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    13/04/2017

    Pourquoi la dernière campagne de SOS racisme pose problème

    Par Hanane Karimi , Alice Maruani

    La dernière campagne de SOS Racisme est à la fois paternaliste et totalement inefficace, pour Hanane Karimi. Il faut vite politiser la lutte antiraciste.

    La dernière campagne de SOS Racisme est plus qu’affligeante. L’idée est de contrer les idées du FN. On y voit un.e blanc.he qui prend par l’épaule son ou ses ami.e.s noir.e.s et rebeu.e.s, tous et toutes tout sourire, avec le slogan : « Mes potes et moi on est pareils ».

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    Voici pourquoi ces visuels sont nuls.

    1. Car la parole des concernés est confisquée

    Déjà, visuellement, ils portent tous des lunettes, on ne sait pas trop pourquoi, peut-être pour dire qu’on est entre gens cultivés, la personne blanche va mettre son bras autour de ses potes victimes de racisme, et c’est très fort dans ce que ça dit du rapport de domination : elle est au-dessus. Dans une société où on est tous égaux, c’est déjà un souci, non ?

    Et dans le continuum du slogan historique de SOS racisme « Touche pas à mon pote », le référent qui parle est le blanc, qui valide les autres non-blancs.

    J’y vois une forme de confiscation de la parole des concernés. Une manière de leur dire :

    « – Ne bouge pas, on va s’occuper de régler le racisme par nos bons sentiments”.

    Ce n’est une surprise. SOS Racisme, cette grosse association largement subventionnée depuis plus de 30 ans, issue du PS historique, s’est construite sur une volonté d’exclure les concernés de la lutte contre le racisme.

    Ça a commencé en 1984, lors de la seconde marche contre le racisme et contre les violences que subissent les gens des quartiers populaires. Ils sont partis de cinq villes de France vers Paris et sont 100 000 à leur arrivée. Là, le PS est venu faire sa pub, comme une OPA sur le mouvement. Ils ont distribué une main de fatma jaune avec le slogan paternaliste, « Touche pas à mon pote » (voir le documentaire « Les marcheurs », sorti 30 ans après)

    Parce que la parole des concernés dérange. Encore aujourd’hui, cet antiracisme moral est bien plus relayé médiatiquement que l’antiracisme politique pourtant très actif, porté par les victimes du racisme elles-mêmes.

    2. Car on n’est pas « tous pareils »

    Ce genre de campagne occulte aussi le fait que non, nous ne sommes pas tous égaux. Que par son patronyme, son phénotype ou autre on va être renvoyé à une « race », une altérité spécifique. On a tous des amis blancs, mais ce n’est pas le problème.

    Le problème est que, quand on est noir, rebeu, d’une religion qui fait tâche, d’un quartier populaire, avec un patronyme un peu bizarre, ou un foulard sur la tête, on a moins de chance d’accéder à des droits fondamentaux : un travail ou un logement par exemple. On doit se balader avec une carte d’identité dans notre sac et on a de grandes chances de subir des violences policières.


    La question raciale est une question sociale et politique, pas une question morale et individuelle. La véritable campagne antiraciste devrait lutter pour le récépissé du contrôle d’identité ou le CV anonyme (qui est cependant insuffisant puisqu’il reste la confrontation en face à face).

    3. Car tous les racistes ont un « ami noir »

    SOS Racisme dépolitise et réduit la question de l’idéologie raciste prônée par le FN à une question individuelle. Et même sur ce plan là, des préjugés individuels, la campagne n’est ni courageuse ni productive.

    D’abord, on focalise sur le grand méchant FN et ceux qui votent à l’extrême-droite. Et on oublie que le racisme est diffus dans la société car il permet le maintien de privilèges sociaux.

    Ensuite, même les gens ouvertement racistes peuvent s’y reconnaître. Des politiciens ont des propos racistes par exemple se dédouanent régulièrement parce qu’ils ont un « ami noir ». Le FN dit qu’il y a des arabes dans le parti.

    Quelque part, on valide le mythe du « bon noir » ou du « bon arabe ». C’est un truc que j’entends très souvent :

    « – Toi, t’es pas comme les autres ».
    Autrement dit : je suis l’exception qui confirme la règle du filtre racial que chacun opère.

    Cette campagne SOS Racisme est totalement lisse. On croirait une pub « United color of benetton ». Si, au moins, il y avait une femme voilée une véritable marginalité, aurait fait preuve d’un peu de courage.

    Pour moi, cette campagne montre que l’antiracisme moral est à l’agonie. En trente ans, les beaux slogans de SOS Racisme n’ont pas du tout réussi à produire des avancées concrètes : on devrait sucrer les subventions de cette association.

    4. Car la lutte contre le racisme doit être politique

    À l’inverse, il faut populariser un antiracisme politique et acter que les politiques d’intégration et les politiques de la ville ont été un échec. On a concentré les populations de plus en plus précarisées au même endroit, et aujourd’hui, on critique le communautarisme. On confond les causes et les conséquences de ces politiques.

    L’école est encore et toujours une machine de reproduction sociale. Plus on monte dans la hiérarchie du pouvoir, plus il y a de blancs. On maintient volontairement des populations entières aux marges de la société, que l’on considère comme des « français illégitimes ».

    Si l’on veut combattre véritablement le racisme à la racine, il faut avoir la franchise de faire ces constats et le courage d’agir en conséquence. Malheureusement, nous ne sommes pas « tous pareils » en France. Et tous les sourires bisounours du monde n’y changeront rien.

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