BFMTV, 28 janvier – Sur le plateau, les débats s’animent à propos du discours de politique générale prononcé la veille par François Bayrou. Le journaliste Olivier Truchot rebondit sur l’expression « submersion migratoire », utilisée par le Premier ministre et demande à Bartolomé Lenoir, invité pour l’occasion, s’il partage cette analyse. Du pain béni pour le nouveau député de la Creuse (23), adhérent au parti d’extrême droite d’Éric Ciotti. Regard clair sur costume sombre, le trentenaire assène calmement : « Évidemment que c’est une réalité. Ce n’est pas qu’un sentiment. » Et d’enchaîner sur l’exemple de La Souterraine, ville de l’ouest creusois où vivent environ 5.000 habitants. La part de l’immigration y aurait augmenté, assure-t-il, de « 462 % » en seulement cinq ans !
Loin d’aller chercher ses chiffres chez l’Insee, le député a préféré farfouiller dans un rapport de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, organisme très peu scientifique et à visée très politique, qui base en réalité ses statistiques sur… 15 ans. Les données sont même stables depuis 2017 (1) et comptent dans leur lot les ressortissants anglais, nombreux dans la région comme le note France 3. La sortie médiatique de Lenoir a eu le don d’agacer – sans le surprendre – le maire de la commune concernée, Étienne Lejeune : « Dès sa première interview, Bartolomé Lenoir a dit : “Je veux avoir des infos sur tout ce qui est migrant” », se souvient l’élu socialiste. Une façon de faire qui illustre les pratiques de ce parachuté récent dans un des départements les plus pauvres de France, qui souhaite frapper fort avant de possibles nouvelles élections. Quitte à cultiver un rapport flexible aux faits et à la vérité, tout comme son mentor Ciotti. « C’est un député inutile pour la Creuse », juge de son côté Éric Correia, président de la communauté d’agglomération du Grand Guéret et membre du Parti radical de gauche :
« À part diviser, il ne sert à rien. »
Un inconnu qui gonfle
Inconnu jusqu’à fin 2023, quand il est devenu président du parti Les Républicains (LR) dans le département, Bartolomé Lenoir « a intérêt à marquer le territoire », analyse l’ancien député macroniste Jean-Baptiste Moreau. Natif d’Angers (49) et passé par Nantes et Paris, le député n’a longtemps connu la Creuse qu’à travers quelques vacances passées dans une propriété familiale à Lépaud. Arrivé en tête au premier tour des élections législatives de 2024, où il s’est présenté sous la bannière d’extrême droite UDR-RN, le trentenaire a profité du maintien au second tour de la présidente LR du conseil départemental, Valérie Simonet, pourtant arrivée troisième. Il s’est imposé dans une triangulaire qui impliquait également l’ancienne députée Nouveau Front populaire (NFP) Catherine Couturier. Avec un slogan simplet :
« Pour que la Creuse reste la Creuse. »
Depuis, il sillonne le département, principalement à la rencontre d’élus, d’agriculteurs et de chasseurs, un électorat qu’il choie particulièrement, et aime aussi se rendre au chevet des églises. « On voit bien ses valeurs traditionnelles : agriculture, église… qui sont toutefois réductrices par rapport à ce qu’est la Creuse », tacle l’ancien député macroniste Jean-Baptiste Moreau. Le maire LR de Dun-le-Palestel Laurent Daulny assure pour sa part qu’il le voit « beaucoup sur le terrain, il est très présent ».
Mais l’élu ciottiste, que le journal d’information local IPNS présente dans un dossier comme un mini-Trump creusois, a surtout une cible en dehors de l’immigration : « L’extrême gauche. » Sa polémique lancée en fin d’année dernière à propos d’un « risque » de ZAD (Zone à défendre) sur le site d’un ancien centre de vacances situé au bord du lac du Chammet, sur la commune de Faux-la-Montagne dans le sud du département, est un exemple frappant. À l’Assemblée nationale et au ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, Bartolomé Lenoir a dénoncé un site envahi par « une centaine de personnes », qui accueillerait des militants écologistes radicaux. « Je ne veux pas que des gens qui ne sont pas Creusois nous imposent leur culture », a-t-il également osé sur France 3. La réalité est bien différente. Le lieu appartient à EDF et le comité d’entreprise s’est accordé pour héberger à titre gracieux une association. Selon les témoignages recueillis par StreetPress, seulement trois ou quatre personnes y résident à l’année : « Des gens paisibles qui ne posent pas de problème. » Un bâtiment accueille des lectures poétiques tous les mercredis. L’été, le coin est surtout fréquenté par les touristes. Il n’existe aucune zone à défendre. Face à cette fausse information, la réponse politique ne s’est pas fait attendre : une pétition a été signée par plus de 70 élus creusois, dont 30 maires, contre le député et sa tentative de « monter les habitants les uns contre les autres ».
Touche le fond mais Creuse encore
L’affaire lui a également valu une plainte de la maire de Faux-la-Montagne, finalement classée sans suite. L’opération de communication politique reste un succès pour l’élu d’extrême droite. Outre l’ancien baron local UMP Jean Auclair, des élus de petites communes se sont déjà laissés convaincre par Lenoir. À l’instar du maire de Colondannes – environ 300 habitants – François Parbaud, seul édile creusois à avoir parrainé Marine Le Pen pour la présidentielle de 2022. Selon lui, le trentenaire ferait partie des « députés qui ont l’honnêteté de dire les choses ». Quant au maire du Chauchet – 105 âmes – Philippe Monteil, ancien soutien de Dupont-Aignan et partisan d’une « droite un peu dure », il voit dans le député « quelqu’un qui a du caractère, qui est sérieux ».
Sur le plan politique, Lenoir se revendique « de la droite RPR des années 1990 ». Ses idées et ses réseaux sont pourtant bien marqués à l’extrême droite. Quand il étudiait en 2010 à l’université d’Assas à Paris, il s’était montré complaisant avec le GUD. Il a fini par timidement condamner le mouvement d’extrême droite historiquement violent, raciste et antisémite, finalement dissous en 2024, auprès du quotidien La Montagne, en parlant d’« une association qui a eu récemment des dérives ». Coïncidence, c’est par l’intermédiaire d’une ancienne du GUD, Anne Méaux, impératrice de la com’ parisienne, qu’il est entré quelques années plus tard chez Les Républicains. Il a été directeur de Contribuables associés, organisme libertarien soutenu par les ultraconservateurs du réseau Atlas et soutien d’Éric Zemmour. Un de ses assistants parlementaires est passé par SOS Chrétiens d’Orient, asso’ d’extrême droite poursuivie pour complicité de crimes de guerre pour ses liens avec les milices syriennes. « Barto », comme certains l’appellent, fait des selfies avec Marion Maréchal ou répond aux invitations du média d’extrême droite Frontières ou de Cyril Hanouna chez Europe 1. Même le site de sa « pétition pour la Creuse », relative au lac du Chammet, a été créé par Progressif Media, boîte de com’ liée à Vincent Bolloré et spécialisée dans « les campagnes d’influence au service des idées conservatrices et identitaires », selon Libération.
Les nouvelles fonctions de Lenoir et l’irruption de l’UDR dans la Creuse semblent avoir débloqué le RN local, qui veut capitaliser sur les résultats de l’extrême droite dans le département. La section lepéniste a récemment tenté d’inviter la directrice du collectif identitaire Némésis, Alice Cordier, à l’occasion d’un « apéro patriote » prévu le 7 février à Saint-Laurent. Si l’événement a finalement été annulé sans explications, il augure de leurs nouvelles ambitions. « Si on les écoute, Guéret est devenue Chicago en termes de trafic de drogues et la Souterraine est envahie de migrants. À mon avis, ils ont comme objectif de monter des listes », s’inquiète Étienne Lejeune, le maire de la ville ciblée par Bartolomé Lenoir. Les municipales, c’est dans un an.
(1) Selon l’Insee, le nombre d’immigrés à La Souterraine a doublé entre 2014 et 2017, passant de 148 en 2014 à 303 en 2017, quand s’est installé un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) sur la commune. Puis ce chiffre est resté stable jusqu’à 2020, date de la dernière étude.
Contactés, le député Bartolomé Lenoir n’a pas donné suite aux sollicitations de StreetPress. Tout comme la présidente du Conseil départemental Valérie Simonet, le maire de Gouzon et ancien patron des Républicains de Creuse Cyril Victor, la maire de Guéret Marie-Françoise Fournier, et la responsable du Rassemblement national local Camille Dos Santos De Oliveira.
Illustration de Une de Caroline Varon.
Faf, la Newsletter
Chaque semaine le pire de l'extrême droite vu par StreetPress. Au programme, des enquêtes, des reportages et des infos inédites réunis dans une newsletter. Abonnez-vous, c'est gratuit !
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER