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    03/06/2024

    « On a remarqué qu’il n’y avait pas d’association LGBT ou de refuge dans notre ville »

    « On est invisibilisés dans le monde rural » : À Dinan en Bretagne, des lycéens initient la toute première Pride

    Par Manon Boquen , Caroline Ruffault

    La petite ville rurale a vu les drapeaux arc-en-ciel fleurir samedi 1er juin. Une initiative lycéenne inédite qui s’inscrit dans un contexte breton marqué par les attaques de l’extrême droite sur la communauté.

    Dinan (22) – Debout à l’arrière d’un pick-up blanc aussi large que la rue pavée, Enzo agite un drapeau avant d’attraper le micro : « Est-ce que ça va Dinan ? Est-ce qu’on est fier de qui on est ? » Le cortège de 600 personnes rempli de pancartes aux slogans incisifs acclame l’adolescent de 17 ans et sa camarade Armelle, 15 ans, elle aussi à bord du véhicule chantant pour enflammer le moment, sous les regards étonnés des touristes et des passants.

    La scène n’a rien de banal dans cette petite ville rurale de près de 15.000 habitants, surtout connue pour ses maisons à pans de bois, son important tissu commerçant et son ancrage à droite. En ce début juin, elle accueille pourtant sa première marche des fiertés dans son centre historique. Avec une particularité : des élèves du Collectif Égalité lycéen du lycée public la Fontaine des Eaux (LFE) sont à l’origine de l’événement.

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    Debout à l’arrière d’un pick-up blanc aussi large que la rue pavée, Armelle agite un drapeau. La scène n’a rien de banal dans cette petite ville rurale d'une quinzaine de milliers d'habitants. / Crédits : Caroline Ruffault

    « Pourquoi pas nous ? »

    « Il n’y avait jamais eu de Pride à Dinan, alors on s’est dit : “Pourquoi pas nous ?” », rembobine l’intrépide Enzo quelques heures plus tôt, en pleins préparatifs pour l’échéance de l’après-midi. La dizaine de membres du collectif dont l’élève de terminale blond fait partie, s’était déjà révélée au sein de son établissement depuis 2021 pour ses collages féministes, sa kermesse de l’égalité et ses ateliers autour de la santé sexuelle. Le jeune coorganisateur note :

    « On a remarqué qu’il n’y avait pas d’association LGBTQI+ et de refuge dans notre ville. »

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    Le cortège de 600 personnes est rempli de pancartes aux slogans incisifs. / Crédits : Caroline Ruffault

    Après de nombreuses réunions, il espère créer « l’étincelle » pour les années à venir ce samedi, alors que le collectif regrette un manque criant de représentation locale face aux métropoles des environs comme Rennes (35) ou Saint-Brieuc (22). Certains militants de ces villes sont venus les soutenir, comme Claire, une habituée du centre LGBT rennais, ou l’association le QG, futur centre LGBTQIA+ des Côtes-d’Armor, qui les a aidés en déclarant la manifestation à la préfecture.

    L’heure tourne et le stand maquillage tenu par le collectif rencontre un certain succès. Célia et Sophie, toutes les deux 17 ans, trépignent de battre le pavé pour leur première Pride. « Toute l’année, j’ai attendu ce moment », avance la deuxième, élève trans en CAP production et service en restauration :

    « Je voulais aller à la Pride de Rennes, mais c’est trop loin et cher pour moi. »

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    « Toute l’année, j’ai attendu ce moment », avance Sophie, élève trans en CAP production et service en restauration. / Crédits : Caroline Ruffault


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    La scène n’a rien de banal dans cette petite ville rurale de près de 15.000 habitants, surtout connue pour ses maisons à pans de bois. / Crédits : Caroline Ruffault

    « On est invisibilisés dans le monde rural »

    L’esplanade de la Fraternité, où est donné le point de départ de la marche, se remplit de participants de tous les âges. Irène, la soixantaine et lesbienne, vient à la Pride « pour y croire, car je suis avec une femme qui n’assume pas ». Anthony, 48 ans et gay, hisse son drapeau breton fait sur mesure aux couleurs de l’arc-en-ciel :

    « C’est bien de montrer qu’un tel événement est possible ici. »

    Dans la région, les lieux de rencontres et de rassemblements peinent à voir le jour jusqu’à présent. À Dinan, le premier bar queer a ouvert ses portes en 2023 sous l’impulsion d’Alex Avenard, qui tient la buvette de la Pride ce samedi : « Au départ, j’ai joué la discrétion. Ça reste Dinan. On est invisibilisés dans le monde rural, éloignés les uns des autres ». Un drapeau LGBT campe maintenant dans sa boutique le Boudoir d’Alexandrine, en partie grâce à l’organisation de la marche des fiertés qu’Alex a soutenue : « Aujourd’hui, j’estime avoir un rôle éducatif auprès de ma clientèle. »

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    À Dinan, le premier bar queer a ouvert ses portes en 2023 sous l’impulsion d’Alex Avenard, qui tient la buvette de la pride ce samedi : « Au départ, j’ai joué la discrétion. Ça reste Dinan. On est invisibilisés dans le monde rural, éloignés les uns des autres ». / Crédits : Caroline Ruffault

    S’affirmer dans un contexte tendu

    Assumer son appartenance à la communauté en Bretagne ces dernières années, c’est se confronter à des intimidations de militants d’extrême droite de plus en plus visibles. Des hommes cagoulés scandant des slogans anti-LGBTQI+ dans le cadre de lectures drag, aux attaques et banderoles homophobes dans les Pride de Rennes ou de Saint-Brieuc, le climat s’est détérioré dans la région et les violences se sont accrues. « La tension est palpable en ce moment », reconnaît Anne au stand associatif du QG.

    Pas de quoi arrêter les élèves à la manœuvre des festivités. « On a reçu tellement de soutien que les menaces ne nous font pas peur. Nous devons plus nous faire entendre », assume Enzo. Ses camarades et lui ont prévu le coup en réunissant une vingtaine de bénévoles pour la sécurité et des adultes alliés pour les accompagner lors de la Pride, en plus des effectifs de gendarmerie sur place. Entre les rythmes endiablés de la batucada et les notes entonnées à tue-tête d’Amour Censure de la chanteuse Hoshi, le cortège a profité de la marche pour « emmerder le Front national ». À l’arrivée, Armelle, qui tenait le haut du pavé à bord du « char » conduit par sa propre mère, s’émeut :

    « C’était ma première Pride et je l’ai organisée ! »

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    « On a reçu tellement de soutien que les menaces ne nous font pas peur. Nous devons plus nous faire entendre. » / Crédits : Caroline Ruffault

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