trois jours après la publication de l’article du média local, la prison de Carcassonne a pris la décision de ne plus éteindre le chauffage entre 23h et 5h du matin. Une situation exceptionnelle dans un contexte de hausse des prix de l’énergie ? Pas vraiment. Pour l’OIP :

    « Des coupures volontaires il y en a toujours eu. Même si c’est la première année où on en entend un peu plus parler. »

    Des conditions de détention régulièrement dénoncées

    À Fleury-Mérogis, après pas mal d’appels de détenus – qui n’avaient que la douche pour se réchauffer – à l’OIP, le chauffage a aussi fini par être rétabli. Selon Odile Macchi, les délais de réparations sont particulièrement longs en prison. « L’administration pénitentiaire se décharge en mettant la faute sur les prestataires privés. Alors que ce sont eux qui sont responsables des conditions de détention des personnes incarcérées. » Résultat :

    « Les personnes se retrouvent à passer l’hiver dans le froid. »

    S’il y a un lien évident entre problèmes de chauffage et vétusté des bâtiments, Odile Macchi précise qu’il y a aussi des dysfonctionnements dans les nouvelles prisons, parfois « déjà dans un état catastrophique » peu de temps après leur mise en service. C’est le cas de la prison de Lutterbach près de Mulhouse, ouverte en avril 2021 dans le cadre du « plan des 15.000 ». Un programme immobilier lancé par Macron qui prévoit la construction de 15.000 nouvelles places de prison sur dix ans. Le chauffage serait défectueux et il y aurait des problèmes d’isolation. « On a reçu des témoignages pour nous dire que les cellules étaient gelées. » Nos confrères de Rue89 Strabourg avaient déjà alerté sur des dysfonctionnements en octobre dernier. Odile Macchi de l’OIP commente :

    « Au lieu de construire à tout-va, il faudrait déjà commencer par rétablir le chauffage et prendre des mesures dans les établissements actuels. »

    Elle poursuit : « Il n’y a pas de raison pour faire endurer ça aux personnes incarcérées, surtout quand on sait le nombre de personnes malades en détention. J’ai des appels de personnes qui sont en cellule PMR (personne à mobilité réduite) et qui n’ont pas de chauffage. » En 2013, selon la Direction de l’administration pénitentiaire), 329 personnes détenues présentaient un handicap physique, et 185 personnes nécessitaient une aide pour l’accomplissement des actes de la vie quotidienne en 2015.

    Début décembre, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy a ordonné huit mesures d’urgence concernant les conditions de détention à Nanterre. Il avait été saisi par l’Observatoire international de prison (OIP), l’Ordre des avocats du Barreau des Hauts-de-Seine et l’Association pour la défense des droits des détenus (A3D). Selon Mediapart, dans leur requête, les avocats Fabien Arakelian et Juliette Chapelle détaillent « l’état de délabrement généralisé de l’établissement » et parlent notamment d’un chauffage inefficace, d’installations électriques dangereuses, d’une hygiène catastrophique…

    Deux ans auparavant déjà, le 16 décembre 2020, le Conseil d’État avait déjà donné raison à un détenu de Nanterre qui avait saisi la justice administrative de ses conditions de détention. Incarcéré « dans une cellule qui n’est pas chauffée et qui présente de nombreuses avaries. » Selon Mediapart : « Dans la décision rendue à l’époque, la justice ordonnait à l’État de procéder à la “désinsectisation” de l’établissement et au “lavage hebdomadaire” des draps. Mais, selon la requête, “l’administration pénitentiaire a refusé d’exécuter la décision” et a même exercé “des mesures de représailles” envers le détenu qui avait porté l’affaire devant le tribunal. »

    (1) Les prénoms ont été changés

    (2) Contactés, la direction de l’administration pénitentiaire et le ministère de la Justice n’ont pas répondu à nos questions

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