Jusqu’à ses 16 ans, Marie N. a suivi son père, diplomate gabonais, dans tous ses déplacements : Côte d’Ivoire, Afrique du Sud, Sénégal… Quand il s’installe durablement au Gabon pour s’impliquer dans la vie politique de son pays – il a notamment été ministre, elle rejoint sa mère en France. Depuis trois ans elle n’a pas vu son père. Étroitement surveillé après avoir déclaré sa candidature à la présidentielle gabonaise de 2009, Marie est sans nouvelles de lui depuis plusieurs jours. Par peur des représailles, la jeune femme préfère garder l’anonymat.
Après une courte accalmie, ton père est de nouveau assigné à résidence depuis les élections législatives de mi décembre…
Oui, le cauchemar a repris depuis les dernières élections. Pourtant, mon père s’est totalement retiré de la vie politique. Je n’arrive pas à le joindre. Je ne peux même pas demander l’aide du consul gabonais de France. Ce dernier est un membre du PDG (le parti au pouvoir, ndlr) comme tous les autres diplomates gabonais…
Tout cela a commencé quand il a décidé de se présenter aux élections présidentielles de 2009?
Mon père a rejoint les bancs de l’opposition au début des années 2000 en intégrant le PGP (Parti Gabonais du Progrès). C’est en s’investissant de plus en plus dans le parti qu’il a pu faire la rencontre de Pierre Mamboundou, opposant historique du clan Bongo et président de l’Union du Peuple Gabonais (il est mort le 15 octobre 2011, ndlr). Mon père s’est déclaré candidat à l’élection après le décès de Omar Bongo. Son programme reposait sur une meilleure justice sociale : 70% des gabonais vivent avec moins de 2 euros par jour. Les membres du gouvernement s’enrichissent grâce aux recettes du pays. Ils feraient mieux de mener à bien des projets sociaux pour une meilleure redistribution des richesses.
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Comment s’est passée la campagne ?
Sa maison a été encerclée par des policiers quelques jours après son début de campagne. Il devait les soudoyer pour sortir de chez lui. C’était une assignation à résidence, non officielle. Son entreprise agro-alimentaire, qui exportait dans toute l’Afrique, a mis la clé sous la porte : les autorités sanitaires ont cessé de lui délivrer les autorisations pour vendre ses produits. Son passeport diplomatique lui a été confisqué. Depuis, la préfecture refuse de lui donner une nouvelle pièce d’identité. Mon père, cet ancien diplomate, est aujourd’hui un «sans-papiers» dans son propre pays. Il ne peut plus quitter le territoire gabonais. C’est la raison pour laquelle il a mis entre parenthèses son combat politique. Face à de telles menaces, il a d’abord pensé à protéger la vie de ses enfants.
Ton père avait-il conscience du danger qu’il prenait en se déclarant candidat ?
Pas vraiment. Il avait un point de vue occidental sur la question. Il savait que le Gabon était une dictature mais il pensait pouvoir défendre ses idées. Il a vite déchanté quand il a vu l’armée tirer sur des manifestants inoffensifs. Ses amis gabonais l’avaient pourtant dissuadé de se mêler de la politique. Le dynastie Bongo règne depuis plus de quarante ans et n’a pas l’intention de se laisser marcher sur les pieds.
Ton père a fait partie du gouvernement gabonais dans les années 90. Quel regard portait-il sur Omar Bongo ?
Mon père n’a jamais entretenu de relations amicales avec le clan Bongo. Il a géré son ministère de façon autonome, sans accepter les pots-de-vins. Sa mission a pris fin au bout de six mois. De toute façon, les ministres qui n’appartiennent pas au PDG (Parti Démocratique Gabonais), à la franc-maçonnerie ou à l’ethnie Téké (ethnie de Bongo) ne font jamais long feu. Mon père est un homme qualifié dans le domaine de la recherche. Il est docteur en anthropologie. Malheureusement, Bongo ne sélectionnait pas toujours son équipe ministérielle sur des critères de compétence: Si tu es un lointain cousin Téké, le baccalauréat te suffit largement pour intégrer le gouvernement ou accéder à une haute fonction.
Détient-il des informations confidentielles sur les affaires des mallettes et des biens mal acquis ?
Mon père ne s’est jamais confié sur ces deux affaires. Mais il a été témoin d’autres événements qui prouvent la malhonnêteté d’Omar Bongo: Il y a une vingtaine d’années, un suisse a tenté de quitter le territoire gabonais avec une mallette contenant une dizaine de masques d’une valeur de plusieurs centaines de milliers d’euros. Les autorités douanières ont d’abord bloqué la mallette. Mais mon père, alors en poste au ministère de la culture, a reçu un fax de la présidence lui ordonnant de la laisser passer. Pourtant, aucune facture ne prouvait leur achat…
Quel regard porte-t-il sur la Françafrique?
Il pense que la Françafrique garantit la pérennité des dictatures. Il rêve d’une diplomatie Africaine normalisée, à l’image des rapports que la France peut entretenir avec l’Allemagne. Bien sûr, ça reste une image…. Mais le Gabon doit cesser de privilégier l’exploitation de sa forêt et de son pétrole par des entreprises françaises. Pourquoi la France n’a pas envoyé de casques bleus au Gabon comme elle l’a fait en Côte d’Ivoire? Les manifestations à Libreville ont pourtant été réprimées dans le sang. Les médias ont préféré minimiser la situation, évoquant quelques échauffourées. Si la France est intervenue en Côte d’Ivoire, c’est pour déloger le président sortant, Laurent Gbagbo. Ce dernier avait dit « Stop à la France » et ouvrait son marché à la Chine. Il fallait un président, comme Alassane Ouattara, qui accepte de faire les quatre volontés de l’hexagone.
Sa maison a été encerclée par des policiers quelques jours après son début de campagne. Il devait les soudoyer pour sortir de chez lui
bqhidden. Pourquoi la France n’a pas envoyé de casques bleus au Gabon comme elle l’a fait en Côte d’Ivoire ?
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