Paris – 1980. La halle de la Villette est en construction, quand le photographe Gilles Elie Cohen, rencontre les Del Vikings :
« C’était pas un gang, c’était une bande. Les gangs font du business, pas eux. Ce qui les réunissait, c’est la chaleur, l’amitié… La baston c’était juste un sport. »
« Le temps d’une étincelle », six mois en fait, Gilles Elie Cohen suit ces « mômes ». Pas encore 20 ans et fans du rock des fifties, l’avenir leur appartient :
« Ils partaient à la conquête de la lumière de la ville, du showbiz. »
(img) Le fly’ de l’expo
Certains deviendront acteurs – on croit reconnaître Simon Abkarian sur les photos – un autre est devenu champion du monde de boxe thaï. Quelques-uns auront « un destin tragique ». Une aventure que le photographe et documentariste avait rangée dans un coin de sa tête, mais le destin a décidé de remettre tout ça sur le tapis :
« J’avais un DVD avec toutes les photos. J’ai décidé de les mettre sur Facebook et tout ça m’est tombé dessus par hasard. »
« Tout ça », c’est une très belle expo de photos prises avec « des lentilles 35 et 50 mm, pas de grand angle, c’est ça qui donne l’impression de passé ». A visiter jusqu’au 28 mars à l’“Addict Galerie”:http://bit.ly/1DWLD1M , rue de Thorigny dans le troisième arrondissement de Paris.
Tu les as rencontrés comment ces mecs ?
Totalement par hasard. Je faisais un reportage sur la banlieue et j’en étais à me demander s’il fallait l’épingler comme on épingle les insectes dans un catalogue, ou bien faire quelque chose plus dans le flou ou la surimpression… (Il désigne la planche contact avec les photos prises ce jour-là. On voit une succession de formes et d’immeubles flous et puis un portrait des Del Vikings.). J’arrive sur le terrain de la Villette, qui était en construction, et je les croise. C’est ma première rencontre avec eux.
Le contact est tout de suite bon ?
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Oui, c’était cool, on a tout de suite eu un bon contact. Etre pris en photo, c’était déjà intégré dans leurs fantasmes. Je faisais en quelque sorte partie de leur trip.
Et ils faisaient quoi ce jour-là ?
Eux, ils étaient à la lisière de la ville… Je crois qu’il y avait une cabane dans laquelle on donnait des concerts de rock 50’s. C’était très marginal. Des trucs de rockers. Je crois qu’ils étaient là pour ça. Ils m’ont raccompagné en caisse et on s’est filé un autre rendez-vous, à gare du Nord. On n’avait pas de téléphone à cette époque.
De manière générale, ils traînaient où ?
Gare du Nord. Surtout dehors ou dans des cafés. Parfois, il y avait une soirée en banlieue, dans une espèce de maison de la culture. Je me souviens c’était un prêtre ouvrier qui organisait ça. Il y avait des disques qui passaient et de temps en temps un concert.
En musique ils écoutaient quoi ?
Du pure fifty. Gene Vincent, c’était le dieu absolu, le sommet : c’est le symbole de la pureté, c’est l’homme qui ne s’est jamais compromis.
C’était quel genre de types ?
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Je suis mal placé pour faire une description ethnologique des mecs. Ce qui m’intéressait c’est leur image. Après c’était un groupe métissé avec des gens venus de tous les milieux, même s’il y avait surtout des prolos. Petit Jean, je crois que ses parents avaient un salon de coiffure. Hassen, je sais qu’il faisait des pizzas. Un autre je sais qu’il travaillait à Orly. Mais je ne cherchais pas vraiment à savoir qui venait d’où.
Et c’est quoi qui les réunissait ?
Ce qui les réunissait, la bande et la musique bien sûr. Pour la majorité, la vie, c’était les filles et la musique. Il y en avait d’autres qui aimaient bien les bastons.
C’était quel genre de bastons ?
Ça explosait par un mec en une seconde et tout le monde se fédérait autour de ça. C’était quand même très stylé, esthétique. Les bastons étaient dansées. C’était extraordinaire, il y avait toujours cette conscience-là. Mais un mauvais coup pouvait partir. Heureusement, il n’y en a jamais eu. Ça aurait pu…
Et toi tu réagissais comment ?
Tant que je n’étais pas menacé, je rentrais dedans pour photographier. Si je risquais d’en prendre une, je prenais deux trois photos et je foutais le camp (il désigne une photo, ndlr). Une baston comme ça tu vois, ça va, je risque rien. C’est intérieur à la bande. Après, en prenant des photos tu pousses les mecs à se taper dessus (il en désigne une autre, ndlr). Là c’est plus strange. C’est parti en baston entre les Panthers et une bande de racistes. T’arrives, ça éclate, t’as dix secondes. Clac-clac-clac, tu prends les trois clichés, et faut que tu décroches, parce que tu ne sais pas qui va venir derrière toi.
Tu parles d’embrouilles avec les bandes d’extrême droite, est-ce qu’ils avaient une conscience politique ?
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Je pense qu’ils étaient fiers d’être blacks, et qu’ils n’aimaient pas qu’on les emmerde là-dessus. C’était d’office. Après, ce n’était pas ostentatoire, ils ne se revendiquaient pas antifascistes. Les mecs, ils étaient black and white et ils ne se posaient pas de question.
Il continue de sortir les photos d’une boîte en carton.
Cette bagarre-là, tu vois, c’est les Vikings contre les Panthères. Ils étaient potes. Et puis il y a deux mecs, je ne sais même pas pourquoi, à la suite d’une party, il y a eu un combat. Et cette embrouille a dégénéré en bagarre générale. Comme ils se sont rentrés dans la gueule, les Panthères m’ont dit « Ou c’est nous ou c’est les Vikings ». Comme je connaissais les Vikings depuis plus longtemps, j’ai dit « Ecoute, je vais rester avec les Vikings ». Mais on ne s’est pas fâchés.
Et ça se passaient comment avec les flics ?
Ils avaient une attitude bizarre, que je n’ai jamais vraiment comprise. On aurait dit qu’ils les laissaient un peu faire. Je me suis toujours demandé pourquoi ils ne leur cognaient pas dessus. En même temps, tant mieux parce que si tu fous ces mecs en taule, ils deviennent des vrais bandits.
Sur tes photos, il y a de la baston mais aussi beaucoup de danse…
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Oui, c’était des danseurs pas possibles. C’était étonnant, des acrobates. Ils avaient une telle énergie, une violence physique… Dans ces moments-là qu’est-ce qu’ils étaient beaux, et quel talent ! C’est pour ça que plusieurs sont devenus comédiens, comme Choukri (Gabteni , ndlr).
Ils s’entraînaient à danser ?
Non, ça sortait des tripes, tu vois. C’était du rock à deux. Il y avait des nanas qui les suivaient, il y avait des histoires d’amour, des couples. C’est une bande fifty avec un côté très straight.
T’as gardé contact avec certains d’entre eux ?
Oui, certains sont toujours des potes. Parfois on se perd de vue, parfois on se retrouve. Il y a un mec qui a un restaurant rue Caulaincourt , au 41. Excellent d’ailleurs. Il m’a retrouvé par Facebook quand j’ai mis les photos en ligne…
Et en 2000, tu en as retrouvé certains pour tourner le docu « Rock contre la montre ». Pourquoi cette envie ?
Je me souviens : à l’époque j’avais arrêté tout ce qui était artistique pour ouvrir une pharmacie. Et un jour, arrive comme client un des mecs, Mickey. Et puis il repasse de temps en temps, me donne des nouvelles des uns et des autres. Et à partir de là, j’ai eu envie de faire un docu .
Et t’as bazardé la pharmacie ?
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C’est elle qui m’a bazardé : j’ai fait faillite ! Le matin j’étais au tribunal de commerce pour la mise en dépôt et l’après-midi j’avais rendez-vous avec Arte.
Dans ton docu, certains des mecs ont l’air perdu. On apprend aussi que certains sont morts…
Il y a des destins tragiques bien sûr. C’est l’histoire du rock, c’est toujours des personnages tragiques : la mort, la drogue… Tu ne deviens pas un pépère.
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui je m’intéresse à d’autres choses : je suis en train de préparer un documentaire sur le parcours d’une ethnologue en Tunisie qui est chargée par le CNRS de faire l’inventaire des vestiges juifs.
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