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    08/02/2023

    Le rejet systématique de leurs dossiers rend leur quotidien invivable

    Comment les banques discriminent les Iraniens immigrés en France

    Par Marine Delatouche

    Victimes collatérales des sanctions imposées à leur État et de clichés sur leur nationalité, les Iraniens installés en France se démènent pour avoir droit à un compte bancaire. 70 d’entre eux témoignent des discriminations qu’ils vivent ici.

    « Je crois que ça ne va pas être possible. » Le banquier est formel, un coup d’œil sur le passeport de Hadi a suffi pour le décider. « Parce que je suis un terroriste ? », rétorque l’Iranien, offensé. C’est la quatrième agence qui lui refuse l’ouverture d’un compte bancaire. Après trois semaines de recherche, c’est toujours la même histoire : soit il n’arrive pas à décrocher un rendez-vous, soit les banques lui proposent une rencontre dans un laps de temps décourageant. Avec son visa long séjour, l’homme a pu commencer à travailler en intérim. Mais l’ouverture d’un compte s’impose comme l’étape ultime pour percevoir son salaire et vivre normalement.

    « Il me semblait que les banques étaient hésitantes quand il s’agissait d’ouvrir un compte aux étrangers. Mais mes amis d’autres nationalités ont fini par réussir », s’émeut par téléphone Hamid. Il est retourné en Iran après un an d’études à Chambéry (73). L’ancien étudiant en ingénierie se dit « convaincu » de la raison du comportement des établissements bancaires :

    « Mon passeport et ma nationalité. »

    Comme Hadi et Hamid, plus de 70 Iraniens immigrés en France ont répondu à l’enquête de StreetPress. Ils sont majoritairement étudiants, ont entre 18 et 40 ans, et témoignent tous de difficultés à dialoguer avec les banques en France. Via un questionnaire, ils ont répondu à dix questions telles que : « Quelles banques vous ont refusé l’ouverture d’un compte et pour quelle(s) raison(s) ? » ou : « Pouvez-vous qualifier votre relation avec votre banquier de relation de confiance ? ». Plus de la moitié d’entre eux expliquent avoir dû passer par au moins quatre établissements pour ouvrir un compte.

    Le poids du passeport iranien

    Le premier motif de refus des banques n’est autre que la nationalité iranienne. 40% des Iraniens interrogés ont vu leur demande explicitement rejetée à cause de celle-ci. Pourtant, la nationalité ne devrait pas être un critère déterminant pour ouvrir un compte. Seule la domiciliation en France est nécessaire. « C’est fondamentalement injuste et insécurisant légalement », s’offusque Hamid. Un banquier lui a reproché son manque de fiabilité en le comparant à « ces gens » qui « ne payent pas les frais bancaires ou ne mettent pas d’argent sur leur compte ». Il commente :

    « C’est un argument basé sur la race. Ils ont conclu, sur la base de ma nationalité, que je ferai partie de ces gens. Je me suis senti humilié. »

    Avec toujours un peu de colère dans sa voix, Katayoun, une Téhéranaise aux grands yeux bruns, se rappelle aussi avoir été confrontée à un refus, cette fois « à cause de l’embargo ». Selon une source à la Banque de France qui souhaite rester anonyme, seules les personnes sur liste noire des gels des avoirs devraient être sanctionnées. Six des personnes interrogées ont pourtant vu leur dossier recalé du fait des sanctions contre l’Iran. « L’embargo, c’est pour les enfants des politiques. Le droit, c’est pour les gens normaux », s’exaspère la jeune femme de 26 ans qui ne demande qu’à « avoir le droit de bien vivre » :

    « On est comme les autres gens. Je suis ici avec mon titre de séjour. »

    « Vous êtes des terroristes »

    « Il n’est pas possible de vous identifier comme une personne indépendante de l’État d’Iran. Ce qui expose la banque à des risques de sanctions par l’État français. » Quand la banquière explique ces faits, Hossein est estomaqué. « Vous sanctionnez l’État iranien ou ma nationalité ? », s’était-il énervé ce jour-là. Il se pose toujours la question. Les refus successifs ont mis l’étudiant aux Beaux-Arts de Lyon dans l’impasse : « Je ne suis pas rattaché au gouvernement d’Iran. Je ne sais pas comment je peux prouver que je suis un particulier iranien. J’ai juste un visa étudiant. »

    L’Iran figure sur la liste noire du GAFI, organisme international qui lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Un fait qui a poussé une employée de banque à un amalgame d’une grande violence, nous raconte une Iranienne de manière anonyme :

    « Dans une agence de Nantes (44), on m’a dit : “Les nouvelles règles ne permettent pas d’ouvrir un compte bancaire pour les pays comme l’Iran parce que vous êtes des terroristes”. J’ai dit que j’étais étudiante et on m’a répondu : “Il n’y a pas de différence”. »

    Même histoire pour Hamed. Lorsqu’il arrive à Avignon (84), il atterrit avec 4.000 euros en argent liquide, avec l’idée de les placer sur un compte français. Il est conscient de l’isolement financier de l’Iran et de la quasi-impossibilité de virer de l’argent vers un autre pays. « Comment as-tu eu cet argent ici ? », « Ce n’est pas normal ! », se sont alors exclamés différents agents de banque. Hamed en a eu marre de se justifier et a décidé de garder ses billets chez lui, jusqu’à trouver un travail et obtenir le numéro fiscal demandé par certaines banques. Comme lui, neuf autres Iraniens soulignent ne pas s’être sentis en sécurité avec leur argent liquide chez eux, faute de compte bancaire.

    Un quotidien invivable

    « J’avais besoin d’un RIB pour la Caf, l’assurance maladie, mon contrat de location pour mon logement », commence Nasrin dont la vie étudiante a été grandement affectée par ses démarches impossibles. Avoir une carte sim, laver ses vêtements en laverie, avoir un abonnement à Internet, une carte de transports, effectuer des achats en ligne, énumère l’étudiant. « Avoir un RIB, c’est 100% obligatoire ! Sinon tu ne peux rien faire. » 30% des interrogés expliquent avoir été privés d’assurance maladie, de carte vitale, d’allocations logement et d’avoir eu des difficultés à trouver un appartement ou à payer leur loyer. 35% relèvent l’impossibilité de payer leurs frais de scolarité ou de manger au restaurant universitaire. Les recherches d’emploi ou la réception du salaire sont également chamboulées. L’un des répondants résume :

    « Je ne pouvais pas financer ma vie. »

    « Je me suis sentie rejetée dès mes premiers jours en France », assure une autre qui a dû passer par dix banques en trois mois avant d’obtenir une réponse positive à sa demande. Ils sont dix à évoquer du stress, de l’anxiété, un sentiment de dévalorisation et un manque de concentration sur leurs études dû à l’attente du retour des banques, à la succession de refus et à la crainte de ne jamais s’en sortir. La dépendance aux autres qui en résulte les a tout autant accablés. Pour une personne, ces démarches sans fin ont entraîné son retour en Iran.

    Les stratégies de la dernière chance

    Nasrin a vu la fin du tunnel grâce aux conseils donnés aux nouveaux arrivants sur des chaînes Telegram. « Dans une même banque, il faut changer de guichet et de conseiller. La politique vis-à-vis des Iraniens dépend aussi du directeur de chaque agence. » L’étudiante en tourisme de 33 ans a aussi dissimulé le montant exact d’espèces en sa possession pour ne pas essuyer un nouveau refus.

    D’autres rapportent avoir eu besoin d’un garant ou de l’intervention de l’université. Deux personnes, dont Farzaneh, indiquent être passées par la procédure de droit au compte de la Banque de France :

    « Après la cinquième banque, grâce à cette procédure, on m’a ouvert un compte au Crédit agricole. »

    Elle doit alors accepter des facilités bancaires limitantes : « Je ne parlais pas très bien français à l’époque, mais j’ai compris que je ne pouvais pas recevoir d’argent d’Iran ni déposer d’argent sur mon compte ». Pour les Iraniens interrogés, la situation s’est débloquée en moyenne deux mois après avoir entamé leurs démarches. 28% ont ouvert un compte à la Banque Postale, 19% à la Société Générale, 15% à la Banque Populaire (ou BRED) et 15% également à LCL.

    Suspicion constante

    Si pour la moitié des répondants, une relation de confiance s’est finalement créée avec leur banquier, l’autre moitié n’est pas satisfaite. Hadi a finalement réussi à ouvrir un compte dans une agence Crédit agricole, mais les contrariétés se sont accumulées par la suite : investigations très poussées de son conseiller, obtention tardive de sa carte bancaire, retraits d’argent limités et paiements en ligne bloqués. Son conseiller s’est même permis d’appeler son agence d’intérim pour s’assurer qu’il y travaillait bien et connaître le montant de son salaire.

    Les banques qui acceptent les dossiers des Iraniens vont parfois jusqu’à les harceler au moindre transfert d’argent. Lorsque Hamed, devenu développeur web à Montpellier (34), reçoit son premier salaire d’environ 2.000 €, son conseiller l’a appelé pour lui demander quelle société lui avait envoyé de l’argent et pour quelle raison. « Il m’a dit qu’il voulait s’assurer que j’avais bien commencé à travailler. » Treize personnes rapportent des cas de transferts bloqués ou de paiements refusés de sommes équivalentes à un loyer ou à un salaire. « À chaque fois que je veux déposer un montant supérieur à 1.500 €, je dois présenter un justificatif », détaille l’une des personnes interrogées.

    Dans les cas les plus extrêmes, les banques sont allées jusqu’à clôturer des comptes sans explication. C’est ce qu’il est arrivé à six Iraniens dont Farzaneh, il y a quatre ans. Elle reçoit alors la visite de son frère qui possède la nationalité canadienne. Il souhaite lui déposer de l’argent. « Nous avons expliqué la situation et on nous a dit qu’il n’y avait pas de problème. J’ai ensuite reçu une lettre me prévenant du blocage de mon compte. Mon frère a envoyé différents justificatifs pour expliquer que l’argent provenait de son salaire et non d’Iran. Mais comme il était Iranien, rien n’a été accepté. »

    À lire aussi : Des cadres de la Banque postale étalent leur racisme débridé dans un groupe WhatsApp

    Illustration de Une par Nayely Rémusat.

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