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    26/10/2022

    StreetPress et la députée Sabrina Sebaihi se sont rendus sur place

    Mort suspecte à la prison de Nanterre

    Par Clara Monnoyeur

    H., 19 ans, atteint de troubles psychiatriques, est mort à la prison de Nanterre fin août. Il a été retrouvé ensanglanté, allongé dans ses excréments. Des gardiens l’accompagnaient au moment du décès. Ils jurent n’y être pour rien.

    Maison d’arrêt des Hauts-de-Seine (92) – Les voix des détenus qui rentrent de promenade résonnent dans les couloirs de la prison de Nanterre. Les portes en métal claquent et grincent. Le bruit ambiant tranche avec le silence qui entoure la mort d’un jeune détenu au sein de la prison cet été.

    Le 18 août dernier, l’unité sanitaire (US) de la maison d’arrêt est appelée pour un arrêt cardiaque. Une équipe arrive sur place. Elle découvre dans le sas de la prison, au greffe, un jeune homme, inerte sur le sol, entouré de sang et d’excréments. Il a les mains encore menottées dans le dos et le visage bleui. Malgré le massage qu’un agent aurait tenté de lui prodiguer et l’arrivée du Samu, il n’a pas pu être réanimé. Il avait 19 ans.

    Le parquet de Nanterre a ouvert le 22 août une information judiciaire contre X, du chef d’homicide involontaire. Depuis, la communication est verrouillée. Les détenus ont appris la mort « du petit », par bruits de coursives. Un silence pesant règne dans la prison. Dans l’espoir d’obtenir quelques bribes d’informations, StreetPress s’est rendu à la maison d’arrêt de Nanterre. Le mardi 11 octobre, la députée EELV des Hauts-de-Seine, Sabrina Sebaihi, accompagnée de son collaborateur Sébastien Colombo Scarpinato, a profité de son droit de visite. Depuis 2015, les parlementaires ont le droit de se rendre à l’improviste dans des lieux de privation de liberté avec des journalistes. Contactée par StreetPress, Sabrina Sebaihi a accepté de nous faire rentrer en prison pour poser nos questions. Elle s’y était déjà rendue cet été, lors de la canicule.

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    StreetPress s’est rendu à la maison d’arrêt de Nanterre avec la députée EELV des Hauts-de-Seine, Sabrina Sebaihi, accompagnée de son collaborateur. / Crédits : Matthieu Bidan

    La directrice de la prison, Anne Drouche, presse le pas. Elle déroule l’histoire de la maison d’arrêt, qu’elle semble connaître par cœur. La visite a des airs de balade touristique. Elle parle d’approche humaine, de bienveillance. Elle reconnaît aussi la surpopulation, le manque de personnel et les difficultés de recrutement, lorsque la députée la questionne à ce sujet. Mais son ton devient froid et son visage se ferme lorsque StreetPress l’interroge sur les circonstances de la mort du jeune détenu. « Pour toutes les réponses concernant ce sujet particulier, vous vous adresserez au parquetier, moi je n’ai absolument pas l’autorisation de communiquer, et je n’ai pas d’informations », lance-t-telle. StreetPress insiste. Elle rétorque :

    « J’aimerais que pour cette visite l’objectif premier ne soit pas celui-là. »

    Raté. StreetPress continue d’insister :

    « Quand ce détenu est arrivé, il a vu une équipe médicale qui aurait demandé une hospitalisation qui n’a pas pu être faite, faute d’escortes disponibles et de personnel… »

    Pour la petite femme aux cheveux bruns au carré, ce jeune homme, atteint de troubles psychologiques, a été suivi comme tout autre détenu. Mais selon les informations récoltées par StreetPress, il y aurait bien eu des dysfonctionnements dans sa prise en charge.

    Mort dans des circonstances troubles

    H. est incarcéré le premier août après avoir été condamné en comparution immédiate à quatre mois de prison, « pour vol avec effraction dans un restaurant, violences sans incapacité totale de travail (ITT) sur un fonctionnaire de police et menace de crime ou délit sur une personne dépositaire de l’autorité publique », selon les informations recueillies par Libération et l’AFP.

    À son arrivée, comme c’est la procédure, cet Algérien en situation irrégulière passe la visite médicale. L’équipe soignante aurait alors détecté des pathologies psychiatriques. Mais le détenu n’aurait pas pour autant été hospitalisé car aucun personnel n’aurait été disponible pour l’emmener, révèle à StreetPress l’Observatoire international des prisons (OIP). Un problème récurrent selon le dernier rapport de l’OIP sur l’accès aux soins en détention.

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    Le 18 août dernier un jeune détenu de 19 ans est mort à la prison de Nanterre dans des circonstances troubles. / Crédits : Matthieu Bidan

    Le jeune arrivant rejoint alors une cellule du bâtiment B0, au rez-de-chaussée. C’est dans ce bâtiment que sont enfermées les personnes qui souffrent de troubles psychiatriques. C’est ici que sont enfermés « les fous », confirme un détenu à StreetPress.

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    « Bienvenue à la psychiatrie » / Crédits : Matthieu Bidan

    Dans la cour de promenade, H. parle tout seul et ramasse les mégots tombés sur le sol. Il est sous traitement pour ses pathologies. Il aurait ensuite commencé à décompenser [rupture de l’équilibre psychique, ndlr], mais « petit à petit », selon le docteur François Heulin, chef de service de l’unité sanitaire, interrogé par StreetPress. Il précise :

    « C’est au jour le jour qu’on voit l’état des patients se dégrader et c’est à ce moment-là qu’on demande une hospitalisation. Quand c’est nécessaire. »

    Son état se serait progressivement aggravé. Et alors qu’il aurait dû bénéficier d’une hospitalisation psychiatrique en urgence, le détenu, en crise décompensatoire, aurait passé deux jours dans sa cellule. Là encore, ce serait faute d’escortes disponibles pour le transporter, selon l’OIP. Il est finalement sédaté par le personnel de l’unité sanitaire présent, puis accompagné par les équipes locales de sécurités pénitentiaires (ELSP) pour procéder à son extraction vers l’hôpital. C’est dans un sas, au greffe, en attendant le véhicule qui doit l’emmener, qu’il va être retrouvé entouré de sang et d’excréments, et qu’il va décéder.

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    Le couloir menant au greffe. / Crédits : Matthieu Bidan

    « Les circonstances du décès sont dramatiques », reconnaît François Heulin, d’une voix basse. « Je n’ai aucune explication sur les circonstances du décès, pour l’instant on n’a pas les résultats de l’enquête […]. On m’a expliqué que la cause du décès est un arrêt cardiaque, mais pour ce qui a pu le provoquer, c’est l’autopsie qui le dira. » Le chef de détention qui attend en arrière-plan coupe la discussion :

    « Bien, je pense qu’on va y aller… »

    Visiblement le sujet dérange.

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    Durant la visite, tout est cadré. / Crédits : Matthieu Bidan

    Violences ?

    Que s’est-il passé ? La directrice de la prison, Anne Drouche, semble mettre en cause dans un premier temps la sédation effectuée par l’équipe médicale. Elle précisait en août dernier à l’AFP : « Dans le cadre de son accompagnement à l’hôpital, il va falloir le maîtriser et le temps que les services permettant son acheminement arrivent, il va être sédaté par une équipe médicale de la maison d’arrêt et le cœur va lâcher ». Le jeune homme aurait-il été violenté ? « Le détenu s’était montré opposant mais n’a pas été frappé par le personnel », précisait-elle, avant d’ajouter :

    « J’ai confiance dans les hommes que je dirige et je n’ai pas d’éléments qui me permettent de mettre en doute leurs paroles. »

    Questionnée de nouveau à ce sujet par StreetPress, la directrice assure qu’il n’y a jamais eu un manque d’escorte. « Il n’y avait pas de problème de personnel, je ne sais pas d’où vous tenez ces informations », rétorque-t-elle en tournant le dos pour continuer d’avancer. Pourtant, quelques minutes plus tôt, elle indiquait que seuls deux agents étaient chargés des extractions médicales et reconnaissait que ce nombre était « insuffisant », et qu’il était parfois nécessaire de prendre des effectifs sur la détention, ou de faire intervenir les ELSP. Elle poursuit, agacée :

    « Il faut aussi respecter le personnel qui a été exposé, parce qu’on ne se lève pas le matin comme pénitentiaire ou membre du ministère de la justice en se disant “tiens aujourd’hui je vais voir un mort, il a 19 ans, je suis super heureux”. »

    Les agents auraient été auditionnés dans le cadre de l’enquête. S’ils ne sont pas immédiatement revenus sur leur lieu de travail, ce n’est pas à cause d’une mise à pied. La directrice précise :

    « Ils ont eu le droit à un peu de repos vu qu’ils ont été auditionnés tard dans la nuit. »

    Durant la visite. Tout est cadré. La directrice déambule dans les coursives d’un pas vif, accompagnée du chef de détention, qui presse le pas. Difficile de parler aux personnes détenues. « Dépêchez-vous sinon on n’aura pas le temps de tout visiter. »

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    Cellules de la prison de Nanterre. / Crédits : Matthieu Bidan

    Des dysfonctionnements au sein de l’unité sanitaire

    Dans le bâtiment qui héberge l’unité sanitaire, un détenu patiente debout, droit, face à une porte rose bonbon. Il attend son rendez-vous avec la psychologue. « Ici, on s’occupe bien de nous, j’ai fait plusieurs maisons d’arrêt avant, et il n’y a qu’ici où ça se passe vraiment bien », affirme-t-il.

    Sabrina Sebaihi pose la question de la place des personnes atteintes de troubles psychiatriques en détention. La prison peut-elle être un lieu de soins ? La directrice assure :

    « Il y a le développement d’équipements, qui permettent aujourd’hui de dire qu’une personne détenue est aussi bien soignée que si elle n’était pas détenue. »

    Le docteur Heulin se tient à sa gauche. Il complète d’une voix basse et un peu moins assurée derrière son masque :

    « Tout à fait. En tout cas, c’est ce qu’on s’efforce à faire oui, que les détenus soient aussi bien traités qu’à l’extérieur. »

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    Visite de l'Unité Sanitaire de la prison. / Crédits : Matthieu Bidan

    Pourtant, en juin dernier, un collectif d’une vingtaine de soignants avait alerté sur des dysfonctionnements « sévères » au sein de l’unité sanitaire. Dans une lettre que StreetPress a pu consulter, le personnel fait état d’un manque criant de moyens et de considération.

    Deux mois avant cet événement, le personnel écrivait cette phrase, qui résonne désormais comme prémonitoire :

    « Malgré des alertes sérieuses, des décompensations manifestes, le pire se produit. »

    Les soignants parlent d’un climat sous tension : « Depuis des mois, se multiplient les actes de violence au sein de la détention et de l’unité médicale. » Ils font état des cas d’agressions entre codétenus, malgré les alertes faites à l’administration pénitentiaire. En janvier dernier, le secrétariat de l’US aurait été détruit par un détenu en crise. Ils racontent aussi les « menaces sérieuses, y compris de mort » et reviennent sur l’agression d’une de leurs collègues par un détenu lors de la distribution de médicaments.

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    En juin dernier, un collectif de soignants ont alerté sur des dysfonctionnements « sévères » au sein de l’Unité Sanitaire. / Crédits : Matthieu Bidan

    Surpopulation et manque de moyens

    Les soignants témoignent aussi d’un manque de moyens matériels. Ils énumèrent : « Une pharmacie dans l’impossibilité – faute de moyens humains – de délivrer correctement les traitements des patients […], une infirmerie sans ordinateur fonctionnel, un secrétariat sans téléphone interne et une armoire détruite par un détenu en pleine crise au mois de février toujours pas changée ! Un bureau psychiatre sans téléphone, donc sans possibilité de contact direct avec l’hôpital ni avec le service d’interprétariat dont nous avons besoin au quotidien ». Les toilettes seraient également régulièrement en rade.

    Ils racontent devoir faire face à un manque d’effectifs, dans un contexte de surpopulation carcérale. Au premier janvier 2022, 881 personnes étaient détenues pour 572 places théoriques. Au moment de la rédaction de leur lettre, il y aurait seulement deux médecins à temps plein, un psychiatre à mi-temps, une seule personne à temps plein chargée des soins dentaires. L’équipe d’infirmiers serait en sous-effectif, et les psychologues seraient utilisés « pour des consultations d’urgence afin de pallier le manque de psychiatres ». Le collectif de soignants confie :

    « Nous avons le sentiment de ne pas avoir les moyens de remplir correctement notre mission de soin et de devenir complices d’un fonctionnement délétère pour les patients. Les hommes que nous recevons présentent bien souvent des troubles sévères, qui nécessitent des hospitalisations en psychiatrie, qu’en est-il ? »

    À propos de cette lettre, Anne Drouche répond qu’elle soutient les soignants dans leur démarche mais « sans pour autant [s]e montrer déloyale vis-à-vis de la direction », ajoute-t-elle.

    Après le décès, « les soignants ont été reçus par les psychologues, et il y a eu un débriefing suite à cet événement », raconte François Heulin. « Une cellule psychologique a été mise en place », confirme Anne Drouche.

    Un détenu, suivi au service médical raconte à StreetPress que la situation ne se serait toujours pas améliorée. « Aujourd’hui, le service médical ferme à 16 heures – au lieu de 17 heures 30 », faute de personnel. « Au niveau de la prise en charge, c’est une catastrophe », raconte celui qui a besoin de soins réguliers. Début octobre, deux détenus de la maison d’arrêt se sont donnés la mort.

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    Murs d'une cellule. / Crédits : Matthieu Bidan

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