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    20/09/2023

    Un homme meurt carbonisé dans sa cellule à la prison à Nanterre

    « Les cris de ce détenu en train de brûler dans sa cellule sont indescriptibles »

    Par Clara Monnoyeur

    Le vendredi 25 août 2023, une cellule a pris feu à la maison d'arrêt de Nanterre. L’homme qui s’y trouve sera retrouvé mort, le corps carbonisé. À l’intérieur des murs, détenus et surveillants sont traumatisés.

    Des hurlements glaçants s’échappent des bâtiments de la prison de Nanterre (92), ce vendredi 25 août 2023. Les détenus frappent contre la porte de leurs cellules. « Y’a le feu ! ». Ils crient de toutes leurs forces. « Appelez le samu ! » Une fumée noire épaisse s’échappe d’une fenêtre. La silhouette sombre est prise au piège. Des flammes rouges vives virevoltent et occupent désormais la quasi-totalité de la cellule de 9m2. Derrière leurs barreaux, les prisonniers assistent impuissants au drame. Certains crient le numéro de cellule du piégé par la fenêtre. D’autres essaient de joindre les pompiers par téléphone. Un autre filme la scène : dans le brouhaha et la panique, leurs appels au secours sont presque incompréhensibles. Le bruit des coups portés sur les lourdes portes fermées à clé sonne comme un tambour. « On ne pouvait rien faire », lâche Charly (1), un détenu témoin et encore sous le choc.

    Les surveillants ont bien été alertés d’un départ de feu à l’interphone. Mais à 18h50, les agents pénitentiaires en service l’après-midi sont en train de quitter le bâtiment pour laisser place au service de nuit. Une équipe réduite, qui ne compte pas un surveillant par étage. Les minutes passent et les hurlements s’intensifient. La caserne de pompiers se situe pourtant à moins d’un kilomètre de la prison. Quand les secours interviennent accompagnés de surveillants, l’homme de 35 ans est retrouvé mort, le corps carbonisé. Contactés, la direction de la prison, l’administration pénitentiaire, et le ministère de la Justice n’ont pas souhaité répondre à nos questions, ni préciser l’heure d’intervention des pompiers (2). Suite à l’enquête ouverte pour recherche des causes de la mort, le parquet de Nanterre a ouvert ce mercredi 20 septembre 2023 une information judiciaire pour « homicide involontaire contre X ».

    Acte de protestation ou suicide ?

    Comment un tel drame a-t-il pu arriver ? Aujourd’hui, personne ne sait vraiment. L’origine et les causes restent pour le moment floues. « J’ai vu ce détenu crier par la fenêtre, il avait l’air très énervé », reprend Charly. StreetPress a pu consulter des vidéos prises illégalement au téléphone portable par les détenus (les téléphones sont interdits en prison).

    L’homme, dont ni le nom, ni le prénom ne sont connus, serait âgé de 35 ans, et incarcéré depuis le mois d’avril 2022, selon les informations transmises à l’AFP. « Je pense que c’était des cris de détresse, d’une personne à bout, et désespérée », estime Charly. L’homme aurait mis le feu à sa couverture, puis aurait essayé d’éteindre les flammes sans y parvenir. En prison, mettre le feu à sa cellule fait partie des pratiques qui permettent de protester, de témoigner d’un mécontentement, ou d’alerter les surveillants. Ça a pu arriver à la prison Fleury-Mérogis ou d’Orléans.

    La raison de son exaspération ? Pour les deux personnes détenues avec qui StreetPress a échangé, ce serait lié aux problèmes de cantine (magasin interne à la prison). Depuis plusieurs mois, les commandes ne seraient pas livrées en entier et les détenus ne seraient pas toujours remboursés de ces manques.

    « Les personnes détenues mettent en avant la problématique des cantines, car ça a été un des gros soucis cet été », reconnaît Frédéric Lesport, délégué syndicat FO-Pénitentiaire à la prison de Nanterre. « Il y a eu des difficultés de gestion de la part du partenaire privé », mais le problème aurait été « assez rapidement résolu », assure le syndicaliste. Pour lui, cela ne fait aucun doute : l’homme s’est suicidé. « La personne aurait bloqué l’accès à sa porte. Des obstacles auraient été placés derrière la porte pour empêcher une intervention rapide », dit-il. « Il avait un co-détenu, parce que c’était un individu qu’on sentait fragile », ajoute-t-il. Reste à comprendre pourquoi l’homme, s’il était signalé comme fragile, était seul en cellule au moment des faits.

    Temps et procédures

    « Ça a été trop long pour intervenir ! On ne peut pas laisser faire ça ! », lance Charly en colère. Mais avant d’intervenir, les agents pénitentiaires doivent s’équiper, explique de son côté Frédéric Lesport. Les tenues adaptées se trouvent dans des locaux spécifiques, un étage en dessous de celui où a lieu l’incendie. « Et une fois l’équipe constituée et équipée, il faut ensuite déployer le matériel d’extinction : lampe à incendie, extincteur portatif… » Lui, assure que tout est allé très vite pour une procédure de cette ampleur :

    « Toute cette procédure ne se fait pas en un claquement de doigts. »

    Surtout, la prison souffre d’un manque de personnel auquel s’ajoute un turn-over régulier. Dans ce cadre de travail, difficile de former suffisamment et régulièrement les agents à la procédure, déplore le syndicaliste, lui-même formateur incendie.

    Ce 25 août 2023, à l’interphone, les appels de détresse des détenus depuis leurs cellules enfumées s’enchaînent. Mais leur seule ligne vers l’extérieur sonne dans le vide, pendant que les flammes gagnent du terrain. Le système, problématique, ne prend qu’un appel à la fois, selon Frédéric Lesport, qui explique que, dans la panique, les messages n’auraient pas toujours été clairs. « Ça rend compliqué de localiser le lieu du sinistre et de savoir sur quoi on intervient. »

    Des détenus pointent aussi le temps d’ouverture des trappes de désenfumage, qui permettent l’évacuation des fumées. Le déclenchement se fait manuellement et se trouve dans le poste de contrôle du bâtiment concerné. Avec l’échange de l’équipe de l’après-midi et de nuit, « les agents avaient déjà quitté le bâtiment et rendu les clés, ils ont dû retourner dans le bâtiment… », contextualise le syndicaliste. Même si la première équipe est restée en renfort, dans un lieu où les portes de chaque couloir sont fermées à clé, l’avancée se fait plus laborieuse.

    Suite à l’enquête pour recherche des causes de la mort, le parquet de Nanterre a finalement ouvert une information judiciaire pour « homicide involontaire contre X ». « Les premières investigations démontrant la nécessité d’approfondir les recherches concernant les circonstances exactes de l’incendie et du décès, dans un nouveau cadre procédural », précise le parquet de Nanterre à StreetPress.

    Le choc

    L’odeur de mort et de brûlé a imprégné les couloirs de la prison pendant plusieurs jours. La violence du drame reste gravée dans les mémoires à Nanterre. « Le traumatisme est des deux côtés, surveillants et détenus », assure Frédéric Lesport. Pourtant, depuis ce jour, rien n’a changé : pas un mot n’aurait été prononcé par la direction, aucun dispositif de soutien psychologique n’aurait été enclenché ou proposé. « Ce n’est pas la première fois qu’on déplore l’absence de soutien après des incidents similaires… », lâche le représentant du personnel :

    « Des collègues m’ont décrit la scène. Ça m’est arrivé de sortir des personnes en feu, mais ce qu’ils m’ont décrit, jamais… »

    Le syndicaliste déclare avoir proposé un suivi psychologique aux surveillants qui le souhaitent via son syndicat.

    Les jours qui suivent, les discussions tournent autour de ce drame. Julia Courvoisier, avocate, a rencontré un de ses clients au parloir après l’incendie. « Il a entendu cet homme agoniser », raconte-t-elle. Il y a aussi l’odeur de cadavre carbonisé. « Il y avait de la fumée qui passait sous sa porte, il a eu peur ». Les détenus dans le même bâtiment ont cru y passer aussi. « Ça veut dire qu’on aura beau taper dans les portes, sonner à l’interphone, il y aura personne ! On va nous laisser crever en fait ! », lance Charly est toujours en colère. Frédéric Lesport, lui, s’exclame :

    « Il faut s’imaginer la scène : il n’y a plus de surveillant, et celui qui détiennent la clé de votre cellule : c’est le surveillant ! Forcément, vous vous dites : “le prochain c’est moi”. »

    Charly reste hanté par « les cris de douleur et de détresse de cette personne en train de brûler ». La voix basse, il ajoute : « Ce n’est pas descriptible ». Le jeune homme est depuis sorti de prison. Le premier jour de sa libération, lorsqu’il retrouve son appartement, il a commencé par débrancher toutes les prises électriques.

    (1) Le prénom a été changé.

    (2) De leur côté, les pompiers de Paris ont indiqué ne pas pouvoir répondre du fait de l’enquête en cours.

    Stéphane Scotto, directeur interrégional des services pénitentiaires d’Île-de-France répond par mail à StreetPress, ne pouvoir faire aucune déclaration, « y compris pour démentir des interrogations sous-tendant des assertions mensongères, sur un décès et des faits dont l’autorité judiciaire est saisie ».

    Illustration de Une par Caroline Varon.

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