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    14/05/2020

    Des avocats en colère veulent déconfiner la justice

    « Même en temps de guerre, on n’a pas autant attaqué les droits de la défense »

    Par Mathieu Molard

    Ce mardi 12 mai, un collectif d’avocat s’est rassemblé devant le ministère de la justice pour dénoncer l'État d’urgence sanitaire et ses mesures liberticides. Entre deux slogans, on en a causé avec l’avocate Menya Arab-Tigrine.

    Place Vendôme, Paris 1 – Un petit groupe de robes noires s’avance d’un pas décidé en direction du ministère de la Justice. Le confinement a été officiellement levé la veille, mais les regroupements dépassant dix personnes ne sont pas autorisés. Ils sont un peu plus du double rassemblés ce mardi après-midi pour dénoncer « des atteintes aux libertés fondamentales » sous l’État d’urgence sanitaire.

    L’une des avocates brandit une pancarte barrée du slogan « pas de justice, pas de paix ». La punchline, popularisée par le mouvement afro-américain de défense des droits civiques, est d’ordinaire réservée aux manifestations de dénonciations des violences policières. Quelques minutes plus tard, c’est un refrain emprunté aux Gilets jaunes, légèrement retravaillé, que scande la Black robe brigade, le « collectif d’avocats en colère » à l’origine de cette action :

    « Pour l’honneur des défenseurs, et pour un monde meilleur. Même si Belloubet ne veut pas, nous on est là. »

    La vingtaine d’avocats qui craque des fumigènes sur la place désertée par les touristes réclame la fin l’état d’urgence sanitaire et son cortège de mesures liberticides. Comme pour illustrer ce propos, à peine quinze minutes après leur arrivée, une poignée de policiers vient disperser la troupe. « Les rassemblements de plus de dix personnes sont interdits », rappelle l’un des fonctionnaires alors qu’un drone muni d’une caméra survole la place. Tandis que les baveux se dispersent, l’avocate Menya Arab-Tigrine revient sur l’État d’urgence sanitaire et le fonctionnement de la justice pendant le confinement. « À aucun moment, on a pensé à ceux que nous défendons, à ceux qui sont en prison. Le message qu’on leur a envoyé c’est : “Vos droits n’ont aucune importance, y compris celui de vivre” », tacle la pénaliste.

    En quoi l’État d’urgence sanitaire met en péril notre système judiciaire ?

    C’est l’abolition d’un certain nombre de droits fondamentaux. Même en temps de guerre, on n’a pas autant attaqué les droits de la défense. On a, par exemple, prolongé d’office des détentions provisoires. Normalement une personne enfermée sans être condamnée est régulièrement présentée devant un juge pour voir s’il est nécessaire de prolonger la détention. Là, on recevait un simple bout de papier qui disait qu’il restait en prison. Donc ces gens-là, parce qu’il y a eu une crise sanitaire majeure, parce que la justice n’a pas su gérer mais surtout parce qu’on a une ministre de la Justice qui n’a pas pris ses responsabilités, on leur a expliqué qu’ils allaient rester détenus pour un temps indéterminé. Ça, c’est du jamais-vu.

    Comment ça s’est passé dans les prisons ?

    On a vu en allant en détention à quel point on ne faisait que peu de cas de ces détenus. Il n’y a même plus de médecins dans les maisons d’arrêts. Les mesures de protection sanitaire ne s’appliquent pas en détention. Il n’y a pas de distanciation sociale. C’est impossible à cause de la surpopulation carcérale. Il n’y a pas de masques et pas de gel non-plus, parce qu’on a dit qu’ils risquaient de se droguer avec. Plus de parloirs, qui sont leurs bouffées d’oxygène à eux. Plus d’activités. Il restait les promenades qui étaient des zones de contamination, tout comme les cellules de 9m2 pour trois ou quatre personnes. Et pourtant, on n’a libéré que 5.000 détenus. Ça n’a rien de miraculeux. C’est très peu et, en plus, ce sont en fait des fins de peine, qui de toutes façons allaient sortir très vite.

    Est ce qu’avec la fin du confinement, la justice va pouvoir reprendre normalement ?

    On nous a expliqués que tout ça était temporaire, seulement pour le temps du confinement. Mais on s’est rendu compte que ça allait continuer et qu’il y aurait des conséquences à très long terme. Certaines juridictions étaient complètement à l’arrêt. Il y a donc un retard qui était pris, qui est préjudiciable à nos clients. Parce qu’il faut qu’ils aient accès à un juge dans un délai raisonnable, ce qui paraît compliqué. Est ce qu’on va tirer les conséquences de ça, en mettant un terme aux détentions jusqu’à ce qu’ils puissent être jugés ?

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