La Parole errante, Montreuil (93) – Suspendue au plafond, une banderole noire barrée d’une maxime trône au-dessus des têtes :
« Une vie de lutte, plutôt qu’une minute de silence. »
Le 5 juin 2013, Clément Méric décédait à Paris, des coups portés par des skinheads d’extrême droite. Ce vendredi soir, à la Parole errante, lieu de référence pour la gauche radicale, ils sont presque 200 à être venus rendre un « hommage politique » au militant antifasciste et camarade de lutte, mort pour ses engagements. Le lendemain, ils ne seront pas loin de 1.000 à défiler en sa mémoire.
Un Collectif des mères françaises
Il est 20h largement dépassé dans la grande salle au sol bétonné. Agnès Méric, la maman de Clément, s’assied sur une chaise d’écolier, placée au pied de la scène :
« C’est la première fois que j’ose parler devant des gens. Et si j’ose parler, c’est que je me sens portée. »
Elle tourne son regard vers sa voisine, Geneviève Bernanos, assise à sa gauche. Elle est la mère d’Angel et d’Antonin, tous deux mis en cause dans l’affaire de l’incendie de la voiture de police, quai de Valmy. Le cadet, acquitté par la justice, est dans la salle. L’aîné, condamné mais sorti de prison, était là plus tôt. Il s’en est rentré, toujours soumis à un placement sous surveillance électronique (PSE) qui lui impose un couvre-feu.
Clément Méric et Antonin Bernanos étaient amis et camarades de luttes. Leurs mères ont également décidé d’unir leurs combats. Ensemble elles ont fondé un Collectif des mères solidaires. Un mouvement « d’auto-défense » initié dix jours plus tôt, non pas pour pleurer ensemble – « ce n’est pas la question », assène Geneviève Bernanos – mais pour briser « la prison » du silence. « Il nous faut prendre la parole pour déconstruire les montages politiques, juridiques et médiatiques », explique-t-elle. Les causes de leurs enfants sont désormais les leurs, complète Agnès Méric :
« On éclaire leurs paroles, même si elles ne sont pas exactement les nôtres. »
La veille, les deux femmes étaient au tribunal de Gap pour soutenir « les trois de Briançon », militants antifascistes accusés d’avoir « facilité l’entrée irrégulière » d’étrangers sur le territoire. « Nous serons là à chaque fois que c’est nécessaire », promet Geneviève Bernanos. Le 15 juin, elles viendront donc au tribunal soutenir les lycéens d’Arago et leur famille. Et le 21 juillet elles seront à Beaumont-sur-Oise pour participer à l’hommage à Adama Traoré, décédé au commissariat de la ville en juillet 2016. En février 2017, déjà Geneviève Bernanos était venue à Beaumont rencontrer Assa Traoré :
« J’avais besoin de comprendre le combat de mes fils. »
Elles n’ont pas rompu le contact. « Assa m’a beaucoup aidé », explique-t-elle. Et le 26 mai dernier, elles étaient côte-à-côte en tête de cortège de la manifestation contre la politique du gouvernement.
L’internationale des mères révoltées
Ce vendredi soir à la Parole errante, les deux Françaises sont entourées de mères militantes italiennes et espagnoles. « Ce sont des mères qui ont connu la violence, la répression », ouvre Agnès Méric, penchée cette fois vers sa droite où se tient Fabiola, venue de Rome. « Il faut que je vous parle de l’histoire de Renato », introduit la madre italienne, petite veste sans manche et large foulard sur les épaules. Renatto Biagetti est décédé le 27 août 2006, poignardé à la sortie d’un concert de Reggae par deux jeunes fascistes. Fabiola raconte l’indifférence, les peines légères infligées aux deux agresseurs. « Le plus jeune [des meurtriers] n’a pas fait un seul jour de prison. » Puis elle évoque Stefania Biagetti, la mère du défunt, fondatrice de leur collectif, les Madri Per Roma Citta’ Apperta – littéralement « Mères pour Rome, ville ouverte ». Un collectif pour faire vivre, non pas seulement la mémoire, mais aussi « les idées et les passions de Renato », explique-t-elle. Depuis les mères de ce collectif multiplient les prises de paroles, à l’invitation d’associations ou d’écoles.
De l’autre côté des Alpes, comme en France, les mères des antifascistes morts et des militants incarcérés se sont associées. « On s’est rencontrés comme des parents confrontés au système judiciaire ou aux blessures », explique Nicoleta. Elle vient de Turin, où plusieurs militants sont enfermés pour s’être opposés à la ligne à grande vitesse qui doit relier la ville à Lyon, via un tunnel sous les Alpes. « Je veux être solidaire avec toutes les mères qui partagent un idéal de lutte antifasciste », explique cette membre du collectifs des Mamma in piazza per la libertà di dissenso [Mère dans les rue pour la liberté des dissidents].
Lola, est venue d’Espagne pour représenter les Madres Contra la Represión madrilenes [Les mères madrilènes contre la répression]. Elle a préparé un texte qu’elle lit. « Avec la crise, la répression augmente », explique-t-elle. « Mais toutes ensemble, main dans la main, on arrivera à freiner les dérives autoritaires des démocraties libérales ». Elle conclut son témoignage par un slogan :
« Ni oubli, ni pardon. Vive la lutte de la jeunesse contestataire. »
Ovation dans la salle.
Photo de couverture prise le 26 mai par Yann Castanier : Geneviève Bernanos et Assa Traoré en tête de cortège.
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