13 novembre 2020. Sur le canal Telegram « Le Grand Réveil », une opération se prépare. Derrière ce nom de groupe, ne se trouve pas une émission matinale de radio mais un compte qui pilote des milliers d’internautes, soldats de la cause antivax menés par Julian Wolf. Dans un vocal à ses troupes, le créateur de ce médium expose son plan : aller sur des pages Twitter et Facebook de la chaîne BFM TV et commenter les dernières publications sur le vaccin et le Covid-19. « Bien sûr, sans insulte, sans agressivité. On exprime juste qu’on n’est pas content, on envoie des liens pour justifier que ce qu’ils racontent c’est de la fake news. Des trucs clairs, propres sur lesquels on ne peut pas être embêtés », détaille-t-il.
Inoffensif en apparence, le gourou du groupe a une idée bien précise derrière la tête :
« Si on le fait tous d’un coup, c’est-à-dire avec des vagues de 200-300 personnes au même moment, ils vont être tellement dépassés qu’ils vont finir par bloquer les commentaires. Ils vont être totalement en panique, parce que c’est quelque chose qu’ils n’ont jamais vu. »
Dans sa communauté et sur les réseaux sociaux, on ne connaît pas grand-chose de Julian Wolf. Ni son âge – il semble avoir au maximum la trentaine –, ni son lieu de vie. L’homme, dont le nom pourrait même être un alias, n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress. Qu’importe pour ses comparses. L’idée de troller a pris au sein du Grand réveil et, le 15 novembre, Julian Wolf met sur pied un nouveau canal : « Opérations Trolls Citoyens 2.0 » (rebaptisé récemment « La Tribune du peuple » dans l’espoir de donner une meilleure image). Ce groupe Telegram lui permet de désigner des cibles à spammer. En premier lieu : BFM TV. Trois jours plus tard, le groupe jette en pâture trois liens d’articles sur Facebook de la chaîne de télévision en continu liés à la situation sanitaire. « Libre à vous de troller les publications de votre choix en plus de celles-ci », souligne-t-il, avec « respect, sérieux et bienveillance », bien sûr. Sur la conversation, des liens de médias évoquant la vaccination sont publiés avec des commentaires comme « ce qui est bien avec cette mascarade c’est qu’on distingue maintenant facilement les médias collabos. Allons leur dire » ou « C’est parti. On va foutre le bordel là-bas. » Des centaines de commentaires sont postés sous les publications des médias visés.
Le groupe de trolling s'attaque surtout aux médias, comme ici avec BFMTV. / Crédits : StreetPress
Trolling organisé
Depuis, ce « bordel » – ou cyberharcèlement, c’est selon – vise également à polluer tous les sondages des médias autour de la politique vaccinale. Figaro, TPMP ou BFM TV, toutes ces consultations non-représentatives des réseaux sociaux ou des sites de médias se retrouvent d’autant plus faussées depuis des mois par l’intervention de ce groupe de trolling. Après leur passage, un sondage du Point lancé fin avril autour de la question : « Au vu des doses disponibles, faut-il ouvrir la vaccination à tous ? » est passé de 87 pour cent de oui à moins de 50 pour cent.
Le groupe de trolling tente aussi de polluer tous les sondages des médias autour de la politique vaccinale. Après leur passage, un sondage du Point lancé fin avril autour de la question : « Au vu des doses disponibles, faut-il ouvrir la vaccination à tous ? » est passé de 87 pour cent de oui à moins de 50 pour cent. / Crédits : StreetPress
Les résultats permettent une surreprésentation des idées de Julian Wolf et des siens, laissant croire que les antivax sont bien plus nombreux qu’ils ne le sont. De quoi désemparer le social média manager d’un grand quotidien français, qui a pourtant l’habitude de gérer ces vagues de trolls :
« Le fait de fausser des sondages, c’est plus pernicieux que laisser des commentaires. Avec les commentaires, on peut identifier la personne et la bannir, pour éviter qu’elle ne revienne polluer les publications. Là, ils avancent masqués, car on ne peut pas modérer des sondages. »
Un leader inconnu
Très partagées, ces opérations trolls des complotistes sont relayées sur Telegram ou même parfois Twitter, par des figures du milieu comme Silvano Trotta. Ou par les groupes de soutien à Rémy Daillet-Wiedemann et tout un tas de comptes revendiquant faire de la « réinformation », comme Open Your Eyes ou Tatapookie. Pourtant, les têtes de la complosphère comme Trotta ne connaissent pas Julian Wolf. Joint par StreetPress, l’observatoire du conspirationnisme Conspiracy Watch admet n’avoir jamais entendu parler du leader des « Opérations Trolls Citoyens » malgré ses dizaines de milliers d’abonnés.
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Il est pourtant l’une des pierres angulaires du discours conspirationniste. Le 18 juin, Julian Wolf reçoit par exemple un soutien inattendu qui fleure bon les années Skyblog. En story de son compte Instagram, un certain Mickaël Vendetta prend un air sérieux : « Bonjour les amis ! Le compte Insta du Grand réveil vient d’être censuré. Il a un compte de secours, je vous invite à le suivre dès maintenant. » L’ancienne starlette de la téléréalité a trouvé un nouveau créneau dans le discours antivax et prêche pour la Fraternité Blanche Universelle, une sorte de mouvement ésotérique classé comme sectaire. Contacté par StreetPress, Mickaël Vendetta n’a pas répondu à nos sollicitations.
Les publications de Julian Wolf sur les réseaux sociaux sont très partagées. Ici, sa publication est même reprise par un figure de la complosphère : Silvano Trotta. / Crédits : StreetPress
Julian Wolf reçoit aussi le soutien de personnalités comme Mickaël Vendetta, qui partage ses publications sur sa story Instagram. / Crédits : StreetPress
Peu d’éléments ressortent sur Internet à propos de Julian Wolf. Le créateur du Grand réveil se définit comme « un chercheur de Vérité » depuis 2008. Amateur d’ésotérisme, il partage régulièrement à ses abonnés des messages mystiques et a été rédacteur de plusieurs sites comme Esprits libres ou Divulgation. Si le premier est un site fait de petits articles forgés pour le buzz et engranger des vues, le second est beaucoup plus complotiste. Un des comparses de Julian Wolf y explique notamment comment les nazis ont gagné la quatrième guerre mondiale, entre base dans l’Antarctique et utilisation d’ovnis.
Une tête convaincue
De Snapchat, VKontakte, Telegram, Facebook à Twitter, Julian Wolf jongle avec de nombreux comptes sur lesquels il dénonce une multitude de complots mondiaux. Pêle-mêle : 11 septembre 2001, chemtrails, « grand reset »… Tout y passe. Qu’ils soient fomentés par Bill Gates, Georges Soros, Elizabeth II ou même Emmanuel Macron – « le même psychopathe qu’Adolf Hitler » d’après un de ses posts –, Julian Wolf estime que les conspirations secrètes des puissants contre les masses sont là, partout sous nos yeux. Chaque actualité cacherait une mystérieuse cabale, il suffirait de lire entre les lignes. Les vaccins ? « Il faut bien comprendre que quand ils nous parlent de vaccins A.R.N, ils nous parlent sans véritablement le cacher de nous injecter un logiciel informatique. » La baffe reçue par Emmanuel Macron lors d’un déplacement dans la Drôme ? « Ça sent réellement l’opération orchestrée pour, encore une fois, donner des images aux médias qui vont s’amuser en tentant de salir et décrédibiliser les “complotistes”. Une méthode de manipulation vieille comme le monde qui fonctionne visiblement encore assez bien. »
Dans cette publication, Julian Wolf compare Emmanuel Macron à Hitler. / Crédits : StreetPress
S’il y a manipulation, qui se cache derrière ? Les responsables sont tout trouvés dans une sorte de bingo du complot. « N’oubliez pas que la France est aux mains des khazars, jésuites, sionistes, talmudistes, pédosatanistes », prévient-il le 26 mai dernier dans une publication Instagram du Grand réveil. Et quand l’ex-général Delawarde, signataire de la tribune des militaires de Valeurs actuelles, sous-entend sur CNews que les juifs dirigent les médias, Julian Wolf abonde :
« Vous en déduirez ce que vous voudrez, mais moi, on m’a toujours dit que pour savoir qui contrôle réellement les choses, il suffit de regarder qui tu n’as pas le droit de critiquer. »
Julian Wolf partage aussi des publications antisémites. / Crédits : StreetPress
Une hydre qui rapporte
« Ils nous coupent la tête, il y en a dix qui repoussent derrière », s’enorgueillit le leader complotiste mi-juin, alors que le compte Instagram du Grand réveil a repris 10.000 abonnés après avoir sauté 24 heures auparavant. Son compte Facebook et celui de son mouvement ont également été fermés, tout ça pour mieux revenir. « Le message est clair : on est sur liste noire », lance Julian Wolf, l’air révolté, dans un vocal d’une de ses boucles Telegram, d’où il n’a jamais été éjecté.
Le réseau social d’origine russe reste son territoire favori et le Grand réveil son cheval de bataille. De mai à juillet, le compte est passé de 17.000 à 40.000 abonnés. Julian Wolf y décline les « salons » de conversations. « Sa façon de faire, c’est de multiplier les canaux afin de diffuser le plus possible au plus de monde possible. Il a je ne sais combien de salons sur lesquels il diffuse presque la même chose », résume Complotist Deleter, une page qui lutte contre les attaques de trolls complotistes en prévenant les comptes ciblés et qui a infiltré un autre groupe d’antivax. Julian Wolf y martèle surtout les mêmes infos à un nombre de soutiens plus important qu’ailleurs. « Son groupe est beaucoup plus grand que les V_V [Un groupe de complotistes très influents sur les réseaux], notamment parce qu’il est ouvert à tous. Il n’y a aucune barrière de recrutement contrairement aux V_V », analyse Complotist Deleter.
Une manière également d’avoir plus de monde à qui proposer son merchandising. Sur le site marchand du Grand réveil, Julian Wolf y décline le logo du groupe (une pyramide inversée) en t-shirt, coques d’IPhone, sacs, pulls et même bodies pour bébé. Le complotiste sait surfer sur l’actualité. Récemment, de nouveaux goodies sont apparus. Des sweats ou des bavoirs avec les messages : « Non au pass sanitaire », « #PassDictatorial », « Je ne suis pas antivax, je suis pro-choix ».
Sur le site marchand du Grand réveil, Julian Wolf vend plusieurs goodies, comme des bavoirs ou des bodies pour bébé. / Crédits : StreetPress
En juin dernier, il a lancé une cagnotte Tipeee sur laquelle il a récolté un peu plus de 5.100 euros pour lancer son propre site qui devrait sortir fin juillet. Il clame qu’avec cet argent, lui et le Grand réveil vont passer à la vitesse supérieure en développant les « trolls citoyens » et en créant « des rencontres par région » pour mener des « actions sur le terrain ». Des nouveautés qui pourraient peut-être finir par faire sortir Julian Wolf du bois.
Récemment, de nouveaux goodies sont apparus sur le site marchand du Grand réveil, comme des sweats avec les messages : « Non au pass sanitaire », « #PassDictatorial », « Je ne suis pas antivax, je suis pro-choix ». / Crédits : StreetPress
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