« Pour passer un BTS c’est mort », lance Arnaud (1) remonté, depuis la cellule de sa prison. L’homme de 46 ans incarcéré devait valider cette année son BTS Gestion de la PME. Il ne passera finalement pas l’examen. « Voilà ce qu’a été notre année : voir les élèves lâcher l’affaire. C’est catastrophique », s’indigne Luc Favre, responsable local de l’enseignement du Centre Pénitentiaire de Châteauroux (36). Il a vu semaines après semaines le tableau de suivi de ses élèves s’effacer.
Depuis la crise sanitaire, l’enseignement en détention est bouleversé. Jauges réduites, cours à distance ou annulés… À l’approche des examens, la situation semble critique. Surtout qu’en détention, les besoins sont criants. 90% des détenus ont un niveau inférieur au bac selon le bilan 2018-2019 de l’enseignement en milieu pénitentiaire. Plus de 53% n’ont aucun diplôme et 11% sont en situation d’illettrisme - contre 7% dans la population générale. Certains professeurs souhaitent alerter sur la situation dont « tout le monde se fout ».
Des élèves démotivés
Arnaud a 46 ans. Il est arrivé en prison en mars dernier. Il réussit à passer un DAEU (diplôme d’accès aux études universitaires) en deux mois, dont un à distance. « Ça a été difficile car tout, vraiment tout, a été bloqué. » Avec la pandémie, les cours en détention n’ont cessé d’être suspendus. « Mais je l’ai tout de même eu », se félicite-t-il. Sauf que depuis septembre, il galère à passer le niveau au dessus, son BTS : « On n’a pas eu tous les cours, puis ça a été coupé de nouveau en octobre. » Il sait que ça ne sera pas pour 2021 :
« Ça m’a fait perdre une année. Déjà qu’on n’a pas grand-chose à faire dans la détention. Alors les cours auraient été les bienvenus. »
Depuis trois semaines, les cours en présentiel ont enfin pu reprendre, mais uniquement pour les publics dits prioritaires. C’est-à-dire les mineurs, les personnes ne sachant ni lire ni écrire, et ceux qui préparent un examen.
Marc (1), incarcéré dans un centre de détention en Nouvelle-Aquitaine, fait partie des non-prioritaires : « J’étais inscrit à des cours d’anglais. J’ai participé au premier cours en septembre, puis ça a été annulé. Depuis, ça n’a jamais repris. » À 40 ans, il en est déjà à sa huitième année d’incarcération : « L’anglais c’était surtout pour ma culture personnelle, et des possibilités de voyage plus tard. Pour quelqu’un comme moi, c’est un peu tard pour passer des examens. Ça m’a complètement neutralisé tous les progrès que j’avais fait sur un an », explique-t-il dépité.
Surtout que suivre des cours ou passer des diplômes joue un rôle pour les aménagements de peines : « Ça montre qu’on a su tourner la détention en profit et ça joue pour la réinsertion », précise Marc. Il s’inquiète de voir plus de remises de peines refusées cette année.
À LIRE AUSSI : Faim, manque d’hygiène et chantage, le calvaire des pauvres en prison
Les détenus ont fini par abandonner. En septembre, au centre pénitentiaire de Châteauroux, 90 élèves détenus étaient scolarisés, contre 130 en temps normal, protocole sanitaire oblige. Sur ces 90 élèves, 70 ont choisi de poursuivre via la correspondance papier, à défaut du présentiel. Parmi eux, une trentaine a continué de renvoyer régulièrement les devoirs. Mais depuis février, seulement « 15 personnes continuent avec assiduité pour les examens », explique Luc Favre, responsable local de l’enseignement (RLE). Il gère une équipe de 16 professeurs et organise chaque année une quinzaine d’examens différents. « C’est terrible. D’habitude, du décrochage, il n’y en a quasiment pas. », lance-t-il remonté. Ce dernier a d’ailleurs créé un groupe de discussion, qui rassemble une centaine d’enseignants en milieu pénitentiaire de toute la France. Ils aimeraient s’organiser en collectif ou en association pour faire entendre leur colère et leurs inquiétudes. Patrice (2), RLE d’une maison centrale [établissement accueillant les détenus condamnés à de longues peines] en fait partie. Il a vu lui aussi ses élèves disparaître petit à petit :
« Quand on propose aux élèves de revenir après des mois d’arrêt, ils sont déjà passés à autre chose. Ils se sont épuisés du fait d’avoir cours, puis non… Et finissent par croire qu’on se moque d’eux. »
À quelques mois voire semaines des examens, l’inquiétude est présente chez tous les professeurs. Patrice a choisi de ne pas y inscrire ses élèves : « On n’est pas là pour réitérer des échecs. »
Sans Internet
Les causes de ce décrochage massif serait dû à l’enseignement à distance, selon les professeurs, qui le jugent incompatible avec les règles internes à la pénitentiaire. En détention, très peu possèdent un ordinateur. Et l’accès à Internet est interdit. Les cours se sont déroulés par correspondances papier. Luc Favre explique le parcours du combattant qu’il a dû mener : « Les profs nous envoient leur cours par mail, on les imprime, on les met sous enveloppe avec une enveloppe-réponse. Les détenus font leurs exercices et ensuite, on va le porter personnellement aux professeurs, qui corrigent et renvoient des exercices personnalisés. On a passé notre temps sur les routes. » Tout cela selon lui pour des résultats « catastrophiques. »
Pour le brevet, Pascal (2) – professeur dans les Pyrénées-Orientales – sait qu’il y aura « des perditions » : « Le brevet, ça demande un gros investissement, c’est trop compliqué sans contact humain ». Surtout qu’il faut être formé sur plusieurs matières. Pour la géométrie par exemple, impossible de faire rentrer du matériel dans les cellules comme les compas.
Étudier dans une cellule de neuf mètres carrés, souvent partagée avec un ou deux détenus, reste très compliqué pour se concentrer. Et lorsque les cours ne peuvent pas se faire sur papier depuis les cellules, les professeurs doivent redoubler de stratagèmes. Luc Favre suit un étudiant en troisième année de licence de droit. Certains de ses cours sont en visio :
« Je suis obligé d’utiliser un logiciel pirate pour capter les vidéos et pour qu’il puisse les voir en différé. »
Pour les recherches à faire, ce sont les élèves qui donnent les mots-clés à leurs professeurs, qui impriment ensuite depuis chez eux les résultats des recherches. L’enseignant lance d’un ton agacé :
« Ne pas avoir accès à internet en prison est inconcevable pour l’enseignement. »
Les apprentissages les plus difficiles sont ceux des personnes illettrées ou allophones. « Apprendre à lire et à écrire à distance avec des polycopiés c’est une farce… Tout va être à refaire », lance Luc Favre.
Le sentiment d’être oublié
Pour Éric Centelles, RLE au centre pénitentiaire de Perpignan, le présentiel est d’autant plus important en détention : « On n’est pas dans un milieu ordinaire. Les temps d’enseignement ne nous appartiennent pas. Ici, on peut avoir nos élèves deux ans comme trois mois. Notre mission est de transmettre des connaissances mais aussi de travailler l’estime de soi, le goût de l’effort, la socialisation, le respect des règles… ». « Depuis un an, on a l’impression d’être complètement oublié », abonde Claire Barbat, enseignante et RLE au centre pénitentiaire de Riom (63). « On est très en colère, avec le sentiment d’être complice de l’hécatombe qui va arriver. L’enseignement en détention est vu comme une simple occupation, un divertissement pour maintenir le calme, mais pas comme un moyen de réinsertion », s’énerve un autre enseignant de la région Centre. Un responsable d’enseignement de la région Grand Est confirme :
« Cela fait trois ans qu’on demande à mettre en place des accès à Internet, mais depuis trois ans ça n’avance pas. Le problème est bien antérieur à la pandémie. »
Le CGLPL avait également déjà fait part de dysfonctionnements liés à l’enseignement en détention, notamment chez les mineurs. Et avait publié un avis relatif à l’accès à internet dans les lieux de privation de liberté au journal officiel du 6 février 2020. Il recommandait notamment un « accès contrôlé vers des sites de services – démarches administratives, enseignement ». Tout comme l’OIP qui avait consacré dans son dernier numéro un dossier sur l’enseignement et l’apprentissage en détention.
(1) Les prénoms ont été changés
(2) Par peur des représailles de leur hiérarchie, la majorité des professeurs ont souhaité garder l’anonymat.
Photo d’illustration : Capture d’écran du film Un prophète.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€ 💪Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER