Jardin partagé des Beaudottes à Sevran (93) – 17h. « Vas-y, prends lui une tomate à elle, elle m’énerve celle là. Vite, personne ne regarde ! ». Discretos, Chaïma obtempère et donne à son père l’objet du délit. Une belle tomate bien juteuse. A Sevran, même dans un potager, on est à l’abri de rien: Depuis un an, un concept vient fleurir le quotidien des habitants de la « cité du 93», celui des jardins partagés. En clair, des petites parcelles de terre cultivables où quelques familles se partagent le plaisir de la terre…et des commérages.
« C’est vrai qu’on regarde beaucoup chez le voisin…voir ce qui pousse… » avoue Maria Fonseca, une dame originaire du Portugal qui habite l’immeuble d’en face depuis près de 25 ans. Et ça commence dès l’entame de la réunion quotidienne du groupe. Sujet du jour : la possibilité que le jardin devienne payant pour ses usagers, à hauteur de 30 euros par an. « Les gens veulent même pas acheter de sécateurs ici, alors qu’ils arrivent à jouer au tiercé tous les jours ! » s’énerve l’un deux. Le ton est donné: c’est parti pour 30 minutes de chamailleries !
Arnaque, rhum et botanique La principale source de dispute au potager des Beaudottes c’est l’alcool. « En gros, il y a deux clans: les buveurs-antillais pour les nommer comme cela et les non-buveurs » se poile Sacha, habitant à Sevran depuis 19 ans et lui même amateur de rosé. 
« Ils pensent que le jardin n’est là que pour se bourrer la gueule ! », râle une petite mamie. « Boire un petit coup à l’apéro dans la limite du raisonnable, cela ne fait de mal à personne », rétorque t-on du coté des buveurs. Joël 36 ans, chef du projet jardins partagés, est chargé de trancher: « On va pas se balader avec un alcootest pour savoir à quels degrés les gens ont bu… » Mais alors qu’on croyait la dispute terminé, un participant remet le couvert: « La question n’est pas que sur l’alcool ca va bien plus loin ». Car quand ce n’est pas les boissons alcoolisées qui posent problème dans le jardin c’est l’eau ! Une règle établie que les jardiniers ont le droit d’arroser leurs plantes grâce à des arrosoirs. Or le tuyau c’est bien plus pratique… et quelques uns n’hésitent pas à l’emprunter, discrètement si possible, en laissant les autres attendre leur tour.
En gros, il y a deux clans: les buveurs-antillais pour les nommer comme cela et les non-buveurs
On va pas se balader avec un alcootest pour savoir à quels degrés les gens ont bu…
« Moi je sais qui c’est ! J’ai vu des gens qui venaient la nuit pour arroser je sais qui c’est !», clame Joseph un habitant en jogging rouge et bleu. « Je ne vais pas dénoncer qui c’est mais bon… » . Sa dernière réflexion a le don d’énerver beaucoup son voisin. L’homme au survêtement lui répond : « Tu sais que bientôt ce sera payant cette eau ! Et tu sais combien ça va te coûter hein ? ». Et toc.
Vols de salade Pour Ali, depuis « seulement » trois ans à Sevran, au-delà des petits conflits c’est surtout le brassage des personnalités et des cultures qui pose problème. Joseph acquiesce : « Moi une fois j’ai fait une réflexion…juste une réflexion hein ! Eh ben pour se venger ils m’ont volé mes tomates ! Ce n’était pas des enfants qui ont fait le coup, je sais, j’ai mesuré : il y avait des traces de pieds dans la terre et c’était pas des pieds d’enfants ! ».
Sur ce point là, tout le monde est d’accord : cela ne se fait pas. « Moi aussi, on m’a pris une salade ! Je suis dégoutée, je les ai attendues longtemps ces salades… et je les ai comptées, il m’en manque une ! Si quelqu’un la voulait il m’aurait demandé je lui aurais donnée en plus… », se lamente une jeune métisse en faisant la moue.


Ali en gentleman tente de calmer le jeu : « Nous sommes des adultes. Il faut passer au-dessus, justement il faut qu’on puisse assurer au moins ça à Sevran ! Le nom l’indique c’est ‘partagé’, pour une fois qu’on est en contact avec les autres ! ». « Ah ça c’est le premier truc de bien qu’on dit ! » lance ma voisine dans une regard d’approbation. Au tour de Joël de faire redescendre la tension :« Moi, si on m’avait dit il y a trois ans que le problème que je rencontrerais aux Beaudottes serait les tuyaux d’arrosage, je ne les aurais pas cru ! », souffle-t-il provoquant l’hilarité générale. « Le jardin ne règle pas les problèmes de voisinage…c’est de la colocation ! Le critère ce n’est pas tellement qu’ils soient contents, c’est plutôt qu’ils soient ensemble ».
Lui par exemple ça fait des années qu’il habite ici et je ne l’avais jamais vu avant
Monde parallèle Et le message de Joël passe plutôt bien chez les jardiniers de Sevran. Sacha: « Ici c’est ma bouffée d’air. On est en retrait de la cité, elle est là, on la voit, mais on décroche complètement. C’est comme si on ouvrait la porte d’un monde parallèle, agréable et utile à la fois. » Il pointe du doigt un homme qui arrive: « Lui par exemple ça fait des années qu’il habite ici et je ne l’avais jamais vu avant! ». Avant de lui taper dans la main. 

Madame Fonseca, franco-portugaise de 58 ans arbore un grand sourire: « C’est vrai, le jardin a un peu changé ma vie…Maintenant je passe tout l’après-midi avec les voisins. On les connaissait pas tous avant mais maintenant oui ! » Des propos repris par Joseph et sa moustache: « Chacun a mis son petit grain de sel, ça a fait une petite famille : on rigole, on partage, on discute, on s’engueule, eh oui, mais c’est aussi ça le dialogue ! »
Le conseil de sécurité du jardin potager
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