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    02/11/2023

    Nawras, Lyna ou Nour ont peur pour leurs familles

    Pour les Palestiniens de France, « Gaza est un film d’horreur que tout le monde regarde »

    Par Pauline Gauer

    Nawras, Lyna, Nour, Galag et Aïda sont Palestiniens et résident en France. Depuis les attaques du 7 octobre, ils s’inquiètent pour leurs proches encore à Gaza et dans les territoires israélo-palestiniens.

    Nawras ne retient plus ses larmes. Le matin même du 26 octobre, il a enfin eu des nouvelles de sa famille depuis le sud de Gaza après des jours d’attente. « J’ai essayé de les appeler presque 50 fois. Leurs téléphones n’ont jamais beaucoup de batterie », confie le quadragénaire résidant à Toulouse (31), la voix presque coupée :

    « Le moment où j’ai entendu ma mère parler, j’étais tellement soulagé. Je me suis dit : “C’est bon, elle est encore vivante”. »

    Ces dernières semaines, c’est le quotidien de Nawras, mais aussi de Lyna, Nour, Galag et Aïda. La plupart ont de la famille dans la bande de Gaza, bombardée des centaines de fois par le gouvernement israélien ces derniers jours. Les autres ont des proches à Jérusalem ou en Cisjordanie, et redoutent les discriminations et les agressions. Tous appellent, terrifiés, à une prise de conscience. Le frère cadet de Nawras a été blessé dans les bombardements. Des amis sont morts. Impuissant, il traduit pour tous :

    « Je ne sais pas s’il y a un mot aussi grave dans le dictionnaire pour représenter ce que je ressens. C’est pire qu’un cauchemar, c’est comme un film d’horreur que tout le monde regarde. »

    La plupart des personnes interrogées ont préféré rester anonymes, de peur que leurs proches à Gaza et ailleurs soient visés par des représailles israéliennes.

    « Perdre sa maison, c’est le minimum qu’il puisse t’arriver »

    « Depuis hier, on n’a plus de nouvelles de mon père du tout. » Lyna (1) ne dort presque plus depuis près d’un mois. Son père, un Palestinien exilé en France depuis 1983, est bloqué à Gaza depuis le début des attaques d’octobre. « Il était parti voir sa famille dans sa ville d’enfance. » À Paris, avec sa mère et ses frères, ils se relaient jour et nuit pour s’assurer qu’il est en vie : « D’habitude, il répondait toujours “ça va”. Mais, cette semaine, je suis très inquiète car ses messages ont commencé à changer. Il écrit : “À Gaza c’est très compliqué, mais ça va”. » La voix douloureuse, la trentenaire franco-palestinienne poursuit :

    « La maison dans laquelle il se trouvait a été bombardée le 9 octobre. Ils se sont réfugiés dans une maison dans le sud de Gaza avec cinq autres familles. Depuis, je ne sais pas si mon père trouve de quoi boire, se nourrir et s’il arrive à dormir. »

    La famille de Nawras a elle aussi perdu plusieurs maisons le 9 octobre. L’artiste plasticien de 49 ans, arrivé en France en 2001 pour ses études, confie être bouleversé par l’absence de nouvelles de ses proches, depuis réfugiés dans une école réquisitionnée par l’ONU. Il reprend son souffle : « À Gaza, perdre sa maison, c’est le minimum qu’il puisse t’arriver. Maintenant, j’ai peur qu’ils se fassent tuer. »

    Dans la ville de Rafah, au sud de Gaza, la famille de Galag s’est séparée dans les différentes pièces de la maison. « S’ils sont bombardés, ils ont plus de chance de ne pas mourir tous en même temps. Ils veulent être sûrs qu’il y ait au moins l’un d’entre eux qui survive », raconte le Palestinien de 41 ans. « Toutes les heures, je regarde le nom des morts, des martyrs, je surveille tout. » Pour poursuivre ses études de biologie en France, Galag a quitté le cercle familial il y a une vingtaine d’années. Il éprouve aujourd’hui une grande culpabilité de ne pas être à leurs côtés. Fragilisé, il confie :

    « Au téléphone, je sens que leur voix a changé. Je ne souhaite à personne de ne pas pouvoir agir quand on sait que sa famille est en danger. »

    Dans son entourage, « les gens ont perdu espoir, ça veut dire qu’ils sont presque morts », répète-t-il. Les familles s’organisent pour mourir ensemble et pour « mourir propre, mourir dignement. Ils veulent être retrouvés, ne pas être oubliés ». Nawras raconte que de nombreux enfants de proches écrivent leur propre nom sur les membres de leur corps :

    « S’il y a un bombardement et que l’on retrouve un bras, on saura que cet enfant est mort et on pourra faire le deuil. »

    Ne pas mourir dans l’oubli

    « À Gaza, ils meurent sous des bombes, ici c’est le silence qui nous tue. Celui de la population, des gouvernements, devant ce génocide. » Aïda est née en France. Elle est fille et petite-fille de réfugiés palestiniens. Ces derniers jours, elle a pratiquement cessé son activité de traiteur. Très affectée, elle suit attentivement les différentes chaînes d’information et se rend aux rassemblements organisés pour la Palestine. « C’est notre seul moyen d’action, notre manière d’appeler à la justice. On doit être le relais de tous les Palestiniens », confie la tout juste trentenaire à la voix fatiguée. « Les rues sont palestiniennes partout dans le monde. Ça fait du bien de voir les peuples qui se soulèvent et demandent la justice. Pourtant, pendant la manifestation du 27 octobre à Paris, ma mère de 70 ans et moi avons été verbalisées. On nous refuse le droit à la résistance. »

    De son côté, Lyna reste abattue par l’interdiction des rassemblements. « On nous interdit d’exister, de nous exprimer », soupire la jeune femme :

    « Je suis extrêmement malheureuse et inquiète : on est en train de nous faire disparaître. »

    Sur ses réseaux sociaux, elle relaie des informations de médias français et arabes en temps réel. Elle raconte avoir le sentiment de devoir sans cesse justifier, condamner, se positionner face aux événements. « La guerre médiatique est terrible. Elle nous fait presque autant de mal que ce qu’il se passe. On se sent obligé d’inonder d’images pour prouver qu’on est humains. »

    Un conflit vieux de 75 ans

    Comme beaucoup de ses proches, Nawras a les yeux fixés sur sa télévision. « Ces images sont comme des souvenirs du passé mais en encore plus grand. » En 1974, Nawras est né dans un camp de réfugiés palestiniens à Damas, en Syrie. De 1994 à 2001, il retourne à Gaza avec ses parents. « De ces années-là, je me souviens du bruit des avions qui tirent, des attaques, des manifestations. C’était différent mais déjà dangereux. » L’artiste installé à Toulouse (31) depuis cinq ans se remémore :

    « Lors d’un bombardement, je devais avoir 26 ans, j’ai ramassé des morceaux de corps de quelqu’un. Si ça avait été quelqu’un de ma famille, j’aurais été traumatisé. »

    « En Palestine, le trauma c’est tous les jours, tout le temps. Vivre dans une tension militaire, dans l’apartheid, ça change une personne, une communauté, une société. » Nour (1) a elle aussi été confrontée à des événements marquants : « Quand j’avais 12 ans, un soldat a tiré sur ma mère. Ce sont les mêmes histoires en continu. On a toujours une boule au ventre que quelque chose arrive, que quelqu’un de notre famille soit arrêté ou tué. »

    Née à Jérusalem Ouest en 1992, de deux parents palestiniens chrétiens, Nour grandit entre Jérusalem et la Cisjordanie, dans un quotidien rythmé par des checkpoints et un mur de séparation. « Je fais partie des Palestiniens de Jérusalem qui n’avaient qu’un document de voyage, un laissez-passer avec mon nom et mon prénom mais qui ne donnait pas la nationalité israélienne », contextualise la trentenaire. Ce papier lui donne un droit de résidence. « Mais Israël pouvait le révoquer s’il considérait que tu vivais ailleurs. » Lorsqu’elle quitte le pays et obtient dix ans plus tard la nationalité française, sa résidence sur sa terre natale est révoquée. Pour rendre visite à ses parents, elle doit faire la demande d’un visa de retour à résidence :

    « Toute ma vie, j’ai grandi sans nationalité, sans exister vraiment. Aujourd’hui, encore une fois, on se souviendra d’Israël-Hamas et pas de la Palestine, pas de nous. »

    (1) Les prénoms ont été changés.

    Photographie de Une d’illustration par Nnoman Cadoret prise lors d’une des manifestations de soutien à la Palestine.

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