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    16/11/2020

    16 ans et sous une toile de tente

    Les mineurs étrangers, toujours isolés en ces temps de confinement

    Par Loana Berbedj

    Ahmed jure avoir 16 ans, mais l’État ne veut pas le croire. Alors, il est condamné à dormir sous une toile de tente dans un coin du 93. Pour se nourrir, il ne peut compter que sur les associations. Et le confinement n’y change rien...

    Depuis le début du confinement, Ahmed loge le long du canal Saint-Denis, à Aubervilliers. Le jeune malien de 16 ans tente, comme il le peut, de subvenir à ses besoins. À son âge, cet exilé mineur ne devrait pas être dehors, avec ou sans-papier. Ahmed a bien essayé d’aller à la Croix-Rouge. À deux pas du métro Couronnes, rue du Moulin Joly, des dizaines de jeunes migrants patientent devant les locaux de l’association. Mandatée par le département de Paris, la Croix-Rouge est chargée d’identifier les mineurs isolés avant leur placement sous la protection de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). « On m’a interrogé pendant une demi-heure », raconte Ahmed, du haut de son mètre quatre-vingt :

    « J’ai raconté mon voyage : neuf mois d’enfer. Mais pour eux, ce ne sont pas des choses qu’a pu vivre un mineur… »

    En 2019, 16.760 jeunes reconnus mineurs isolés étrangers ont été confiés à l’ASE, selon le ministère de la Justice. Et pour les autres, c’est la rue et les galères. Comme Ahmed, ils seraient 40.000 mineurs exilés sur le sol français. Il est difficile d’obtenir des statistiques fiables concernant le nombre de jeunes ayant fait l’objet d’un refus de prise en charge par les départements. « Ils sont probablement des milliers », estime Médecins Sans Frontières. « Pour nous, c’est chacun pour soi et Dieu pour tous », ironise Mustapha qui est lui aussi passé par le campement, le froid, l’insécurité et le désespoir. Et le confinement ne semble pas changer grand-chose à tout ça. Aucun dispositif spécifique n’a été mis en place pour eux.

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    Chaque année, de nombreux mineurs isolés étrangers arrivent en France et ne se font pas reconnaître leur minorité. « Pour eux, ce ne sont pas des choses qu'a pu vivre un mineur... », témoigne Ahmed. / Crédits : Loana Berbedj

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    Des centaines de jeunes sont actuellement à la rue. Malgré le confinement, aucun dispositif spécifique n'a été mis en place pour les mineurs isolés étrangers. / Crédits : Loana Berbedj

    La débrouille

    « C’est très fatigant. Je ne dors pas beaucoup… », grimace Ahmed. L’adolescent est arrivé depuis trois semaines en France. Sa peau est claire, marquée par le froid, et ses yeux foncés par les cernes. « La police arrive à 7h du matin pour nous dégager. Après, on replie nos tentes. On les cache et on prie pour qu’en rentrant le soir, les affaires n’aient pas été volées. » L’adolescent raconte être exténué par ses journées en quête d’une douche et d’un repas. Ce sont les bénévoles de l’association Utopia 56 qui l’ont équipé d’une tente, de couvertures et de vêtements chauds pour faire face aux nuits du bord du canal.

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    Les mineurs migrants cachent leurs tentes chaque matin et « prie pour qu'en rentrant le soir, les affaires n'aient pas été volées ». / Crédits : Loana Berbedj

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    Des bénévoles de Utopia 56 ont donné à certains mineurs isolés une tente et des couvertures pour ne pas trop subir le froid lors de la nuit dehors. / Crédits : Loana Berbedj

    Pour trouver à manger, Ahmed se rend au pied du parc de Belleville, rue Pali-Kao. « On appelle ça “le jardin”. » Un point de repère pour ces jeunes reconnus majeurs et sans ressources. Quatre fois par semaine, les membres du collectif Les Midis du Mie (pour Mineurs Isolés Étrangers) s’activent à déballer une cinquantaine de paniers-repas. Face à eux, la file d’attente s’allonge presque sans fin. « On ne va pas y arriver. » Sylvie, qui participe bénévolement à la distribution des déjeuners, est débordée :

    « On avait prévu large, mais chaque jour on constate l’arrivée de nouveaux jeunes… »

    « En ce moment, plus d’une centaine d’adolescents exilés vivent sans abri à Paris », assure Agathe Nadimi, fondatrice des Midis du Mie, qui aide avec difficulté les mineurs non-accompagnés, en leur fournissant notamment des solutions d’hébergement. Le collectif interroge l’inaction des autorités compétentes, en pleine crise sanitaire, ainsi que les critères d’appréciation de la minorité des jeunes (que StreetPress évoquait déjà il y a deux ans ici) :

    « 80% de ceux qui se soumettent à l’évaluation sont reconnus majeurs. »

    Elle ajoute :

    « Lorsqu’on accompagne correctement ces jeunes, 50% des recours engagés aboutissent finalement sur une reconnaissance de minorité. »

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    « C’est un jour sans fin. On est dans la survie », témoignent les mineurs isolés étrangers. / Crédits : Loana Berbedj

    De l’aide

    « C’est un jour sans fin. On est dans la survie. Encore une fois… Si on a pris tant de risques pour quitter l’Afrique, on était loin d’imaginer vivre comme ça en France », confie Mustapha. Ce Guinéen de 16 ans, à Paris depuis mi-octobre, garde le sourire. « Heureusement qu’on peut compter sur des gens bienveillants. » Il a pu être placé dans une chambre d’hôtel, avec six de ses compagnons de galère, aux frais des Midis du Mie. Son ami Alpha complète : « C’est une chance incroyable quand on sait que de nombreux frères dorment dehors avec ce froid ».

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    Pour trouver à manger, Ahmed et les autres mineurs peuvent compter sur les associations. Quatre fois par semaine, le collectif Les Midis du Mie donnent une cinquantaine de paniers-repas. / Crédits : Loana Berbedj

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    Lors de ces rassemblements, la file est pourtant longue. Trop pour les associations. « On avait prévu large, mais chaque jour on constate l’arrivée de nouveaux jeunes... » / Crédits : Loana Berbedj

    Depuis un an, l’association investit également les lieux alternatifs, changés le temps d’une nuit ou de plusieurs mois en toits éphémères pour accueillir les jeunes repérés en maraudes ou lors des déjeuners « au jardin ». Après avoir déplié leurs couettes au milieu de salles d’expositions, séjourné en caravane derrière le cirque Phoenix ou même campé un mois au square Jules Ferry, 16 jeunes vivent actuellement en collectivité dans un théâtre de Seine-Saint-Denis. Hébergé jusqu’au 1er décembre, le groupe ne sait pas encore quel sera son prochain point de chute.

    Donner des perspectives

    « On a pu avoir des smartphones pour contacter la famille. Ils étaient très inquiets, sans nouvelles depuis plusieurs mois », témoigne Alpha. Le jeune guinéen de 16 ans partage sa chambre avec Mustapha. Payés par le collectif, ces téléphones permettent aussi aux mineurs isolés d’initier les démarches de recours, avec l’envoi des pièces justifiant qu’ils ont moins de 18 ans.

    À LIRE AUSSI : « Pour les migrants mineurs, le cauchemar est permanent »

    Au théâtre, les 16 colocataires répartissent soigneusement leurs journées entre tâches ménagères, administratives et loisirs. Les bénévoles se relaient pour proposer chaque jour activités sportives, cours de français ou initiations à la musique. « C’est un peu entre le squat et la colonie de vacances », sourit Kevin, qui cohabite avec les ados depuis plusieurs semaines. Pour les occuper et leur redonner des perspectives.

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    L'asso des Midis du Mie donnent également des activités sportives ou des cours de français. De quoi aider les mineurs étrangers qui souhaitent être ingénieur en bâtiment, ou mécanicien. / Crédits : Loana Berbedj

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    L'asso leur a également donné des smartphones pour qu'ils puissent garder un lien avec leur famille et faire des démarches administratives. / Crédits : Loana Berbedj

    « J’aimerais pouvoir être ingénieur en bâtiment, ou mécanicien. » Mustapha semble rêver le temps d’un instant. C’est pour étudier qu’il a quitté Conakry il y a neuf mois, avec l’objectif de subvenir aux besoins de sa famille restée au pays. « Tant que ma situation ne sera pas réglée, je n’ai pas envie de me faire du mal en imaginant l’impossible. » De la fenêtre de la petite chambre d’hôtel, Alpha, lui, s’inquiète aussi de devoir retourner dans la rue :

    « Les démarches sont longues. Ça va prendre du temps avant qu’on puisse être reconnus mineurs. J’ai peur d’avoir 18 ans avant. »

    « On n’est jamais certain d’être réellement sortis d’affaire », confie Kassim. Lui a 16 ans et vient de Côte d’Ivoire. « C’est compliqué de se projeter dans l’avenir. »

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    Pour les mineurs isolés étrangers, la vie dehors est très difficile. / Crédits : Loana Berbedj

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    « On n’est jamais certain d’être réellement sortis d'affaire ». / Crédits : Loana Berbedj

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