La fusillade de la mosquée de Québec est un attentat terroriste.
Justin Trudeau, le premier ministre canadien, a tout de suite employé le mot. Les médias ont été prudents, ils ont préféré, dans un premier temps, mettre « attentat » et « terrorisme » entre guillemets.
On peut l’analyser de façon positive : les journalistes ont tiré les leçons des précédents épisodes tragiques et prennent le temps de vérifier, de démêler les rumeurs. Ils ont attendu d’avoir des informations fiables et confirmées sur l’auteur de la fusillade pour ne pas alimenter la panique. On ne peut que les en féliciter.
Mais on ne peut nier que s’est aussi, même inconsciemment, imposée l’idée que quand le terrorisme n’est pas islamiste, ce n’est pas vraiment du terrorisme.
C’est bien évidemment une erreur.
Le terrorisme islamiste n’est qu’une infime portion du terrorisme
C’est tout d’abord une erreur historique. Le terrorisme islamiste est très récent dans l’histoire du terrorisme. La première vague terroriste de l’histoire n’a rien à voir avec la religion : c’est le terrorisme anarchiste au 19ème siècle.
Dès le 19ème siècle, et jusqu’à aujourd’hui, se sont aussi développés des terrorismes « indépendantistes », « nationalistes » (pensons à l’IRA, à l’ETA, etc.).
Les années 1970-1980 ont connu les grandes vagues de terrorisme politique : Action Directe, la Bande à Baader pour l’extrême Gauche, les Loups Gris pour l’extrême-droite, par exemple. Et cette liste est loin d’être exhaustive.
Aujourd’hui, l’exemple de la Turquie est un des plus parlants : le pays est frappé à la fois par Daesh et par les indépendantistes kurdes. L’enjeu kurde existait bien avant Daesh et existera bien après.
On ne sait pas définir le terrorisme
Alors comment définir clairement l’attentat terroriste ? C’est presque impossible. Il n’y a pas de définition universelle. Ce n’est pas faute d’en avoir cherché.
Depuis la première conférence internationale contre le terrorisme en 1898, jusqu’à l’ONU, en passant par la Société des Nations, les États ont tenté de mettre au point une définition internationale et ont toujours échoué.
Aujourd’hui, l’ONU a renoncé à définir le terrorisme et les définitions varient grandement entre les pays. On se contente, dans le meilleur des cas, d’établir des listes : des listes de terroristes, des listes d’actions terroristes, des listes d’organisations terroristes.
Les listes se multiplient, et se contredisent. Là encore, l’exemple du PKK est parlant, organisation terroriste pour certains, allié pour d’autres.
Toutes les tentatives pour définir le terrorisme à l’échelle internationale ont buté sur les mêmes écueils : les intérêts particuliers des États ne coïncident pas.
Et la définition juridique bute sur la dialectique légitimité-illégalité, et le danger qu’il y aurait, pour les droits de l’Homme comme pour les Droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, de qualifier de terrorisme toute violence politique.
Un objectif : terroriser
Les chercheurs se mettent tout de même d’accord sur quelques éléments. D’abord, l’attentat est une violence disproportionnée, disruptive, qui doit paraître extrême et presque aveugle, et susciter une émotion forte.
L’objectif du terrorisme est, comme son nom l’indique, de terroriser. Une violence qui cible la population, ou une partie de la population, pour faire pression sur l’État, sur un gouvernement.
Et bien sûr, c’est une violence à motivation idéologique, et non lucrative, même s’il n’est pas rare dans l’histoire que des organisations terroristes aient mené, par exemple, des braquages de banques, pour financer leurs mouvements. Tous ces critères sont interprétables et on est toujours sur le fil du rasoir.
C’est souvent le politique qui décrète ce qui est un attentat
Souvent, l’attentat est défini dans les discours politiques avant de l’être juridiquement. Et le rôle du politique est ici essentiel.
Lorsqu’un responsable politique qualifie un acte de terroriste alors que l’enquête commence, cela a un impact déterminant. A la fois en terme juridique : cela mobilise des législations d’exception. Mais aussi en terme moral.
En qualifiant la fusillade de Québec d’« attentat », Justin Trudeau dit que le corps national est touché et que les victimes appartiennent bien à ce corps. Il y a une grande importance morale et émotionnelle à ce choix.
« Justin Trudeau dit que le corps national est touché, et que les victimes appartiennent bien à ce corps. »
Jenny Raflik, historienne contemporaine
C’était à la fois vrai et très important de le faire : les personnes attaquées dans la mosquée, qui étaient d’ailleurs toutes de nationalité canadienne, sont musulmanes, mais sont surtout des citoyens à part entière. Quand Justin Trudeau parle d’attentat, sans guillemets ou précaution oratoire, il exprime ce sentiment d’unité nationale.
Et surtout, il refuse de rentrer dans le jeu de Daesh, dont l’objectif affiché est de provoquer ce genre de réaction violente, et donc à terme, une guerre civile au sein des sociétés occidentales. La mobilisation des Canadiens, ensuite, dans la rue, est venue réaffirmer ce message fort.
Mais, il ne faut pas se leurrer, le risque d’instrumentalisation existe aussi. Notamment dans des régimes non démocratiques.
Déjà au moment de la lutte contre le terrorisme anarchiste, le mot « terroriste » était une arme politique. Pour l’Empire russe, accuser un opposant politique d’acte terroriste permettait de demander son extradition aux démocraties occidentales. Le risque de manipulation reste le même aujourd’hui. On le voit en Turquie ou en Syrie.
Le discours médiatique met l’accent sur le terrorisme islamiste
Aujourd’hui, le discours médiatique met l’accent sur le terrorisme islamiste, car c’est celui qui semble le plus immédiat pour beaucoup de nos compatriotes. Après la succession des attentats que nous venons de connaître, c’est une préoccupation naturelle des citoyens.
« Il faut continuer de rappeler que le terrorisme islamiste n’est qu’une forme de terrorisme parmi d’autres »
Jenny Raflik, historienne contemporaine
Mais il faut continuer de rappeler, je crois, que le terrorisme islamiste n’est qu’une forme de terrorisme parmi d’autres ; que ses victimes ne sont pas exclusivement – bien au contraire même – des non-musulmans ; et que précisément, le piège que nous tend Daesh est de nourrir des tensions intercommunautaires au sein de nos sociétés occidentales.
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