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    01/07/2025

    Youssef, Mitia, Rachel, Robin et Violette ne passent pas le bac cette année

    Harcèlement, phobie scolaire et solitude : des décrocheurs racontent pourquoi ils ont quitté l’école

    Par Blanche Ribault

    Ils ont l’âge d’être en terminale et de passer leur baccalauréat pour continuer leurs études. Ils ont tous décroché. Entre harcèlement, phobie scolaire, et drame familial, des lycéens racontent leur sentiment d'échec et de solitude.

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    « Quand mon père est décédé d’un cancer en début d’année, c’est là que je me suis dit que le bac, je n’en avais plus rien à faire. » Les mots de Youssef (1) s’enchaînent vite, comme pour empêcher la douleur de remonter. Quelques mois après le drame, le lycéen de 18 ans quitte définitivement sa classe de terminale en Seine-Saint-Denis (93) pour aider sa mère qui enchaîne les petits boulots :

    « Continuer les études, ça n’avait plus de sens pour moi. J’étais brisé. Je le suis encore. »

    Tandis que des milliers de lycéens passent l’examen du baccalauréat jusqu’au 4 juillet, d’autres ont décroché. Violette, elle, a quitté le lycée en classe de première. « Je suis très contente de ne pas passer le bac, j’aurais fait un craquage nerveux. Mais en même temps, je me dis : “Ils ont réussi et pas moi.” » Mitia a lâché les cours en seconde : « Quand je vois tout le monde qui parle des sujets du bac, des révisions, des études supérieures… J’ai l’impression d’être sur une autre planète. »

    En France, près de 80.000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans diplôme. Youssef, Mitia, Rachel, Robin et Violette en font partie. Phobie scolaire, harcèlement, difficultés à s’adapter au cadre scolaire, mauvaises notes… Ils racontent à StreetPress leur sentiment d’exclusion, parfois d’échec, et la peur de l’avenir.

    Phobie scolaire et harcèlement

    Mitia, 17 ans, a quitté l’école en classe de seconde pour phobie scolaire. Son angoisse est née en quatrième, après un an de confinement : « Chaque matin, au moment de mettre mon sac à dos, je fondais en larmes. J’étais bon élève, j’avais des amis, mais j’avais cette peur irrationnelle d’aller à l’école. » L’adolescent du Morbihan (56) espère « prendre un nouveau départ » au lycée. Sans pouvoir en expliquer les raisons, il s’effondre quelques jours après la rentrée :

    « Mon corps a lâché, je n’arrivais plus à me lever ni à manger. Pendant que je voyais les autres de mon âge s’épanouir au lycée, j’étais seul dans ma chambre à déprimer. »

    Une phobie scolaire que Rachel, 17 ans, a aussi développée au collège. À la maison, l’adolescente vit une situation familiale « catastrophique », explique-t-elle : « Mes parents se disputaient tellement que ça m’empêchait de me pencher sur l’école et d’avoir des temps de repos. » Au lycée, malgré ses efforts, ses notes baissent. « Des profs me disaient que je n’irai nulle part avec mes résultats, et que j’avais l’air socialement décalée. » La lycéenne subit en plus le harcèlement de ses camarades, qui l’insultent notamment de « chienne ». Elle quitte sa Première en décembre 2023 avant d’être hospitalisée en raison de pensées suicidaires.

    Parfois, les violences viennent directement des adultes. Pour Robin, c’était une directrice. Francilien de 18 ans en terminale, il ne va plus en cours depuis deux mois. Son décrochage remonterait à un harcèlement transphobe en troisième, année de son coming out trans : « La directrice me convoquait pour me dire que ma mère ne devait pas m’appeler Robin et que j’étais un mauvais enfant. » Lors d’une convocation, la directrice l’aurait touché en pleine crise d’angoisse : « Je pense qu’elle essayait de me faire voir mes parties intimes parce qu’elle appuyait sur ma nuque et me maintenait les jambes écartées. Elle disait que j’avais des seins et que je devais me regarder pour comprendre que je n’étais pas un garçon. » Ce harcèlement aurait duré quatre mois, entraînant chez l’adolescent mutilations et pensées suicidaires.

    Traumatisé, Robin passe par le Centre national d’enseignement à distance (CNED) pour terminer sa troisième depuis chez lui. Puis, il entre au lycée, en présentiel. Mais l’enfer reprend. Son proviseur aurait transmis un signalement à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), accusant la mère de Robin de le pousser à la transition. « On a appris plus tard qu’il connaissait bien ma directrice de collège. Ma phobie scolaire a explosé, j’ai eu peur d’être séparé de ma mère. » Il change encore d’établissement. Malgré ce nouveau lieu qu’il définit comme « familial et bienveillant », le stress post-traumatique le rattrape : crises d’angoisse, flashbacks, tentative de suicide… En terminale, Robin arrête les cours.

    Inadaptés au cadre scolaire

    Pour les jeunes neuro-atypiques – les personnes atteintes d’un trouble dont le fonctionnement neurologique diffère de la norme –, le cadre scolaire peut vite devenir intenable. À son arrivée dans un grand lycée lyonnais (69), Violette, 18 ans, va déjà peu en cours. Elle évoque une dyspraxie, un trouble borderline, un trouble de l’attention et autistique – autant de troubles reconnus pour perturber l’apprentissage et la scolarité, ou encore la gestion des émotions et la relation aux autres, entre autres. « On me donnait l’impression que j’étais stupide car j’avais du mal à m’organiser. Je peux paniquer si on ne m’explique pas étape par étape. » Elle finit par quitter l’établissement en première : « Personne ne s’est inquiété », lâche Violette. « C’est impossible de voir quand un élève coule dans un lycée aussi grand… », analyse-t-elle, avant d’ajouter avec regret :

    « On est pourtant nombreux à ne pas pouvoir apprendre de façon classique et à se faire violence pour s’adapter. »

    Même constat pour le fils de Mathilde, reconnu Haut potentiel intellectuel (HPI), responsable de difficultés à l’apprentissage. Pression sur les notes, réticence des lycées à l’accueillir, manque d’accompagnement… Après un parcours difficile, le jeune Landais (40) de 18 ans ne parvient pas à finir sa terminale. Malgré des troubles neurovisuels avérés et un diagnostic de trouble de déficit de l’attention (TDAH) en cours, le proviseur du lycée aurait « refusé un aménagement à ce stade de la scolarité, insisté sur une réorientation et affirmé que le système scolaire n’est pas fait pour tout le monde ». Elle lance, en colère :

    « On nous parle d’inclusion, mais on nous abandonne et on nous culpabilise. La responsable inclusion du lycée a dit à mon fils qu’on aurait dû le scotcher sur une chaise pour les devoirs. »

    Elle conclut, amère : « Si ça arrivait à un adulte, on parlerait de harcèlement ou de burn-out. Mais lorsqu’il s’agit de jeunes, ce type de pression est banalisé et justifié comme une méthode éducative. »

    Et après ?

    En guise d’alternative, de nombreux élèves en décrochage passent par le CNED. L’instruction étant obligatoire jusqu’à 16 ans révolus, Mitia s’y inscrit en seconde avant de décrocher quelques mois plus tard : « J’étais dans un état physique et psychique terrible, je n’arrivais pas à me concentrer. Ça demandait une discipline et un cadre que je n’avais pas. » Violette, de son côté, reprend pied grâce à un service civique de six mois au sein de L’Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev) après l’arrêt de sa première :

    « J’avais enfin l’impression de faire quelque chose qui a du sens. »

    Mais lorsqu’elle intègre un lycée à la rentrée suivante, le rythme intensif des examens la submerge à nouveau. Elle quitte définitivement l’établissement en avril.

    Pour aider les jeunes sans formation ni emploi, 440 missions locales accompagnent chaque année 1,1 million de jeunes en France. Si les ateliers organisés dans ce cadre ont permis à Rachel de « sortir de (s)a routine », Mitia, suivi depuis deux ans, est plus critique : « On m’a proposé des dispositifs très génériques, inaccessibles pour mon âge ou pas encore financés », déplore-t-il. « Il y a un manque de moyens, certains formateurs étaient dépassés. » Contactée, l’Union nationale des missions locales n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress sur ce sujet.

    Sans le fameux diplôme du baccalauréat, Rachel s’inquiète pour son avenir. Alors que ses camarades sont branchés sur la page de Parcoursup pour valider leurs vœux d’affectation, la jeune fille galère à trouver des formations accessibles sans conditions de diplôme. S’ajoute à cela la pression financière. Sans être scolarisée, elle n’a pas le droit aux bourses, et Rachel est trop jeune pour toucher le Revenu de solidarité active (RSA), réservé aux plus de 25 ans (2) :

    « Mon père a quitté la maison et les revenus de ma mère sont incertains. J’attends ma majorité avec impatience pour pouvoir travailler. »

    Choisir son avenir

    Youssef, lui, a déjà commencé dans la restauration : « Ma mère voulait que je continue l’école, mais je ne veux pas être un poids supplémentaire. » Le jeune de Seine-Saint-Denis se renseigne actuellement sur les formations dans le BTP, un autre secteur qui recrute. « Je travaille tard, j’ai très peu de temps pour me poser et réfléchir à la suite. » D’autant que les options à explorer lui paraissent réduites :

    « En entretien d’embauche ou ailleurs, je sais déjà qu’on va me coller l’étiquette raciste de l’ado de banlieue, arabe, flemmard, sans bac, qui risque de tomber dans la drogue et a besoin d’être “réintégré”. Je ne veux ni pitié ni réintégration, je veux juste une vie et un logement correct. »

    Après des mois de harcèlement transphobe, Robin explique avoir renoncé à de longues études en psychiatrie : « Mon agression a complètement modifié ma vision du futur », souffle-t-il. Depuis, il parcourt les conventions de tatouage pour se former dans ce domaine accessible sans diplôme scolaire : « C’est la seule chose qui me fait sortir et rencontrer des gens ouverts d’esprit. » Mitia, qui compte effectuer un service civique prochainement, confie : « Un jour j’ai hâte de l’avenir, le lendemain je me dis que ma vie est terminée, et que sans bac, je vais droit dans le mur. Mes amis scolarisés angoissent eux aussi. Au final, bac ou pas bac, le résultat est le même : on est paumés. » Pour Violette, grandir entourée de frères et sœurs ayant tous changé de voie l’a rassurée :

    « Ça aide de savoir que d’autres chemins sont possibles. C’est normal de ne pas savoir ce qu’on veut à 17 ans ou même après. Il faut trouver ta propre formule, celle qui te conviendra. »

    (1) Ce prénom a été modifié.

    (2) Une allocation ponctuelle existe pour les jeunes en recherche d’emploi. Plus d’informations en cliquant ici

    Illustration de Une de Yann Bastard.