Le 12 février, l’audience a été renvoyée au 12 mars après le dépôt de nouveaux documents. Si la justice hongroise n’a pas répondu aux demandes françaises, les juges tricolores ont refusé la demande d’assignations à résidence de Rexhino « Gino » Abazaj, qui continue d’être enfermé à Fresnes.
Maison d’arrêt de Fresnes, 4 février 2025 – Sur les murs de Fresnes, les grands portraits au pochoir du graffeur C215 jouent les cache-misère : l’Arménien Missak Manouchian, l’Italien Spartaco Fontano ou le Polonais Maurice Fingercwajg veillent sur la cour de promenade récemment rénovée. Ils étaient communistes, étrangers, engagés dans la résistance contre l’occupant nazi et furent, en leur temps, incarcérés à Fresnes avant d’être fusillés. Raphaël Arnault s’arrête pour prendre une photo. Avec Thomas Portes, les deux députés de la France insoumise (LFI) sont venus visiter la maison d’arrêt et rencontrer Gino. Ce militant antifasciste italo-albanais est incarcéré ici depuis son arrestation à Paris en novembre dernier sur mandat d’arrêt européen. Il est accusé par la Hongrie de violences sur des militants néonazis. Une nouvelle audience va avoir lieu mercredi 12 février pour décider de son extradition.
Encadrée par une chargée de com, une représentante de la direction, et une escorte de surveillants, la visite des députés commence par l’aile nord : son infirmerie, ses bancs de muscu’, sa salle de classe. Par la fenêtre, un gros rat traverse la cour en dodelinant. Mais pas de traces de Gino. Rendu dans l’aile sud de la prison, le cortège s’essouffle sur les escaliers en raidillon pour atteindre le dernier étage où se trouve Gino. Lunettes aux larges montures métalliques, t-shirt noir floqué d’une marque de skateurs, l’air chaleureux, le trentenaire oscille entre amusement et gêne alors qu’une dizaine de personnes tente soudainement de s’entasser dans les 9 mètres carrés qu’il partage avec son co-détenu. Après un rapide moment de flottement, les questions s’enchaînent. « Je vais bien. J’ai pu voir mon amie au parloir, même si je ne comprends pas pourquoi je n’ai pas le droit de l’appeler. Il y a des choses comme ça qui fonctionnent bizarrement », répond Gino dans un français mâtiné de quelques hésitations en italien.

La prison de Fresnes, le 4 février 2025. / Crédits : NnoMan

A Fresnes, un portrait du militant arménien Missak Manouchian a été peint sur un mur. / Crédits : NnoMan
Il n’insiste pas plus sur ses conditions de détention. Les témoignages de ses co-accusés incarcérés dans les prisons de Viktor Orban, menacés de mort jusque dans leurs cellules, placés à l’isolement sans justification, semblent lui avoir fait relativiser l’indigence de sa propre situation. Dans l’exiguïté de la cellule 22 heures sur 24, les journées sont seulement entrecoupées d’une sortie en cour de promenade – dans une petite cour – et d’une douche. Il y en a six par coursives, aux joints crasseux et aux bondes rouillées, pour 150 détenus.

A Fresnes, les journées sont entrecoupées d'une sortie en cours de promenade – dans une petite cour – et d'une douche. / Crédits : NnoMan
De nombreux soutiens
Sur une étagère, une traduction française de L’appel de la forêt de Jack London trône en bonne place. « On lui a envoyé plein de livres pour qu’il puisse s’occuper », prévient son amie Chloé (1), à qui il écrit souvent. « Il a toujours été très doué pour les langues. Il en parle déjà cinq. En ce moment, il essaye d’apprendre le français et le vietnamien », continue-t-elle. Lorsqu’il ne lit pas, Gino répond à ses nombreux courriers. Il désigne les murs de sa cellule 497, décorés de dizaines de cartes postales, dessins et photos de camarades arborant des bannières « Free all antifas ». Et sourit :
« J’ai reçu beaucoup de soutien de mes amis mais aussi de personnes que je ne connais pas. »

Gino est emprisonné à Fresnes depuis novembre 2024. / Crédits : NnoMan

Les murs de la cellule où est enfermé Gino, à Fresnes. / Crédits : NnoMan
Se considère-t-il comme un prisonnier politique ? « Oui », répond Gino. « Car la Hongrie a fait de cette affaire un procès politique en décidant de relâcher des néonazis alors que des gens de gauche risquent des peines de 16 ans pour moi et jusqu’à 24 ans pour Ilaria. » En février 2023, plusieurs participants à une commémoration nostalgique du nazisme avaient ainsi été placés en garde à vue, suspectés d’avoir tabassé des contre-manifestants, puis libérés sans poursuites. Tandis que 17 militants antifas, parmi lesquels l’eurodéputée italienne Ilaria Salis et Gino, ont été pourchassés dans toute l’Europe.
Alors qu’il vivait depuis quelques années en Finlande, Gino y était menacé d’extradition à la suite d’un mandat européen émis par la Hongrie. Il est venu trouver refuge en France, « le pays des droits de l’Homme », au printemps dernier. « La Hongrie n’est pas un État de droit. Il n’y a pas d’impartialité des juges », estime Gino.
« À la télévision et sur les réseaux sociaux, les politiciens du parti gouvernemental (Fidesz), nous ont déjà désignés comme coupables, criminels et même terroristes. »

La cellule où est enfermé Gino, le 4 février 2025. / Crédits : NnoMan
La peur d’être extradé
Les questions adressées par les juges parisiens à la Hongrie attestent d’une vigilance portée au sort des opposants, comme lui, et à la vulnérabilité de la justice hongroise face aux pressions politiques. Le 12 février prochain, ces mêmes juges auront à examiner les réponses de la Hongrie, avant de prendre leur décision. « Gino, comme tout le monde, mérite un procès équitable et, malheureusement, en Hongrie, nous n’avons aucune garantie que cela se produira, ni que ses droits seront respectés », écrit sa soeur cadette à StreetPress. Elle le décrit comme un grand frère « tendre et attentionné » qui « a toujours été contre l’injustice ».
Si les juges français choisissent de ne pas le remettre à la Hongrie, ils pourraient toutefois décider de le transférer dans un centre de rétention administratif (CRA) pour l’expulser vers l’Albanie, le pays dont il porte toujours la nationalité malgré une vie passée en Italie. Son amie Chloé s’inquiète :
« Ça revient à le faire passer d’une prison à une autre. On a très peur que si cela se produit, il soit directement arrêté à l’aéroport et que l’Albanie l’extrade. »

La porte de la cellule où est enfermé Gino, le 4 février 2025. / Crédits : NnoMan
« J’essaye de ne pas trop y penser car cela me stresse beaucoup », glisse Gino, avant que l’escorte pousse à quitter la cellule. « Faites des réserves d’eau, il va y avoir une coupure jusqu’à 22 heures », lance un gardien au militant antifasciste, en refermant la cellule. « Gino n’a rien à faire ici », assène Thomas Portes de retour à l’extérieur :
« Le renvoyer ouvrirait la voie à des chefs d’États illibéraux pour mener la chasse aux opposants politiques dans toute l’Europe. »

Le député Thomas Portes a visité la prison de Fresnes le 4 février 2025 et rencontré Gino. / Crédits : NnoMan
« J’espère que la France ne va pas se couvrir de honte dans cette affaire. » Vue de l’extérieur, la maison d’arrêt se donne des airs de petite gare de province avec sa façade en pierres meulière surmontée d’une grosse horloge. Pour Gino, le temps s’est arrêté.
(1) Le prénom a été modifié.
Illustration et photos de NnoMan.
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