En ce moment

    26/04/2018

    Malgré une décision judiciaire, la mairie LR bloque

    A Athis-Mons, la mairie rechigne à scolariser 54 enfants syriens

    Par Djenaba Diame

    Depuis des mois, les familles syriennes de la Cité de l'Air, à Athis-Mons, bataillent avec la Mairie pour scolariser leurs enfants. Un 1er jugement leur donne raison. Mais l’élu LR multiplie les stratagèmes pour retarder leur entrée à l'école.

    Athis-Mons (91), Cité de l’Air – « Le matin, je vois par la fenêtre quelques enfants de la Cité aller à l’école. Moi je reste ici toute la journée, à ne rien faire. Je voudrais y aller moi aussi, apprendre. Parce que sans l’éducation, on ne peut pas grand-chose dans la vie », se lamente Sidra. Cette jeune fille syrienne devrait être en CM2, mais la Mairie s’oppose à sa scolarisation. Assis à côté d’elle, d’autres enfants qui, comme elle, rêvent d’aller à l’école, feuillettent les pages de livres. Faute de véritable scolarisation, la plupart d’entre eux sont analphabètes. « On les occupe un peu et on essaye de donner quelques notions aux enfants qui entreront à l’école peut-être en septembre prochain », explique Sid Ahmed, qui tente de leur donner cours le mercredi après-midi, dans un école de fortune aménagée dans le jardin d’une famille de la cité.

    Chad fait exception. Elève en 6e, elle aimerait devenir « docteure ». Avant d’arriver à la Cité de l’Air, elle habitait à Bobigny où elle était scolarisée. « Ils [ces enfants, ndlr] étaient parmi les premiers de leur classe là-bas et ici on ne veut pas les laisser aller à l’école », lance fièrement son père, Mohamed Aldahich. Avec sa famille, lui aussi est venu squatter l’un des pavillons abandonnés de la cité :

    « Je ne gagnais que 700 euros par moi en faisant les marchés. Je n’avais plus de quoi payer. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/athis1.jpg

    Une après-midi à Athis-Mons / Crédits : Djeneba Diame

    Pas d’école pour les enfants de la Cité de l’Air

    Depuis près de deux ans, la mairie d’Athis-Mons refusent de scolariser 54 enfants d’exilés syriens, dont Chad et Sidra. Tous vivent à la Cité de l’Air, un quartier abandonné, propriété de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), squatté par des familles pour la majorité syriennes.

    Le 19 mars dernier, première victoire pour les habitants : le tribunal administratif de Versailles a rendu un jugement obligeant la Mairie à scolariser 28 enfants pour lesquels quatres associations – dont le Droit au logement (DAL) et l’association juvisienne pour les demandeurs d’asile et les réfugiés (AJAR) – avaient déposé un recours. « Pour les autres, on n’avait pas toutes les pièces d’identité et les documents nécessaires », explique Karim, habitant de la cité depuis trois ans.

    Deux familles, accompagnées par la Fédération du conseil des parents d’élèves (FCPE), ont depuis rencontré le directeur de l’école Saint-Exupéry, à deux pas de la cité. Leurs enfants seront scolarisés au retour des vacances, lundi 30 avril. Selon la FCPE d’Athis-Mons, la vingtaine d’autres enfants concernés par le recours des associations entreront à leur tour, progressivement, dans les écoles de la ville. « Nous rencontrons directement les directeurs avec les dossiers d’inscription complets », explique la responsable de la scolarisation des enfants réfugiés pour l’asso’. Pour les autres, l’issue est encore incertaine. Maître Saïdi, l’avocat des associations assure qu’un nouveau recours sera lancé auprès du tribunal administratif pour ces enfants si la Mairie ne les scolarise pas spontanément. Et, il y a peu de chance qu’elle le fasse.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/athis6.jpg

    Les enfants perdus / Crédits : Djeneba Diame

    « Je veux que mon enfant soit instruit »

    Devant la maison de Mohamed, quelques réfugiés syriens sont attablés à l’ombre, sous un arbre. Ils discutent des démarches administratives – CMU, école ou encore titres de séjour – conseillés par Karim, un habitant de la Cité depuis trois ans et employé à l’aéroport voisin. « Cela fait deux ans que mon garçon devrait être à l’école, il a 8 ans, il grandit sans savoir écrire et lire. Ni en français ni en arabe », dénonce Abu Saïd. L’octogénaire est le patriarche des berbères, l’une des trois communautés qui vit là, avec les syriens arabes et les syriens kurdes. « Pourquoi on les en empêche ? », demande-t-il en fixant Karim de ses yeux gris verts :

    « Je veux que mon enfant soit instruit, comme tout le monde. Il ne fait rien de ses journées, il les passe à traîner et à jouer sur le trottoir. »

    Karim, qui a accompagné certaines familles, se souvient des débuts de cette « longue bataille ». L’air jovial qu’il affiche depuis le début de l’après-midi disparaît subitement :

    « A la rentrée 2017, on est venus déposer les dossiers d’inscription mais la Mairie a refusé de les prendre. Dès qu’ils voient rue Gourmelin ou Pichodou [rues de la Cité de l’Air, ndlr], ils refusent les dossiers ou demandent d’apporter des documents que nous n’avons pas et qui ne sont même pas nécessaires pour une inscription à l’école. »

    Pour justifier les refus de scolarisation, la maire de la ville, Christine Rodier (LR) ne manque pas d’imagination. Elle invoque tour à tour le « manque de places », des logements non pérennes et même, plus récemment, l’absence de vaccination.

    C’est « une affaire politique », tranche Sid Ahmed. Comme Karim, il est venu habiter la Cité de l’air après des « problèmes de logement ». Les deux hommes d’origine algérienne accompagnent les réfugiés dans leurs démarches administratives, au quotidien. « J’ai la nationalité française et Karim a le statut d’étranger résidant en France. On parle arabe et français donc on peut faire les intermédiaires auprès des associations et des institutions », explique Sid Ahmed, qui est aussi délégué du DAL. « C’est une mairie de droite et ils ne veulent pas de réfugiés dans leurs écoles », peste-t-il. Pourtant, « c’est la loi, tous les enfants ont le droit à la scolarisation quelles que soient leurs origines et leur condition sociale », précise Souela Hamdi, présidente de l’association Agir pour Athis-Mons.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/athis9.jpg

    L'école à la cité / Crédits : Djeneba Diame

    Peut-être… peut-être pas

    Si la décision du tribunal de Versailles va dans le bon sens, elle ne met pas fin au problème. La maire Christine Rodier a déclaré, dans une lettre à ses administrés et dans une vidéo, qu’elle ne comptait pas se soumettre à la décision de justice. Elle propose simplement de mettre en place des classes de remise à niveau, au sein même de la cité. « Ce n’est pas une bonne idée, c’est discriminatoire et ça ne permettra pas aux enfants de s’intégrer », s’étrangle Sid Ahmed. Contacté par StreetPress, Bertrand Guillerm, directeur du cabinet de la maire, est moins clair. Les enfants seront « peut-être scolarisés… ou peut-être pas, tout dépend de “l’organisation” » :

    « Nous étudions les dossiers avec l’éducation nationale, nous verrons bien. Nous sommes en phase de discussion, de travail avec les associations, les familles et ne souhaitons communiquer là-dessus. »

    Il remet sur la table la question de la vaccination. « Sur une trentaine, seuls quatre enfants sont vaccinés. C’est une condition importante. » Car, dit-il, le sujet inquiète les bons citoyens d’Athis-Mons :

    « Des parents nous ont prévenu, ils retireront leurs enfants si des élèves non vaccinés ou vivant dans de mauvaises conditions sanitaires intègrent les écoles. »
    Pour faire plier la municipalité, Maître Yssam Saïdi, avocat des associations a lancé la procédure d’exécution :

    « La Mairie avait jusqu’à début avril pour scolariser les enfants. Nous sommes à la fin du mois et rien n’a été fait. Le juge enjoindra donc de nouveau la Mairie à exécuter le jugement avec, potentiellement, une astreinte financière. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/athis10.jpg

    La colonie syrienne / Crédits : Djeneba Diame

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER