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L’aïeule est décédée il y a plus de trois semaines, le 22 mai 2025. Pourtant, les agents de la mairie de Boulazac Isle Manoire, en Dordogne, auraient refusé de fournir l’acte de décès et les frais nécessaires aux obsèques, comme l’exige la loi lorsque le défunt ou ses héritiers manquent de moyens. À l’heure où nous écrivons ces lignes, alors que le délai maximum de 14 jours est dépassé, elle repose toujours dans une chambre froide. Contactée, la municipalité, dirigée par la maire membre du Parti communiste français (PCF) Fanny Castaignède, répond que la famille n’a pas fait les démarches nécessaires au préalable et que ses ressources « dépassent les plafonds ».
Une sépulture chrétienne au Vénézuela
Juana Cristina, 78 ans, souhaitait être incinérée afin d’être rapatriée au Vénézuela. « C’était comme ma deuxième mère, je veux lui offrir une sépulture chrétienne comme elle me l’avait demandée », explique sa petite-fille, qui a pris soin d’elle jusqu’à la fin de sa vie. Cette réfugiée politique de 27 ans a fui le régime de Nicolas Maduro en 2021. Deux ans plus tard, en 2023, Wilybeth a accueilli sa grand-mère, elle-même ancienne opposante et atteinte d’Alzheimer, dans son logement de la commune du Sud-Ouest. La septuagénaire Juana Cristina obtient rapidement le statut de protection subsidiaire, accordée lorsqu’une personne qui demande l’asile parvient à prouver qu’elle est menacée dans son pays.
Lorsque l’état de sa grand-mère se détériore jusqu’aux soins palliatifs à domicile, Wilybeth lance les démarches auprès de l’agence de pompes funèbres PFG à Périgueux, qui lui aurait indiqué que sa commune pourrait prendre en charge l’incinération. Quatre mois plus tard, au lendemain de son décès le 22 mai 2025, la petite–fille endeuillée se rend à l’hôtel de ville de Boulazac Isle Manoire. Mais l’agent de la municipalité qui la reçoit aurait refusé de lui fournir un acte de décès au motif qu’un acte de naissance doit être délivré par le consulat du Venezuela, toujours dirigé par Maduro. Sans ce document, l’agence funéraire ne peut procéder à l’enterrement. « Sauf que nous n’avons plus de famille là-bas et que sans ça, le consulat ne peut pas délivrer d’acte de naissance avant un délai de trois mois », s’exaspère Wilybeth. Le 4 juin 2025, près de deux semaines après le jour J, la mairie finit par délivrer un certificat de décès. Auprès de StreetPress, la municipalité assure, mail à l’appui, avoir elle-même contacté l’ambassade du Venezuela le 23 mai 2025 pour établir ce document.
Les frais d’obsèques sont à la charge de la municipalité
Wilybeth n’est pas au bout de ses peines puisque sa commune refuse toujours de financer la crémation. La famille de la défunte n’aurait pas les moyens de payer les frais, qui s’élèvent à plus de 4.000 euros. La mère célibataire, qui jongle entre des études de droit et un job de femme de ménage à Bordeaux, estime ses revenus à environ 1.690 euros mensuels. Une somme qui lui permet de subvenir à la fois aux besoins de sa mère de 60 ans, sans emploi et non-francophone, et de sa fille de cinq ans. Une fois le loyer et toutes les charges payées, il ne resterait 500 euros à Wilybeth pour nourrir le foyer.
Selon l’article L2223-27 du Conseil de général des collectivités territoriales, les frais d’obsèques doivent pourtant être payés par la mairie pour les personnes sans ressources. Mais d’après la municipalité du Sud-Ouest, la défunte ne rentre pas dans ces critères. Dans un mail daté du 12 juin 2025 que StreetPress a pu consulter, la directrice générale adjointe du pôle moyens et ressources de Boulazac Isle Manoire écrit :
« La mairie doit seulement organiser et financer les funérailles d’une personne décédée dépourvue de ressources pour laquelle aucune famille ou ayant-droit n’a été identifié. »
Dans sa réponse écrite à StreetPress, la mairie de Boulazac Isle Manoire évalue les ressources de la famille de trois personnes à 2.159 euros par mois, ce qui serait trop élevé pour bénéficier d’une aide. Un chiffre que Wilybeth réfute, parce qu’il surestimerait les aides de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et inclurait l’aide personnalisée au logement (APL) d’un montant d’environ 350 euros par mois directement versée à son bailleur social. La municipalité ajoute que la famille de Juana Cristina n’a fait aucune démarche préalable auprès de la municipalité avant de signer un devis avec un opérateur funéraire.
Cette situation est ressentie comme une maltraitance administrative teintée de discrimination par Wilybeth, qui s’est sentie davantage écoutée par les agents municipaux lorsqu’elle s’est déplacée accompagnée d’un ami Français. « J’ai fui le Venezuela pour ma dignité, pas pour profiter », s’indigne l’activiste politique. Elle ajoute :
« Je pensais que la France était un État de droit mais je tombe sur des personnes qui ne respectent pas leur propre loi. On n’a pas la nationalité mais on reste des humains. »
—Droit de réponse de Fanny Castagnède, maire de Boulazac Isle Manoire :_
L’article écrit par Lina Rhrissi, publié le 16 juin 2025 sur le site Internet de Street Press, a mis en cause la commune de Boulazac Isle Manoire, qui fait l’objet depuis lors, d’un traitement médiatique inédit. Choquée par l’image propagée, la Maire, Fanny Castagnède : réaffirme vivement l’attachement de la municipalité aux principes républicains de Liberté, d’Egalité, de Fraternité, et de Laïcité ainsi qu’aux valeurs humanistes de tolérance, de justice sociale et de solidarité ; confirme que la Ville applique la réglementation en vigueur et refuse de déroger au principe d’égalité des citoyens devant la Loi ; confirme que les services municipaux effectuent systématiquement toutes les démarches administratives nécessaires en cas de décès d’un(e) de ses administré(e)s. La ville est et restera fidèle à ses valeurs dans le respect de la loi de la République.