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    22/11/2010

    Aron Lund - spécialiste du Sahara occidental – ne croit pas à une action significative de l'Onu dans les prochains jours

    Sahara occidental: « L'Onu a intérêt à prendre position ni pour le Maroc ni pour le Front Polisario »

    Par Elsa Kissel

    Ce mardi au Conseil de sécurité de l'Onu sera étudié le dossier du Sahara occidental 2 semaines après les incidents de Laâyoune. Le journaliste Aron Lund ne croit pas à l'adoption «d'une résolution significative»: l'Onu joue «le statu quo».

    Aron Lund est un journaliste indépendant suédois, spécialiste du Moyen-Orient. En 2003, il se rend au Sahara occidental et visite à plusieurs reprises le camp sahraoui de Tindouf, en Algérie. Début 2010, il se rend dans la partie du Sahara occidental contrôlée par le Maroc. Il collabore régulierment au quotidien suédois Expressen

    Est-ce que ce sont les intérêts des pays occidentaux au Sahara occidental qui ralentissent le processus de négociation entre le Front Polisario et le Maroc ?

    Oui, mais les ressources naturelles (le Sahara occidental serait riche en pétrole, et ses eaux sont très poissonneuses, ndlr ) ne sont qu’une partie des intérêts que les pays occidentaux tentent de préserver. Je pense que la France et les États-Unis en particulier soutiennent le Maroc pour éviter que le pays soit déstabilisé. Le roi a assis une partie de sa crédibilité sur le sujet du Sahara occidental, donc perdre le Sahara occidental serait catastrophique. Par ailleurs, la France et les États-Unis souhaitent avoir de bonnes relations avec l’Algérie qui soutient le Front Polisario. En fait, la plupart des pays du monde disent au Maroc ce qu’il veut entendre tout comme à l’Algérie et au Front Polisario. Les pays occidentaux ont des intérêts à préserver tant auprès du Maroc que de l’Algérie et n’ont donc pas intérêt à prendre position pour l’un ou pour l’autre.

    Est-ce que le fait qu’une résolution puisse bientôt être adoptée par le Conseil de Sécurité de l’ONU risque d’augmenter la tension sur place ?

    Des négociations ont lieu en ce moment aux Nations Unies mais je ne pense pas qu’une résolution significative puisse être adoptée. La plupart des pays souhaitent maintenir le statu quo ce qui accroît les tensions sociales, économiques et politiques au Sahara occidental. Cette politique sur le long terme est très destructrice, mais personne ne veut en changer car le faire risquerait de causer des troubles sur le court terme.

    Les Sahraouis considèrent-ils que le Front Polisario a la légitimité nécessaire pour négocier avec le Maroc et prétendre au pouvoir au Sahara occidental ?

    Personne ne le sait parce qu’il n’y a pas eu de sondages, de référendum ou d’élections impliquant tous les Sahraouis. Je suis sûr que les habitants des camps algériens ont des griefs à l’encontre du Front Polisario mais ils sont en même temps fermement en faveur de l’indépendance et du Front Polisario. Dans les régions contrôlées par le Maroc, il est plus difficile de décrire la réalité. Je parierais qu’il y a un gros soutien pour le Front Polisario car le cœur du processus de paix depuis 20 ans est la tenue d’un référendum sur l’indépendance. Or le Maroc empêche sa réalisation, ce qui me fait dire que le Maroc a peur de perdre.

    Les événements du 8 novembre

    Le Maroc et le Front Polisario revendiquent le Sahara occidental. En octobre, dans la partie du Sahara occidental contrôlée par le Maroc, des milliers de Sahraouis construisent un camp à Agdim Izik pour dénoncer leurs mauvaises conditions de vie. Le 8 novembre, les forces marocaines démantèlent le camp d’Agdim Izik, situé près du chef lieu du Sahara occidental, Laâyoune. Des heurts ont lieu, et le mécontentement se propage jusqu’à la ville, où les affrontements entre Sahraouis et Marocains se multiplient. Le bilan du Front Polisario diffère de celui du Maroc: Les autorités marocaines parlent de 12 morts dont 10 dans les rangs des forces de l’ordre, tandis que le Front Polisario évoque plusieurs dizaines de morts et 4500 blessés. Ce démantèlement a eu lieu quelques heures avant des négociations entre le Front Polisario et le Maroc, sous l’égide de l’ONU. De nouvelles négociations sont prévues dans les semaines à venir.

    Que pensez-vous des protestations qui ont eu lieu à Madrid il y a quelques jours pour protester contre les violences faites aux Sahraouis ?

    Le Sahara occidental fait partie des anciennes colonies espagnoles. C’est un sujet important en Espagne à l’inverse du reste du monde. Les Espagnols sont traditionnellement pro-sahraouis. Je ne suis donc pas surpris par les manifestations en faveur de ce peuple qui ont eu lieu à Madrid. Mais je ne pense pas qu’elles vont changer quelque chose à la situation du Sahara occidental.

    Est-ce que l’Algérie a participé aux violences qui ont eu lieu à Laâyoune après l’évacuation du camp d’Agdim Izik ?

    Les protestations des habitants du camp provisoire d’Agdim Izik n’étaient pas politiques au départ. Ils réclamaient des emplois, dénonçaient les problèmes sociaux et économiques. Au fur et à mesure que le temps s’écoulait, et que le camp n’était pas démonté, leurs protestations ont été de plus en plus politisées. Et le Front Polisario aurait alors commencé à jouer un rôle dans ce camp. En ce sens on peut peut-être penser qu’il y a eu un soutien algérien. Entre 1975 et 1991, l’Algérie fournissait des armes au Front Polisario qui était en guerre contre le Maroc. Aujourd’hui, l’Algérie aide le Front Polisario diplomatiquement – avec un soutien très fort aux Nations-Unies – et financièrement. Ils entrainent ses membres, les laisse voyager avec des passeports diplomatiques algériens… De plus, les réfugiés du Sahara occidental habitent sur le sol algérien, à Tindouf, à l’ouest de l’Algérie, où ils ont une sorte d’autonomie.

    Front Polisario – Bio Express

    Le Front Polisario est un mouvement politique et armé créé en 1973 pour lutter contre la présence espagnole sur ce qui s’appellera plus tard le Sahara occidental. Ce territoire se situe entre le Maroc au nord, la Mauritanie au sud, l’océan Atlantique à l’ouest et l’Algérie à l’est.

    Le Front Polisario est aujourd’hui opposé au Maroc et a pour objectif l’indépendance et le contrôle du Sahara occidental. Le Maroc souhaiterait que le Sahara occidental soit un territoire jouissant d’une relative autonomie, mais qui lui soit rattaché. Un mur dressé par le Maroc sépare les 20% de ce territoire gérés par le Front Polisario des 80% contrôlés par le Maroc. L’Algérie soutient les revendications du Front Polisario.

    « L’initiative se déplace aujourd’hui du Front Polisario en exil vers les habitants du Sahara occidental »

    Les affrontements du 8 novembre sont considérés comme les plus violents depuis la fin de la guerre avec l’Algérie en 1991. En quoi consiste habituellement la résistance des Sahraouis contre la présence marocaine ?

    Aujourd’hui au Sahara occidental, le ratio est quasiment d’un soldat marocain par Sahraoui: cela laisse peu de place à la résistance civile. Mais le Maroc est devenu un peu moins répressif depuis que le nouveau roi est monté sur le trône en 1999. Les activités sahraouies se sont développées, des gens ont été libérés de prison et ont commencé à faire campagne sur des sujets comme les enlèvements et les tortures des années 1970 et 1980. Ils veulent des clarifications sur ces dossiers. Les gens commencent à se mobiliser, d’ailleurs en mai 2005 a eu lieu une vague de manifestations ainsi que des émeutes importantes – bien que moins violentes que les récents débordements à Agdim Izik et Laâyoune. Ces émeutes, clairement nationalistes, ont été les premières dans le genre. Elles ont inspiré une nouvelle génération d’activistes actifs dans le sud-ouest du Sahara occidental. Ils travaillent sur les droits de l’Homme, utilisent Internet et Youtube. (…) Ces mouvements sont sans doute liés au Front Polisario, inspirés et sponsorisés par lui, mais ils ne sont pas complètement sous son contrôle. Je pense qu’ils sont en train de faire de l’ombre au Front Polisario, qui reste circonscrit aux camps sahraouis d’Algérie. L’initiative se déplace aujourd’hui du Front Polisario en exil vers les habitants du Sahara occidental. Les protestations du camps d’Agdim Izik d’ailleurs portaient très peu sur la question de l’indépendance, mais bien plus sur des problèmes de la vie quotidienne.

    Quelques dates importantes

    1975: accords de Madrid, signés par l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie. Ces accords actent le partage du territoire entre le Maroc et la Mauritanie, sans consultation de l’Algérie ni des Sahraouis. Des affrontements entre le Front Polisario et le Maroc éclatent. Des dizaines de milliers de Sahraouis se réfugient dans les camps de Tindouf, en Algérie, gérés par le Front Polisario.

    1976: fin du retrait espagnol. Le Front Polisario fonde la République arabe sahraouie démocratique (RASD), nom qu’il donne à l’ensemble du territoire du Sahara occidental. Il s’en proclame le gouvernement en exil. Le Maroc considère, pour sa part, ce territoire comme marocain.

    1991: cessez-le-feu entre le Front Polisario et le Maroc, sous l’égide des Nations Unies. Le statut définitif du Sahara occidental n’a toujours pas été déterminé. Des négociations entre le Maroc et le Front Polisario sont depuis 1991 en cours à l’ONU, afin de trouver une solution à l’un des plus longs conflits qu’ait connu le territoire africain.

    Source: Elsa Kissel | StreetPress
    Crédit photo de une: Polisario Soldiers, by Nick Brooks | Flick’r Creative Commons

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