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    03/04/2024

    Coming out et divorce compliqué

    Accusées d’« instabilité émotionnelle », des mères lesbiennes redoutent de perdre la garde de leurs enfants

    Par Hanneli Victoire

    Mélanie, Sandrine et Anna ont quitté leur couple hétéro pour se mettre avec une femme. Un coming out qui n’a pas plu à leurs ex-conjoints, qui souhaitent récupérer la garde de leurs enfants. Elles racontent les discriminations devant les tribunaux.

    En 2018, Mélanie (1) divorce. Avec son ex-mari, la situation est plutôt apaisée : la séparation est consentie et une garde alternée est organisée. Ce n’est que lorsque la mère de famille se remet en couple avec une femme que ça s’envenime. Ses deux petites filles d’à peine une dizaine d’années ne veulent plus venir chez elle. « Elles avaient peur que je les abandonne, surtout la plus grande : elle piquait des crises de colère et devenait super insolente », se souvient Mélanie, encore affectée. Elle pense déceler une influence de son ex-conjoint, qui voit d’un mauvais œil son coming out. L’affaire va jusque devant les tribunaux pour déterminer qui aura la garde exclusive des fillettes. Ce jour-là, les arguments déroulés par l’avocat de son ex-conjoint la sidèrent :

    « Je serais “instable”, car j’aurais prétendu être amoureuse de lui pendant des années, alors que j’aimais les femmes depuis le début… »

    « J’ai bien ressenti qu’être lesbienne a pesé dans les décisions de mon ex-mari », commente Sandrine (1), 58 ans, dans la même situation que Mélanie. Anna (1), 34 ans, une troisième mère de famille qui a quitté un couple hétéro, raconte : « Au tribunal, il a plusieurs fois notifié que notre fille devait avoir une famille “normale”, avec un papa et une maman… » Toutes les trois ont été accusées d’« instabilité émotionnelle » et redoutent de perdre la garde de leurs enfants en raison de leur orientation sexuelle.

    « Incapable de s’occuper de ses enfants »

    Sandrine est convoquée avec son avocate dans le cadre d’une enquête sociale du tribunal. « C’était sur le fait que je vive avec une femme. Même si on ne vivait pas ensemble. » Pendant près de 20 ans, Sandrine est en couple avec le père de ses deux enfants. Mariée, elle sait depuis l’adolescence qu’elle est lesbienne. En 2010, un déclic : elle ne veut plus vivre cachée. Elle fait son coming out, demande le divorce et une garde alternée. L’affaire est entendue et Sandrine commence à fréquenter une femme. Pourtant, ce jour-là, la mise en cause est gratinée :

    « Je comprends que globalement, puisque je suis lesbienne, je ne serais plus en capacité de m’occuper de mes enfants. »

    Son ex-conjoint vient de changer d’avocat et demande la garde des petits. Une décision qui coïncide avec l’arrivée de sa nouvelle femme, d’après Sandrine. « Elle a dit à mon fils qu’il serait mieux avec eux sous prétexte que je serais trop instable, car je suis à la fois avec une femme et sans emploi. »

    Autre cas de figure : c’est Anna qui réclame la garde de sa fille. « Son père a écrit que notre séparation était due à mon orientation sexuelle », raconte-t-elle. Sa version est pourtant tout autre : la relation avec son ex-conjoint se serait arrêtée après des violences conjugales. Le couple n’est pas marié et organise une garde alternée qui se passe mal, raconte la mère. À plusieurs reprises, son ex-compagnon continue de l’intimider par message. « Elle a peur de son papa », assure la mère. Préoccupée, Anna saisit le juge aux affaires familiales pour obtenir la garde principale, avec un droit de visite et d’hébergement pour le père. Elle lance :

    « On s’est servi du principe que j’étais une femme en couple avec une femme pour me décrédibiliser auprès de la justice. »

    Que dit la justice ?

    Dans l’affaire d’Anna, le juge aurait été sensible à l’argumentaire du père. En dépit des preuves de menaces et de l’instabilité de son ex-conjoint, il a décidé de maintenir la garde alternée et de ne pas accéder aux demandes de la mère. À l’heure actuelle, en attente de l’aide juridictionnelle, elle a fait appel au jugement. Dans le même temps, son ex a également fait une demande de garde principale.

    Sandrine, elle, reste absolument sidérée par la requête du juge, qui remet en question sa capacité à prendre soin de ses enfants. « Heureusement, l’enquête n’a rien donné : j’ai toujours la garde. » Même constat pour Mélanie. Si le jugement est en sa faveur, elle regrette toutefois que le juge n’ait pas relevé le caractère discriminant des accusations de son ex-conjoint.

    La communauté LGBT+ concernée ?

    Ces situations ne concernent pas seulement les femmes lesbiennes. Maël (1), jeune homme trans de 30 ans, a eu trois enfants avec un homme cisgenre et hétéro avant sa transition. Au début de la séparation, c’est lui qui s’occupe la plupart du temps des enfants. Son ex les récupère à son gré, certains week-ends. Quand le jeune homme démarre sa transition de genre, le scénario qu’ont connu Mélanie, Sandrine et Anna commence. « Mon ex était très en colère. » Il poursuit :

    « Il leur a dit qu’à cause de moi, ils n’avaient plus de mère et que je ne serais jamais un vrai homme. »

    Devant les tribunaux, son ex explique que les petits ne se sentent plus en sécurité avec Maël. « Il a argué que mes enfants ne savaient plus qui j’étais. » Le papa trans perd la garde, ne lui reste qu’un droit de visite dans un lieu de médiation surveillé par des tierces personnes. Lui aussi a été accusé d’ « instabilité émotionnelle », cette fois à cause de sa transidentité. « Le juge me genrait au féminin – malgré mes précisions, à deux reprises, d’être genré au masculin. J’ai fini par lâcher l’affaire. »

    L’épisode est encore violent à raconter. Par la force des choses, il vit aujourd’hui avec ses enfants, son ex étant parti faire le tour du monde. Maël a demandé un deuxième jugement afin de confirmer officiellement la garde des enfants sous son toit.

    Pour Sandrine, ce sont autant de mois de bataille et d’anxiété qui rallongent les séparations et les divorces. Le sien aura duré quatre années :

    « C’est long, ça coûte beaucoup d’argent, de temps et d’énergie. »

    (1) Les prénoms ont été modifiés.

    Illustration de Une d’Aurélie Garnier.

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