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    03/04/2019

    Elles sont enceintes, souvent à la rue, parfois sans papiers

    À Montreuil, une maternité pour les femmes en détresse

    Par Pauline Baron , Yann Castanier

    Fatouma n’a pas de papiers. Mireille a été mise à la rue par son compagnon. Sabrina a été battue par son mari. Toutes sont suivies par la maternité de Montreuil. Un dispositif unique en France, réservé aux femmes en situation de très grande précarité.

    Maternité de Montreuil (93) – Assise sur son lit, Mireille (1), pyjama bleu pâle et longues tresses, couve du regard Mara, sa fille née deux jours plus tôt. Elle réajuste les draps à chaque babillement du bébé endormi, un sourire au coin des lèvres. Ses yeux humides révèlent pourtant une profonde angoisse : elle ne sait toujours pas où elle et son enfant seront hébergés à leur sortie de l’hôpital. Car Mireille vient de perdre sa place dans le foyer du 115, où elle habitait depuis cinq mois, à la suite de son hospitalisation au CHI André-Grégoire de Montreuil.

    La jeune femme de 28 ans, qui a quitté le Togo pour suivre des études en Espagne, s’est assise pour la première fois dans le cabinet de l’Unité d’accompagnement personnalisé (UAP) en octobre 2018. C’est la Protection Maternelle et Infantile de Rosny-sous-Bois, un centre médico-social du département, qui l’y a envoyée. « Je pensais qu’on pourrait m’aider pour ma grossesse et après, avec mon bébé. Car j’avais lu sur le panneau à l’entrée “Protection des enfants”. »

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    En rendez-vous. / Crédits : Yann Castanier

    À l’époque, Mireille, enceinte de quatre mois, est à la rue. L’homme qu’elle a suivi par amour jusqu’en France la contraint à ce dilemme : avorter ou s’en aller et élever seule le bébé. Mireille a fait son choix en même temps que ses valises. Dès qu’elle entend son histoire, Pauline Auzou, l’une des sage-femmes de l’UAP, lui ouvre un dossier.

    Comme Mireille, près de 300 femmes dans une situation d’extrême vulnérabilité sont accueillies chaque année par l’Unité d’accompagnement UAP de la maternité de Montreuil. Un service unique en son genre en France. « Toutes ces femmes partagent un cumul de difficultés liées au logement, aux ressources, à la violence… et surtout l’isolement. Comme cette femme venue toute seule de Libye, qui est arrivée dans notre service enceinte de huit mois », contextualise Bruno Renevier, chef du service de gynécologie-obstétrique et fondateur de l’UAP.

    Chacune intègre l’unité à un stade différent de sa grossesse, au gré d’un parcours de vie souvent chaotique. Sabrina, elle, est arrivée enceinte de deux mois. À 38 ans, cette Algérienne sans papiers est déjà maman de deux enfants.

    « Je suis d’abord allée aux urgences à cause des coups donnés par mon mari dans mon ventre. »

    Sans attendre son premier rendez-vous avec l’UAP, elle décide de porter plainte pour violence conjugale. Une décision courageuse, qui lui a pourtant porté préjudice : elle a depuis perdu toutes les aides sociales qui lui étaient allouées. « Tous les papiers sont au nom de mon mari… À son incarcération, toutes les aides se sont arrêtées. » Il ne lui est resté qu’un 32m2 insalubre d’où elle a failli être expulsée. L’unité de Montreuil l’a suivie tout au long de sa grossesse, et n’a pas hésité à plaider auprès de la Protection de l’enfance pour que la garde des ses enfants lui soit laissée.

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    Un garçon ou une fille ? / Crédits : Yann Castanier

    Confidentes et sages-femmes à la fois

    « Madame Sakina m’a écoutée et m’a accueillie », raconte Sabrina. C’est aussi elle qui l’a aidée dans sa procédure de divorce. Sakina Bouali est sage-femme à l’UAP depuis sa création, en 2017. Tout comme Pauline Auzou. Pour toutes ces femmes, elles deviennent Madame Pauline et Madame Sakina. « Notre rôle consiste à établir leur suivi médical, psychologique et social. Mais surtout, on les écoute. C’est souvent ce dont elles ont le plus besoin », précise Pauline Auzou. Elles sont ainsi les piliers de l’UAP, celles à qui ces futures mères se livrent. Au point de parvenir à « se vider la tête et le cœur de leurs problèmes durant les consultations », comme dit Sabrina.

    « L’absence de papier, mon mari en prison, les démarches pour récupérer les aides sociales… Tout ce qui fait pleurer le soir quand les enfants dorment, je peux lui en parler. »

    Aïssa s’en excuse presque : « Je parle tellement que je déborde de mes temps de rendez-vous. Et parfois, je suis hors-sujet ». Cette Guinéenne de 25 ans a été jetée à la rue avec son fils de 2 ans par sa belle-famille, alors que son mari était en prison.

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    300 femmes en extrême précarité passent par la maternité tous les ans. / Crédits : Yann Castanier

    Au-delà du suivi médical, les sages-femmes les aident surtout à tenir bon face aux coups durs de leur vie. Et même à relever la tête, à l’instar d’Aïssa. « En me disant que je suis importante, Madame Sakina m’a rendu confiance en moi et m’a enlevé la honte sur la manière dont je me suis retrouvée enceinte. J’ai bien avancé depuis mon premier rendez-vous », assure-t-elle la voix triste. À son arrivée à l’aéroport d’Orly en septembre 2015, pomponnée spécialement pour son futur mari, elle n’imagine pas le mépris et les humiliations de sa belle-famille. Ces brimades se poursuivent alors même qu’elle n’habite plus avec eux. Lorsqu’elle renoue avec son mari à sa sortie de détention, son beau-père exige un test de paternité. Le résultat est positif. Depuis, plus de nouvelles de sa belle-famille.

    Apaiser pour recentrer sur la grossesse

    Depuis cette nuit où elle s’est évanouie dans son appartement du 115, faute d’avoir mangé de la journée, Mireille a elle aussi fait du chemin. « Au début, j’ai eu du mal à m’investir dans la grossesse, car l’absence de logement stable et de nourriture me stressait. Mais Madame Pauline m’a répété de ne rien lâcher et de venir dormir à l’hôpital si j’étais à la rue. » La sage-femme lui a même donné des vêtements pour sa fille et son nourrisson.

    « Elle m’a soutenue à la place de ma famille restée au Togo, au point de me donner la joie d’être enceinte. »

    Nombreuses sont celles, comme Mireille, à pleurer lors des premières consultations. Et puis au fil des mois, les larmes se tarissent au profit de questionnements sur leur grossesse et la santé de leur bébé.

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    Toujours en rendez-vous. / Crédits : Yann Castanier

    Les rendez-vous se succédant, un lien de confiance se noue entre ces patientes et leur sage-femme. Pour y parvenir, Pauline Auzou et Sakina Bouali, les sages-femmes ont dû revoir leur façon de travailler. « On cherche à savoir si elles ont subi des violences, on les interroge sur leur logement, leurs activités… tout ce qui peut influer sur leur moral. On ne les réprimande pas en cas de retard, car beaucoup se perdent rien que dans l’hôpital », résume Pauline Auzou. Elles les accompagnent en salle d’examen, leur téléphonent pour leur rappeler les rendez-vous et surtout les laissent parler sans se soucier de l’heure qui défile. « Si je dois expliquer pendant une heure un examen, je le fais, mais en attendant le bon moment pour ne pas les perturber », détaille Sakina Bouali. Et de conclure : « On récolte ainsi toutes les infos relatives à leur situation afin d’anticiper les problèmes en amont. Par exemple aborder suffisamment tôt la question de la garde de leurs enfants, pour être sûr d’obtenir des places d’accueil au Relais parental. » Le moyen aussi pour les sages-femmes de mettre en place un parcours de soins le plus adapté aux besoins de ces femmes.

    Maux du cœur vs problèmes médicaux

    Chaque mois, les futures mères peuvent se rendre à l’Arbre à Palabres, un groupe de paroles animé par Hawa Camara, la psychologue de la maternité. Noyées dans un brouhaha de rires et de cris d’enfants, une quinzaine de femmes enceintes partagent un goûter, loin des tracas quotidiens et des contraintes médicales. « On discute des bébés, de l’allaitement, de l’accouchement… Ça rassure les dames qui ne connaissent pas la médecine française. Et savoir qu’on n’est pas la seule dans cette situation aide à tenir le coup », raconte Mireille. Elle y a trouvé une amie, Abla. Également originaire du Togo, elle l’a soutenue et réconfortée lorsque des doutes sur la viabilité de son foetus sont apparus.

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    C'est par où la maternité ? / Crédits : Yann Castanier

    « Chacune porte des traumatismes que la maternité peut faire remonter. Certaines peuvent revivre lors de l’accouchement le viol qu’elles ont subi, puisque ces deux évènements les privent du contrôle de leur corps », explique Hawa Camara.

    Lorsqu’il n’y a pas de rendez-vous, ce sont les sages-femmes, plus présentes, qui prennent le relais. Un seul regard de Fatouma suffit à Sakina Bouali pour comprendre quand quelque chose cloche. Après avoir délaissé les bonbons qu’elle grignote sans cesse, l’Ivoirienne, les larmes aux yeux, lâche : « Mon amie vient de perdre le bébé dans son ventre. J’ai peur de vivre la même chose à cause de ma maladie et de mon ventre qui ne grossit pas ». Lors de son passage en Libye, elle a contracté la drépanocytose, une maladie qui affecte les globules rouges. Fatouma est également atteinte du virus du Sida. Arrivée en France, son oncle la met à la rue, sans papier ni argent, à cause de sa séropositivité. Après plus d’un mois à dormir dehors, elle obtient en avril 2018 une place dans un centre pour jeune femme géré par le 115.

    « La multi-précarité augmente le risque de mortalité fœtale et infantile, de prématurité, ainsi que le taux de césariennes », précise le gynécologue-obstétricien Bruno Renevier, en citant les conclusions de l’étude ReMi. Raison pour laquelle Mireille, Sabrina, Fatouma et Aïssa bénéficient d’un double suivi gynéco/sage-femme. Les échographies et prises de sang sont également plus nombreuses. Leur vécu souvent dramatique justifie cette attention particulière. Ainsi la gynécologue-obstétricienne Sarah Abromowicz s’est assurée que Fatouma, originaire de Côte d’Ivoire, n’avait pas été excisée : « Cela peut nécessiter une intervention avant l’accouchement pour éviter de graves déchirures ». Fatouma y a échappé. Mais le virus du VIH l’oblige à prendre un traitement anti-transmission et à consulter un spécialiste.

    L’UAP regroupe au maximum leurs consultations pour leur éviter trop de trajets, certaines ayant été placées dans des hébergements d’urgence loin de Montreuil. Sabrina finira même son suivi de grossesse à domicile, car son gynécologue Grégory Bierry redoute des complications à cause de son hypertension et des coups infligés par son mari.

    Au chevet de leurs difficultés sociales

    L’urgence reste de les mettre à l’abri. C’est le rôle des assistants sociaux de l’hôpital. Après avoir ouvert leurs droits à l’Aide médicale d’état, ils les orientent vers les services sociaux qui pourront leur trouver au plus vite un hébergement en Île-de-France. « Mr Toffolletti, mon assistant social à l’UAP, a obtenu l’indulgence de mon propriétaire pour les loyers non payés. Il m’a évité l’expulsion. Il s’occupe aussi de tout avec la CAF, pour que je reçoive les aides sociales », témoigne Sabrina.

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    Fatouma, Aïssa ou Sabrina ont plus d'examens et un suivi plus important que la norme. / Crédits : Yann Castanier

    Mais les services sociaux sont surchargés. Alors bien souvent, les patientes de l’UAP doivent téléphoner elles-mêmes tous les jours au 115. Le travail de l’UAP paye malgré tout : à leur arrivée, puis à leur sortie de la maternité, une offre d’hébergement a été proposée à chaque patiente. Mireille a obtenu une place en foyer le temps de sa grossesse, et Aïssa a emménagé à l’hôtel avec son fils.

    L’UAP et pas un autre hôpital

    « Ici, c’est comme une famille, surtout Madame Pauline : on s’occupe de moi, on s’intéresse à moi », raconte Mireille, qui a toujours refusé d’être suivie ailleurs qu’à l’UAP de Montreuil. « Dans les autres hôpitaux, les médecins ne prennent pas autant le temps. » Un choix que partagent Sabrina, Aïssa et Fatouma qui ont confiance en cette équipe. « Ailleurs, ce n’est jamais la même personne qui te fait les examens », tacle Fatouma, alors qu’Aïssa regrette qu’à son premier accouchement « aucun docteur ne [lui ait] demandé si tout allait bien avec [son] mari ». Pour éviter ce genre de bévues, les sages-femmes de l’UAP forment les internes de Montreuil à repérer les femmes en situation de grande vulnérabilité pour les leur adresser.

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    C'est pas tous les jours facile. / Crédits : Yann Castanier

    Dix jours après la naissance de Mara, Mireille est sortie de la maternité. Direction un centre d’hébergement dans les Hauts-de-Seine jusqu’à fin juin. « C’est pas super parce que c’est un hébergement d’urgence qui accueille beaucoup de monde et aussi des hommes. Mais au moins, on n’est pas à la rue », regrette-t-elle, les larmes au bord des yeux. En attendant ses rendez-vous post-natals avec Pauline Auzou, elle s’occupe de son nouveau-né. Elle voudrait créer un groupe d’anciennes patientes de l’UAP et reprendre ses études. Une fois son bébé né, Fatouma tentera d’obtenir des papiers. Sabrina voudrait elle se concentrer sur son divorce. Tandis qu’Aïssa entend commencer des études de puériculture.

    (1) Tous les prénoms des femmes enceintes ont été modifiés

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