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    21/02/2023

    Un bras cassé, deux plaques et 70 agrafes

    À la prison de Nanterre, des surveillants cassent le bras d’un détenu

    Par Clara Monnoyeur

    En janvier dernier, un détenu de Nanterre est surpris avec un téléphone. Sorti de sa cellule, les surveillants le mettent violemment au sol. Son bras se casse. Laissé par terre, il attendra plus d’une heure les secours. Il a déposé plainte.

    « Je n’ai jamais vu ça », assure maître Arthur Vercken. Début janvier, son client Lucas (1), incarcéré à la maison de Nanterre (92) a eu le bras cassé par des surveillants. Le jeune homme de 23 ans a été hospitalisé pour cette fracture de l’humérus droit déplacée. Il a dû être opéré. Résultat : deux plaques, une dizaine de vis, et plus de 70 agrafes pour refermer la plaie. Son avocat dénonce un usage disproportionné de la force. Une plainte pour violences volontaires en réunion ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours a été déposée. Les surveillants eux, jurent être restés dans les clous.

    Les surveillants eux, nient avoir été violents

    Le mercredi 4 janvier 2023, Lucas (1) est dans sa cellule qu’il partage avec ses deux autres co-détenus. Il est aux alentours de 18h. Il dort, allongé sur son lit. Son téléphone portable, non autorisé en prison, est en train de charger. Il est posé le long de sa cuisse. Soudain, le jeune homme de 23 ans est réveillé. Quelqu’un le secoue. Il voit alors « cinq ou six surveillants et membres des Équipes locales d’appui et de contrôle (ELAC) » dans sa cellule, selon son témoignage présent dans le dépôt de plainte que StreetPress a pu consulter. Ces derniers sont à la recherche d’une arme artisanale appartenant à l’un de ses co-détenus. Les agents sont venus procéder dans ce cadre à une fouille de la cellule. Ses deux co-détenus, eux, ont été emmenés pendant ce temps dans la salle de fouille.

    Lucas, reste, dans un premier temps, allongé sur son lit, couverture sur lui, pour tenter de cacher son téléphone. Il finit par le glisser sous son survêtement. Les agents pénitentiaires lui demandent de sortir de sa cellule. Il s’exécute. Une fois arrivés dans la coursive, les surveillants remarquent le câble de chargeur resté sur le lit et le téléphone sous le survêtement de Lucas, visiblement mal dissimulé. Ils demandent alors qu’il leur remette le téléphone. Dans la plainte, on peut lire :

    « C’est au moment où Monsieur s’exécute, voulant récupérer son téléphone sous son survêtement pour le remettre aux surveillants et aux Elac, que ces derniers lui sautent dessus, le projettent au sol en lui faisant une clé de bras très violente. »

    Il est précisé que Lucas, « ne donne aucun coup au personnel pénitentiaire mais résiste musculairement par réflexe à l’agression très douloureuse. » D’autres agents pénitentiaires arrivent en renfort.

    C’est à partir de ce moment que les versions divergent. Une partie des agents pénitentiaires écrivent dans leurs rapports d’incident que Lucas a refusé de se soumettre aux ordres et qu’il était agité, virulent ou encore « récalcitrant » ou « très agressif ». Il aurait également « repoussé les agents vers l’arrière », fait des « bonds en arrière », se serait « débattu ». Mais un de ses agents décrit dans le même rapport qu’il faisait « de la résistance par inertie physique ». C’est ce qu’indique également un autre agent. « Arrivé sur place, j’ai constaté que la personne détenue faisait de l’inertie aux ordres donnés malgré plusieurs injonctions. » Deux témoignages qui semblent contredire la version « bonds en arrière ».

    « Vous m’avez cassé le bras »

    Lucas lui, décrit ensuite avoir eu l’impression d’être écrasé sous une masse de personnes. « Projeté au sol, il est frappé sur tout le corps. Les agents serrent notamment fortement sa tête et son buste au point qu’il ne parvient plus à respirer », peut-on lire.

    Le jeune homme est désormais allongé sur le ventre, sur le sol de la coursive. Les agents pénitentiaires lui demandent de faire passer ses deux bras dans son dos, « peut-être pour le menotter », note son avocat. Lucas parvient à donner son bras gauche mais son bras droit ne répond plus. Il n’arrive plus à le bouger. « De plus, ce bras a gonflé et du sang se répand autour de lui. » Le jeune homme aurait crié à plusieurs reprises :

    « Vous m’avez cassé le bras ! »

    Les surveillants auraient, malgré ses cris, saisi le bras de Lucas et l’auraient tordu en arrière « dans plusieurs sens ». Le jeune homme crie de douleur.

    Dans leurs rapports d’incident, aucun surveillant ne décrit précisément la manière dont ils le maîtrisent et le mettent au sol, ni à combien ils interviennent. « J’ai tenté de le maîtriser et de l’accompagner au sol » écrit l’un, « lors de sa maîtrise, j’ai contrôlé sa tête afin que ce dernier ne cogne pas la tête sur le sol ou le mur », raconte un autre. Ils indiquent que c’est uniquement lorsqu’il a été mis au sol qu’il s’est plaint de douleurs au bras. Ils auraient alors tout de suite décidé d’appeler les pompiers. Tous indiquent avoir fait usage de la force strictement nécessaire.

    Laissé 1h30 allongé sur le ventre à même le sol

    En attendant les pompiers, Lucas est laissé là, dans la même position, à plat ventre, à même le sol. Quand les pompiers arrivent enfin, la douleur de Lucas est tellement forte qu’ils ne réussissent pas à le mettre sur le brancard. Le Samu est appelé. Pendant ces nouvelles 30 minutes d’attente interminable, Lucas est toujours laissé au sol, dit-il. « Forcément ça rajoute à l’humiliation… », commente maître Arthur Vercken.

    Il est finalement emmené aux urgences de Nanterre par le Samu avant d’être transféré à l’hôpital d’Argenteuil. Il devra attendre le lendemain pour être opéré et passera donc la nuit avec son bras cassé.

    Durant l’opération, on lui pose deux plaques, tenues par une dizaine de vis. 70 agrafes sont utilisées pour refermer la plaie. Sur les comptes-rendus opératoires que StreetPress a pu consulter, il est précisé : « À la radiographie, fracture comminutive supra condylienne de l’humérus déplacée, pas de déficit sensitvo moteur mais il existe une ouverture ponctiforme ». C’est-à-dire que son os s’est notamment fracturé en plusieurs fragments.

    Il reste trois jours à l’hôpital puis est ramené le vendredi 6 janvier 2023 au soir à la maison d’arrêt. « Il est alors sorti de l’hôpital pieds nus et torse-nu », écrit son avocat. Il est changé de cellule, et passe la nuit « sans aucun médicament » et « aucun traitement anti-douleur ». est reçu par une infirmière le week-end avant d’être pris en charge par le médecin de l’unité sanitaire le lundi.

    Demande de vidéos

    « C’est la première fois que je vois un truc pareil », lance maître Arthur Vercken. « Même à supposer que les textes permettent la violence, celle-ci doit toujours être utilisée avec modération sans excès et dans la seule mesure où elle se révèle indispensable ce qui ne semble pas avoir été le cas en l’espèce puisque que [Lucas] n’a exercé aucune violence et reconnaissait même avoir possédé un téléphone interdit et faisait seulement le geste de le rendre aux surveillants. »

    L’avocat a demandé une sauvegarde des vidéos de surveillance. Une demande pour laquelle il n’a, à ce jour, eu aucune nouvelle. Il a également fait une demande de remise en liberté, qui a été refusée. Lucas lui, a dû porter une attelle pendant 15 jours, puis devra porter un plâtre pendant deux à trois mois. Il a depuis été transféré à la prison de Fresnes. Il est seul en cellule et a du mal à se déplacer et à se débrouiller seul, avec qu’un seul bras, témoigne son avocat.

    Quelques jours auparavant, le 31 décembre dernier, un autre détenu de la maison d’arrêt des Hauts-de-Seine racontait avoir été emmené dans les douches pour y être frappé hors du champ des caméras de vidéosurveillance, rapportait BFMTV. Il a lui aussi déposé plainte. Une enquête administrative a été ouverte en interne ainsi qu’une enquête judiciaire par le parquet de Nanterre. La direction de la maison d’arrêt déclarait, elle, envisager de déposer plainte pour diffamation.

    (1) Le prénom a été modifié.

    Contactée par téléphone, la directrice de la prison de Nanterre Anne Drouche, nous a redirigé vers le Procureur de la République de Nanterre et la direction interrégionale.

    Contactés, la direction de l’administration pénitentiaire et le ministère de la Justice n’avaient pas répondus à nos questions à ce jour.

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