En ce moment

    08/03/2018

    « Si je rentre au Tchad, on va me tuer »

    Alfidel, le réfugié qui a tenté de s’évader de Fresnes

    Par Tomas Statius

    Alfidel, réfugié tchadien, s'est retrouvé en prison pour avoir squatté une maison vide. Le 18 janvier, il tentait de se faire la malle. Récit d'une tentative d'évasion avortée.

    Tribunal de grande instance de Créteil (94) –  « Parfois, il y a trop d’injustice pour les épaules d’un seul homme », conclut l’avocate d’Alfidel au terme de sa plaidoirie. Ce mercredi 7 mars, le jeune demandeur d’asile tchadien est jugé pour avoir tenté de s’évader de la prison de Fresnes, le 18 janvier 2018. En octobre dernier, il avait déjà été condamné à un an de prison ferme (ramené à six mois dont quatre avec sursis en appel) pour avoir squatté une maison vide, avec un groupe de migrants tchadiens qui dormaient à la rue. La préfecture du Val de Marne demande alors son expulsion. Pour le jeune mec, c’est la douche froide. « Dans 70% des cas, les détenus étrangers sont renvoyés dans leur pays après avoir purgé leur peine », avance son conseil :

    « Si vous le condamnez à du ferme, vous porterez ce risque sur vos épaules. »

    C’est cette peur de l’expulsion qui aurait motivée sa tentative d’évasion. « Monsieur le président, je n’ai pas fait cette tentative d’évasion par rapport à ma peine », se justifie ainsi l’homme qui arbore chemise blanche sur pantalon en lin :

    « Mais si je rentre au Tchad, on va me tuer. »

    Un an de prison pour dormir au chaud

    « Ce qu’il faut que vous compreniez, c’est que Monsieur Abakar est un militant », s’efforce d’expliquer son avocate :

    « Il a pris les armes à 14 ans contre le régime en place. On peut y voir de la maturité politique. Ou on peut considérer qu’il est un enfant soldat. »

    Devant le tribunal, le jeune homme complète, avec pudeur. En deux, trois mots, il évoque sa première incarcération à 15 ans. Alfidel faisait partie des rebelles des Forces unies pour le changement (FUC), un mouvement d’opposition au président Idriss Deby, au pouvoir depuis 1991. Arrêté, l’arme au poing, dans la capitale tchadienne le 13 avril 2006 comme 287 autres combattants selon des chiffres du gouvernement tchadien, il découvre les geôles du régime. Sévices, mauvais traitements… Alfidel est à nouveau incarcéré en 2008 avant de s’évader. Il met définitivement les voiles en 2012.

    Après un périple qui le mène à travers le Sahel, la Lybie et l’Italie, l’homme pose d’abord ses valises à Dijon où il formule sa première demande d’asile. Premier rejet. « De toute façon, je n’ai jamais été bien jugé en France », se lamente le jeune homme à la barre, droit comme un i, les bras croisés derrière le dos. Alfidel rejoint alors Calais pour essayer de passer en Angleterre. Avant de s’établir à Paris. Désespéré, sans solution, à la rue, l’homme, avec une poignée de compatriotes tchadiens, décide de squatter une maison abandonnée le 24 octobre 2017. Mais la police veille au grain. « Il vous a été reproché de l’avoir cambriolé cette maison », expose le président, barbe de trois jours, lunettes rondes et ton posée. Grognement de la salle et de son avocate. L’homme n’aurait rien volé. Les propriétaires de l’appartement l’auraient même reconnu. Alfidel, poursuit, calme :

    « Je n’ai rien cambriolé. Je dormais dehors, je voulais juste dormir dans un endroit où il faisait chaud. »

    Conséquence de la grève

    Alfidel ne comparaît pas seul. À sa droite, Aïssa, son codétenu, basket fluo et parka sombre, se défend seul, sans avocat. C’est tous les deux qu’ils ont « attaqué » le mur de leur cellule situé au deuxième étage de la maison d’arrêt, jusqu’à créer une petit lucarne par laquelle il a été possible de s’extirper. Ensemble qu’ils ont noué un morceau de draps à l’un des lits de la petite piaule pour descendre en rappel sur le toit qui donne en dessous de leur fenêtre. Si Aissa s’est finalement dégonflé, Alfidel, lui, a bien tenté de se faire la malle avant de se faire repérer puis braquer par un surveillant pénitencier. « Quand j’ai vu qu’Aissa ne m’avait pas suivi, je suis allé dans un endroit où je savais qu’on allait m’attraper », tente le jeune homme. « Il a fallu quand même trois sommations pour que vous vous arrêtiez », oppose la procureure.

    Pour la magistrate, c’est clair. Les deux hommes ont prévu leur coup de longue date. Tout concorde : la présence d’outils de fortune dans leur cellule (ciseaux, fourchettes, canifs), d’une corde d’une longueur de 3 mètres et même d’un petit plan, dessiné à la va-vite sur une feuille volante. « Ça a l’air incroyable dit comme ça monsieur le président mais en vrai, on a tout fait en une journée », soutient Aissa. « L’idée vous est venu le jour même ? », rebondit le président. Le jeune acquiesce. Avant de poursuivre :

    « C’était le matin du quatrième jour de la grève. On s’est mis au barreau. On s’est dit que nous aussi on devrait faire grève. »

    Alfidel confirme. L’homme en profite pour dénoncer les conditions de détention indigentes de Fresnes, dont StreetPress vous parlait ici. Cellules minuscules, bouffe infâme, pas de parloir… Les deux hommes étaient à bout. La procureure, elle, ne l’entend pas de la même oreille :

    « On sait que les conditions sont difficiles à Fresnes et le parquet en tient compte. Tout ça ne constitue pas un blanc-seing pour que deux détenus s’évadent. »

    Le délibéré

    L’audience est suspendue. La salle se vide. Une vingtaine de proches d’Alfidel est venue le soutenir. Ils le suivent depuis des mois. Ils ont même monté un collectif et une cagnotte pour lui permettre de cantiner.

    Au bout d’une vingtaine de minutes, tout ce petit monde vient à nouveau garnir les quelques bancs de l’exigüe 12e chambre du tribunal correctionnel de Créteil. Le tribunal condamne le jeune homme à six mois de prison avec sursis. Alfidel ne retournera pas en prison. Mais il devra justifier d’une résidence et de l’avancée de ses démarches pendant deux ans.

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER