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    12/07/2018

    Hervé a fait plier la prison de Fresnes

    Quand un ancien taulard fait condamner la prison dans laquelle il était détenu

    Par Theo Englebert

    Incarcéré à Fresnes jusqu'en 2017, Hervé avait dénoncé « une atteinte aux libertés fondamentales » à propos des cours de promenades. L'ex-taulard a eu gain de cause : le tribunal a condamné la prison à faire de nombreux travaux.

    Maison d’arrêt de Fresnes – Hervé a été enfermé trois ans à la prison de Fresnes, entre 2015 et 2017. Mais ce 28 mai, c’est en homme libre qu’il en passe les portes. Mieux, il est escorté par quatre magistrats et une greffière du tribunal administratif de Melun. Tous ensemble, ils se rendent dans les cours de promenade pour constater les conditions de détention déplorables de ces lieux. Dans le viseur des juges : l’administration de la prison. Les boss sont en stress et Hervé n’y est pas pour rien.

    On rembobine : Hervé a passé plus d’une décennie en cabane pour des faits de grand banditisme. Il atterrit à Fresnes début 2015. Les cours de promenade le choquent. Manque de bol pour l’administration pénitentiaire, l’ex-bandit a profité de ses peines antérieures pour potasser le droit.

    David contre Goliath

    Devant ses codétenus, il tape dans les murs. « Je vais les casser ! », leur promet-il. « Ouais, c’est ça. T’es un rêveur », répondent ses codétenus. Hervé commence par écrire à Taubira – à l’époque ministre de la Justice. Aucune réponse. Au printemps 2015, il décide de saisir le tribunal administratif. Il joint à sa requête son témoignage minutieux, un plan et des photographies des promenades. Hervé y réclame des mesures « afin de garantir la conformité [des cours de promenade] avec le principe de respect de la dignité humaine ». Il insiste sur la nécessité de remédier à leur exiguïté et de les doter de l’équipement élémentaire dont elles sont dépourvues : abris contre les intempéries, sanitaires, tables et bancs.
    Trois ans plus tard, Hervé obtient gain de cause. Les juges décident de programmer une visite sur les lieux pour constater les dégâts. Voilà comment Hervé s’est retrouvé à jouer les guides pour la petite délégation, en mai dernier.

    La visite

    Depuis, Hervé est sorti de prison. C’est libre qu’il raconte à StreetPress cette fameuse visite :

    « Avant notre arrivée, l’administration avait bétonné tous les petits trous, les rigoles, etc., pour limiter l’accès des rats à la promenade. D’habitude, c’était vraiment dégueulasse. Mais là, c’était étonnamment propre. »
    La cour où l’administration les emmène est tellement impeccable qu’elle ne semble convaincre personne. « Voilà un point de référence qu’il faudrait conserver », blague maître Spinosi, l’avocat d’Hervé. Rigolade générale.
    À la demande du président, ils visitent une cour plus petite. « En face des promenades, il y a les fenêtres des cellules. En voyant des types en costume, les mecs se sont mis à gueuler. Pendant tout le temps de la visite, il y a un boucan pas possible », poursuit Hervé. Les détenus s’époumonent :

    « – On n’a pas de draps !
    – Il y a des rats et des punaises !
    – On n’a pas de droits ! On nous respecte pas ! »

    Hervé commente :

    « [Les juges] sont choqués. Personne ne parle. Tout le monde se fait tout petit. Ça se voit que ça les marque. »
    Après leur excursion dans l’univers impitoyable de Fresnes, les juges ont dressé un procès-verbal que StreetPress a pu se procurer. Les magistrats y confirment les témoignages d’Hervé dans sa requête.

    Quelles conclusions ?

    Vendredi 6 juillet, le rapporteur public prononçait ses conclusions devant le tribunal administratif de Melun, avant que celui-ci ne délibère. La décision des juges est attendue dans les semaines à venir. Mais le dossier a l’air en bonne voie. Dans un jugement d’avril dernier, que StreetPress a pu consulter, le tribunal balaie les arguments de la prison de Fresnes et conclut :

    « [Les] conditions dans lesquelles se déroulent les promenades des détenus du centre pénitentiaire de Fresnes excédent le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et sont, dès lors, attentatoires à la dignité des intéressés. »

    La démarche d’Hervé vient s’ajouter à la longue liste de rapports et de procédures en cours contre Fresnes. La justice administrative a condamné la direction de la prison à de multiples reprises ces dernières années. StreetPress vous révélait en janvier les piteuses conditions d’incarcération de ses détenus. Dix d’entre eux ont saisi la Cour européenne des droits de l’Homme. L’institution a d’ores et déjà communiqué six requêtes concernant l’établissement. Trois d’entre elles mentionnent les cours de promenade.

    Contacté par téléphone, Youssef Badr, le porte-parole du ministère de la Justice, promet que les choses devraient changer à Fresnes, balayant toute responsabilité au passage :

    « Christiane Taubira, c’était Christiane Taubira… Là on est sous Belloubet. Elle a déjà engagé beaucoup de choses et le principe de la rénovation est acté. Il y a une enveloppe conséquente qui vient d’être débloquée. C’est acquis. »

    Les travaux sont estimés à 270 millions d’euros, mais en 2019 les dépenses seront « très modérées ». Traduction : pas de grands changements dans l’immédiat.

    Crédit photo : JC Hanché pour le CGLPL.

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