Un sourire empreint d’appréhension barre le visage de Justine quand elle s’assied à une table du Salon du livre. Encore peu habituée aux interviews, cette brune discrète pèse ses mots avant de répondre. Son premier livre, « Fils de Sham », elle le signe sous pseudonyme : Justine Bo. Une contraction en fait de son nom de baptême. « Je suis anti-noms de familles, c’est quelque chose qu’on te lègue, qu’on ne choisit pas. » Pourtant, pas de conflit familial derrière tout ça, même si elle n’aime pas trop parler de sa famille, « plus pour les protéger ».
Erasmus En quatrième de couverture, sa bio tient en deux phrases : « Justine Bo est née à Cherbourg en 1989. Elle a fait plusieurs séjours dans les pays du Moyen-Orient. Fils de Sham est son premier roman. » Comme si son vécu ne pouvait pas intéresser quelqu’un. « Le modeste ne se sent jamais légitime », tente-t-elle pour se justifier, citant Michel Onfray.
Justine Bo | Ze story
> 1989 : Naissance
> 2007/08 : Prépa littérature
> 2008/09 : Sciences Po
> Été 2010 : Volontariat en Palestine
> Sept 2010 : Départ en Syrie
> 15 mars 11 : 1ère manif à Damas
> Aout 2011 : Retour en France
> Février 2012 : Court métrage “The Beyrouth Follies”
> 7 mars 2013 : Sorte de Fils de Sham
Pourtant c’est de son vécu qu’elle tire la moelle de son roman. De septembre 2010 à aout 2011, cette année passée à Damas dans le cadre d’un échange universitaire alors que le pays se soulève. Elle y découvre une jeunesse syrienne pour qui « la politique est un tabou ». C’est à l’occasion d’un vernissage qu’elle rencontre sa bande, un peu artiste – « une façon d’être libre, sans vraiment prendre de risques », juge-t-elle avec le recul. Une bande qui est surtout très fêtarde.
Damas by night Avec eux, elle découvre les bouges de Damas. Elle y croise « toujours les mêmes têtes ». « Ils se lâchent beaucoup à l’intérieur. En tout cas ils essayent de s’en convaincre. J’ai vu des lesbiennes qui se grimpaient dessus au milieu du bar ». La bande son de cette jeunesse : le rock 70’s des Pink Floyd et un peu de hard. « Et c’est là-bas que j’ai commencé à écouter du trip-hop. » Dans la petite bande l’herbe tourne pas mal. « Un pote fumait toute la journée. Il me disait qu’avec ça, il n’arrivait à penser à rien d’autre qu’à sa musique. » Mais cette liberté a ses limites. La réalité les rattrape. La révolution dissipe les volutes de fumée et les vapeurs d’alcool. A moins qu’elle ne les y plonge encore un peu plus. Justine glisse dans la bouche de son héroïne :
« Encore une journée à ne rien foutre sous prétexte qu’il fallait attendre. Et comme il fallait attendre, il faudrait fumer. Je me dis qu’à cette époque, il y avait deux professions d’avenir en Syrie : flic ou trafiquant si l’on était pour le statu quo, révolutionnaire ou fumeur si l’on s’en détachait. »
A qui l’offrir: A Frigide Barjot pour qu’elle comprenne ce que ça veut dire que de promettre « du sang ».
Où le lire: Dans un bar à chicha.
On a aimé: Le regard sans concession mais aussi sans cliché porté sur la jeunesse syrienne.
On a mois aimé: Parfois un peu trop ampoulé. Trop d’adjectifs tuent les adjectifs.
La citation: « Terrée dans l’eau de la baignoire de céramique, je me suis dit que je n’arriverais pas à le jeter. C’était pourtant ce qui était prévu. Bazarder son scaphandre de zinc en chair cuite, et nos souvenirs avec. »
La jeunesse est dans la rue 15 mars 2011. Première manifestation à Damas. Cette jeunesse, qui ne voulait parler de politique, se réveille. Même si au quotidien « la vie était très possible » dans la capitale syrienne, le danger est là, bien présent, de plus en plus palpable. On discute à voix basse des événements. « De “ça n’arrivera jamais”, on est passé à “et si ça arrivait ?” » se souvient Justine. Mais comment faire lorsque nous sommes « des résistants qui ne savent pas résister » ? Justine prend en pleine face la réalité de cette société écrasée par un pouvoir inique. « J’ai assisté au procès de la mère d’une amie. »
La justice syrienne (mais peut-on vraiment parler de justice ?), elle la raconte minutieusement dans son livre. Les tribunaux peu habitués à tant de travail, allaient devoir « trouver le rythme ». Elle décrit dans son roman ces juges qui mettent tous leurs efforts pour retarder les procès :
« On préférait prétendre qu’ils seraient jugés pour les laisser en taule le plus longtemps possible. Ça leur passera l’envie de revenir, deux semaines de torture valent mieux qu’une. »
Retour au monde réel Au plus près des événements, Justine garde la juste distance. « Ce n’était pas ma guerre ! », citant (involontairement) Rambo. « Y aller aurait plus desservi leur cause qu’autre chose et la guerre par procuration, ça m’excède.» Si la révolution est au cœur de son roman « ce n’est pas la question centrale. » « C’est en quelque sorte un outil narratif, un contexte qui m’intéresse. La perte de repère ultime. Où est le social quand il n’y a plus rien ? » « Fils de Sham » est en fait un roman sur l’identité à la période de vie où on la questionne le plus, celle de l’entrée dans l’âge adulte.
Après un an en Syrie, Justine reprend ses valises. Retour à Paris, Sciences-Po. « A peine arrivée en France, je sors du métro à Saint Michel, et je tombe face à un magasin qui n’existait pas avant mon départ : Il s’appelle “la démocratie”. En Syrie ils font la révolution pour la démocratie, en France ils en font des boutiques de fringues. Ça m’a un peu rendu triste.»
[Vidéo] – Le court-métrage de Justine
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