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    17/06/2025

    Certaines ont une perte de 60% de leur clientèle

    Face aux nouveaux contrôles d’identité en ligne, les travailleuses du sexe risquent « une précarité extrême »

    Par Lisa Noyal , Caroline Varon

    Depuis mars, certaines plateformes avec des contenus porno-érotiques doivent mettre en place un système de vérification d’âge pour les utilisateurs. Les travailleuses du sexe s’inquiètent des conséquences sur leur emploi et des dérives possibles.

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    « J’ai peur de devoir arrêter mon métier malgré moi », souffle Prune. Ces dernières semaines, les travailleurs et travailleuses du sexe (TDS) qui exercent sur les plateformes en ligne comme OnlyFans ou Mym voient le nombre de connexion et leurs revenus chuter drastiquement. Pour cause : la mise en place d’un système de vérification d’âge pour les plateformes hébergeant du contenu pornographique, imposé par la loi SREN. Désormais, à chaque fois qu’un utilisateur tente de se connecter et reste ensuite un temps sur une plateforme, le site lui demande de prouver son âge en soumettant sa carte d’identité et une vidéo de son visage analysée par une intelligence artificielle. « On est d’accord pour la vérification d’âge, mais il faut que ce soit juste », souligne Prune, qui travaille sur OnlyFans depuis sa création, en 2016.

    Si les conséquences de cette loi ont été récemment médiatisées car l’éditeur de trois importants sites – YouPorn, RedTube et Pornhub – a bloqué l’accès aux vidéos sur le territoire français, certaines créatrices de contenus porno-érotiques galèrent depuis des semaines. Auprès de StreetPress, des TDS pointent les dérives d’une loi qui a pour volonté initiale de sécuriser l’espace numérique, notamment pour les mineurs, et ses conséquences dans la pratique de leur métier. « Le danger c’est que les mineurs vont aller voir ailleurs, où il y a moins de vérification sur ce qui est posté », alerte Offelia, arrivée sur les plateformes il y a deux ans.

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    Plateformes délaissées et chute des revenus

    Ces dernières semaines, la créatrice Matoushka constate que les contenus qu’elle envoie sur les plateformes sont de moins en moins ouverts. Les demandes de connexion toutes les heures dissuadent beaucoup de ses clients. « C’est l’enfer, les abonnés nous écrivent pour nous dire qu’ils vont arrêter », remarque, compréhensive, celle qui est TDS depuis 2017. « Ils en ont déjà marre de se connecter. » L’année dernière, en moyenne, sur 8.900 messages envoyés, près de la moitié des personnes ouvraient le contenu. En mai 2025, sur le même nombre d’envois, elle atteint difficilement les 1.300 ouvertures. Sa collègue Prune, créatrice de contenu pour adultes depuis une dizaine d’années, remarque le même phénomène et parle d’une perte de 60% à 70% de ses viewers. « C’est catastrophique, on voit les comptes qui disparaissent », s’inquiète cette dernière.

    La chute du nombre de connexions entraîne immédiatement celle des revenus des créateurs et créatrices de contenus. Prune a perdu les deux tiers de son salaire en un mois. Elle qui tournait autour de 2.500 euros brut touche désormais moins d’un SMIC. « J’ai un loyer à payer quand même à la fin du mois et je n’ai pas d’aide pour les sous perdus », se soucie-t-elle. De son côté, Matoushka a perçu le mois dernier son plus bas salaire en cinq ans. Après la saturation du marché, l’inflation, les contenus des réseaux sociaux invisibilisés ou supprimés, la loi SREN est pour elle « le pompon sur la Garonne ». Du côté d’Offelia, qui fait partie du top 2% sur OnlyFans, elle estime sa perte entre 1.000 et 1.500 euros par rapport à ses précédents chiffres d’affaires.

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    La réalisatrice et performeuse de porno alternatif Carmina a, elle, désinvesti peu à peu les plateformes quand elle a su que ces restrictions allaient arriver. Mais cette dernière se confronte à la loi en tant que directrice de son propre site. Elle doit engager des dépenses pour mettre en place la vérification d’identité : développement web, coût de la mise en place, trouver un partenaire sécurisé… « J’ai peur car j’ai l’impression que ma société ne va pas tenir face à la loi », s’alarme la créatrice qui regrette de ne pas avoir été accompagnée financièrement pour entreprendre les démarches.

    Trouver des alternatives

    Les TDS tentent de trouver des solutions pour compenser ces pertes et transmettent leurs astuces. Parmi elles, l’utilisation d’un VPN – un réseau privé virtuel qui permet d’être localisé dans un autre pays où il n’y a pas de vérification. « C’est plus de sous et plus technique, les clients sont là pour s’amuser, pas pour faire des démarches », souligne Matoushka. L’option du VPN fonctionne néanmoins pour Offelia qui a également adapté sa façon de travailler et fait en sorte de proposer du contenu intéressant dans un créneau d’une heure.

    Certaines optent pour la vente en dehors des plateformes et proposent à leurs clients réguliers d’échanger par les réseaux Telegram, Instagram ou Twitter-X. Mais les TDS mentionnent les limites de cette méthode plus précaire et moins sécurisée : demande davantage de logistique, ne permet pas de trouver de nouveaux clients, ni de sécuriser les contenus ou le paiement. Et là encore, la question de la protection des mineurs se pose. « On n’a pas envie que les enfants regardent nos contenus », réaffirme avec évidence Carmina.

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    Les mineurs vraiment protégés ?

    « On se met des œillères, on essaie d’effacer le problème », s’insurge Vera Flynn, travailleuse du sexe « virtuel » depuis 2011. Pour elle, la loi SREN va amener les mineurs à se tourner vers d’autres canaux pour consulter du porno encore moins régulés sur lesquels il y a du contenu volé, non consenti et donc du contenu plus trash. « Pornhub faisait l’effort de contrôler et modérer, il supprime les vidéos qui ne respectent pas certains critères », poursuit-elle. D’autant que d’autres sites très fréquentés en France sont toujours actifs sans les nouvelles vérifications d’âge. Les créatrices interrogées par StreetPress sont toutes catégoriques : il faut protéger les mineurs, mais ce travail passe également par plus d’éducation et de prévention en amont.

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    Ce changement soudain amènent certaines TDS à envisager à contre-cœur une reconversion professionnelle, après des années à jongler entre les différentes plateformes qui sucraient souvent leurs comptes. « J’ai 31 ans, la retraite ça fait un peu tôt », blague amèrement Prune. Cette dernière commence à diversifier ses rentrées d’argent par d’autres activités. Offelia, elle, reste confiante pour l’avenir du métier, mais souligne les difficultés créées :

    « Cette loi va créer un fossé plus grand entre les petites et grandes TDS. Elle va mettre les petites créatrices dans une précarité extrême et ça va être plus difficile pour se créer une communauté. »

    Illustration de Une de Caroline Varon.