7h30. À la sortie du RER Nanterre-Université. Plusieurs mains s’agitent pour fourrer au plus vite leur programme dans les bras des étudiants à moitié endormis. En langage syndical, ça s’appelle « faire du bouton de veste », s’accrocher coûte que coûte. Quelques étudiants plient les flyers, les regardent vaguement avant de, parfois, les jeter. Non, parce qu’élection étudiante ou pas, il pèle ce matin. Quitte à s’intéresser au scrutin, autant le faire à l’intérieur ! Une jeune militante de l’Unef se marre : « ça doit être parce qu’il y a du vent qu’on se prend des vents ! »
Ordre de bataille Dans les rangs de l’Unef , le principal syndicat de gauche, la pression monte. Quatre mois qu’ils préparent le scrutin. Ce matin, ils sont arrivés à 6h45. Un grand café, même deux pour certains, le briefing sur les rapports de force, quelques notions de base sur les conseils centraux et les voilà partis aux quatre coins de l’immense fac de Nanterre. Des potes d’autres facs de la région parisienne sont venus donner un coup de main.
À la Confédération étudiante , un syndicat apolitique défenseur de la société civile, les soutiens viennent même de plus loin. Mohammed Amin tracte sans relâche à l’entrée de l’UFR de sciences humaines. « Je suis à la fac à Lyon II. Le syndicat nous a payé l’hôtel et le trajet pour qu’on vienne les aider. On a même pas le temps de visiter Paris ! » Les étudiants qu’il interpelle font semblant d’avoir déjà reçu vingt fois le même papier. Au mieux, ils s’excusent du regard, un peu comme lorsqu’on ne donne pas d’argent au SDF qui vient nous en demander dans le métro. Mohammed n’a qu’un objectif, chiffré : « amener 35 personnes jusqu’à l’isoloir. Je les fais d’abord signer une petite pétition pour des rattrapages en juin, et non plus en septembre. Ça leur parle, généralement. »
[Paris X Nanterre – C’est où]
Tu peux me réexpliquer la différence entre le CA et le Cevu ?
Une sucette ? A une quinzaine de mètres, Hugo tracte aussi. En L2 de philo, trésorier de l’Unef à Nanterre, il est lui-même élu dans un conseil, mais pas celui pour lequel l’université vote aujourd’hui. Il répète en boucle : « Allez voter pour les élections étudiantes, vous avez jusqu’à 19h ! » L’impression tout à coup, d’être au milieu d’une rue passante en train de se faire alpaguer par Aides, Médecins du Monde et Care en même temps. « Y’a un peu de ça ! Sauf qu’on n’est pas payés et qu’on ne demande pas d’argent à ceux avec qui on discute ! » Hugo poursuit : « Ca me fait penser au MeT (le syndicat plus à droite) il y a quatre ans, leur slogan c’était « Votez MeT pour une sucette » et ils en distribuaient des paquets entiers… »
Euh… 1 sur 5 ? Ici, la participation tourne autour de 12 %, c’est mieux qu’à l’échelle nationale (autour de 7,5 %), mais c’est loin d’être Byzance. Marina, les yeux ronds, débarque : « Ah bon, y’a une élection ? Pourquoi ? Ouh là, ça a l’air compliqué…» Un membre de l’équipe administrative, sous l’anonymat, confie : « Faut dire qu’on a commencé à placarder des affiches il y a seulement quinze jours… y’a eu très peu d’info. » La preuve, même les militants se perdent : « Tu peux me réexpliquer la différence entre le CA et le Cevu ? »
Pour pallier ce manque de visibilité (et de compréhension des élections), l’Unef a une stratégie. Anne Fraquet, la présidente du syndicat à Paris X, a pris des centaines de rendez-vous téléphoniques avec des étudiants pour leur expliquer les enjeux du scrutin. Les autres syndicats, eux, remettent en cause l’absence de débat voulue, selon eux, par l’Unef. « Résultat : seuls ceux qui sont au courant votent », se désole Simon Bacik, secrétaire national de la Cé.
“Comment pourrais-je décliner poliment…”
Faut dire qu’on a commencé à placarder des affiches il y a seulement quinze jours… y’a eu très peu d’info
Interrompre les TD 12h45. Les militants vont interrompre les cours pour tenter de faire un petit speech sur les élections. À condition que le prof veuille bien. « Au début, tu flippes et au bout de la dixième fois où tu te fais jeter, tu t’en fous », sourit Kévin, venu de Paris 4 (la Sorbonne) pour aider. « Et puis je préfère me faire ‘tèj’ que de tomber sur un prof qui te laisse parler et qui dès, que t’as fini, te casse en mode ‘‘l’Unef c’est de la merde’‘. »
A quelques encablures, un petit groupe. La plupart n’iront pas voter, « en tout cas pas pour l’Unef ! » Seul Baptise, en première année de droit, a bien en tête les enjeux. Et l’envie « de faire bouger les choses. » Près d’eux, les étudiants commencent à se lasser : « oui, c’est bon, j’ai déjà reçu trois fois ton papier. » Les syndicats, eux, ne baissent pas les armes dans leur guerre de chapelles – des querelles assez éloignées des objectifs du scrutin. Un jeune militant de l’Unef croise une jeune fille de la Cé et se moque, imitant la voix de Fred du SAV : « Ben alors, on milite plus ? », puis, dès qu’elle est passée, « ils les prennent dans un asile, sérieux, ils vont pas finir la journée. » Ambiance.
Une salle de vote vide Après être passée à tous les stands (sauf ceux du MeT, étrangement absent de l’UFR sciences humaines, et la Fax, la fédération des associations), voici enfin la salle de vote… vide. « C’est difficile de politiser une fac aussi énorme. Surtout l’IUT, un peu éloigné, et la fac de médecine », estime Hugo. Pierre, lui, vient de mettre un vote dans l’urne.
« Pourquoi j’ai voté ? Euh, honnêtement, parce qu’on m’a dit de le faire. Je sais même pas trop pour qui j’ai voté. »
Une lettre anonyme en 4 par 3
bqhidden. Ah bon, y’a une élection ? Pourquoi ? Ouh là, ça a l’air compliqué…
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