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    19/02/2024

    Le patron avait prétexté un malaise

    Mort de Bary Keïta sur un chantier : son employeur déclaré coupable d’homicide involontaire

    Par Clémentine Eveno

    Près de trois ans après la mort de Bary Keïta, son employeur a été condamné à six mois de prison avec sursis pour « homicide involontaire dans le cadre du travail et travail dissimulé ».

    Samba Camara en est convaincu. Le délibéré dont il a eu connaissance début février 2024 est fondamental. Sans cette décision de justice, son meilleur ami serait « mort comme un chien ». Près de trois ans après la chute de son meilleur ami sur un chantier, la justice a déclaré l’employeur de Bary Keïta coupable « d’homicide involontaire dans le cadre du travail » et de « travail dissimulé ». L’employeur, Vatche Ghazarian, est en droit de déposer un recours en appel. Contacté par StreetPress, celui-ci n’a pas répondu.

    Bary Keïta est tombé de son échelle sur un chantier de démolition le 17 avril 2021 à Pantin (93). Il est mort le lendemain à l’hôpital. À l’époque, le rapport médical que le média Infomigrants s’est procuré évoque une chute de 5 mètres. L’employeur de Bary Keïta travaillait avec lui sur le chantier quand il est mort. Contacté par StreetPress en mai 2022, celui-ci contestait toute accusation et mettait la mort de Bary Keïta sur le compte d’un simple malaise provoqué par le Ramadan. Pourtant, un rapport de l’inspection du travail que StreetPress a pu consulter remettait déjà en cause cette version. Il accusait Vatche Ghazarian, dirigeant de la société Enzo, de ne pas avoir respecté les normes de sécurité. L’inspectrice du travail avançait dans sa note que ces infractions au code du Travail auraient « directement participé à la réalisation de l’accident du travail ». En condamnant l’employeur, la justice est allée dans le même sens et a contesté la thèse du simple malaise.

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    Absence d’échafaudage et de casque

    Avec le délibéré rendu le 31 janvier 2024, Vatche Ghazarian est coupable « d’homicide involontaire dans le cadre du travail » et de « travail dissimulé ». Son entreprise Enzo est coupable d’un « emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié » et « d’homicide involontaire par personne morale ». Pour les faits « d’homicide involontaire et de travail dissimulé », le dirigeant est condamné à six mois de prison avec sursis et 25.000 euros d’amende. Sa société Enzo, elle, est condamnée à 80.000 euros d’amende.

    Le délibéré reconnaît l’existence d’infractions liées aux manquements à la sécurité de Bary Keïta. Vatche Ghazarian devra payer 1.500 euros pour le non port du casque et 1.000 euros d’amende pour avoir mis une échelle et non un échafaudage, obligatoire pour les travaux longs et répétitifs. Son entreprise doit payer 4.000 euros pour ces mêmes infractions. Dans ces cas-là, l’employeur a une obligation de résultat : c’est son rôle de s’assurer qu’il n’y ait pas de manquements à la sécurité. Ces manquements étaient également pointés par le rapport de l’inspection du travail déniché par StreetPress.

    Responsabilité du donneur d’ordre

    Vatche Ghazarian est également déclaré coupable de « l’emploi d’un étranger sans titre ». D’origine Malienne, Bary Keïta n’avait pas de titre de séjour. Pour maître Bonin, l’avocat de la famille de Bary Keïta, le délibéré est très important sur le plan symbolique :

    « La justice reconnaît la problématique des accidents du travail, question particulièrement présente pour les sans-papiers. »

    En effet, ayant plus de difficulté pour réclamer légalement leurs droits, ce sont souvent les premiers qui trinquent.

    Qu’en est-il pour le groupe qui a commandé ces travaux, et empoché l’argent issu de la vente des appartements de la résidence toute neuve ? Le donneur d’ordre, la société SSCV KHF Jacquart – propriété du groupe Incity Executives – a aussi été condamnée à 10.000 euros d’amende pour « recours par personne morale aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé ».

    Sonia Da Cruz, soutien du Collectif des sans-papiers de Montreuil (93), est effarée par cette différence de peines. Pour elle, il aurait fallu que le donneur d’ordre paie le même montant que Vatche Ghazarian. Elle commente :

    « C’est un jeu de dupes, mais personne n’est dupe. »

    En principe, c’est au donneur d’ordre de s’assurer que les conditions dans lesquelles les travailleurs exercent sont correctes. Mais les recherches de marge entraînent des économies de la part de tous les acteurs. Y compris des économies sur la sécurité. Pour Sonia Da Cruz, cette recherche de marge « engendre la mort ».

    Avancées sur le plan matériel

    Les proches de Bary Keïta ont l’espoir que la situation s’améliore pour la mère de Bary Keïta, qui s’est retrouvée sans ressource à sa mort. Les soutiens de la famille vont désormais invoquer la « faute inexcusable » au pôle social du tribunal judiciaire. La « faute inexcusable » donne droit à une indemnisation supplémentaire. Elle peut être invoquée dans les cas où l’employeur aurait dû avoir conscience du danger et qu’il n’a pas pris les mesures pour prévenir ce danger. Une indemnisation pourrait alors assurer la survie à sa mère restée au Mali.

    Cette décision de justice est une bonne nouvelle aussi pour Samba Camara. Il repense sans arrêt au dernier moment qu’il a passé avec son ami. Ce jour-là, ils avaient bavardé jusqu’à une heure du matin. Ils se sont dits : « À demain ». Il ne l’a plus jamais revu en vie. Depuis qu’il a pris connaissance de cette décision, Samba Camara est enfin apaisé. Il murmure : « Dieu merci. »

    Illustration de Une par Quentin Girardon.

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