Rue Sainte-Cécile, Paris 9 – Dans la rue piétonne, une dizaine de jeunes jouent au foot criant à plusieurs reprises : « Il y a main ». L’un des joueurs court vers l’arbitre et demande un penalty qu’il n’obtient pas. Non loin du terrain, d’autres sont assis sur les marches d’une église, boivent une canette de coca et mangent des chips Lay’s.
Il est 15h15 quand j’arrive. « Voilà l’ancienne keuf », balance Ibra quand je m’avance vers eux. « Je rigole », dit-il. « Vous êtes du bon côté de la société maintenant », plaisante le gaillard locksé au survêtement Nike. Pour ces jeunes hommes noirs et arabes du quartier, la police fait partie du quotidien.
Le groupe de jeunes se retrouve régulièrement rue Sainte-Cécile, dans le 9ème arrondissement de Paris. / Crédits : Fanta Kébé
Septembre 2018, Ibra et ses potes squattent le hall d’un immeuble de la rue du Faubourg-Poissonnière pour se mettre à l’abri de la pluie. Deux d’entre eux y habitent. Dix minutes plus tard, les « chtars » arrivent. Immédiatement, les gamins sont plaqués au mur, les jambes et les bras écartés. Contrôle d’identité et palpation de sécurité s’ensuivent. Yanis, un jeune au brushing parfait, demande à l’un des fonctionnaires la raison du contrôle d’identité :
« Il m’a mis un gros coup de matraque dans les jambes et m’a dit : “Voilà pourquoi je te contrôle.” »
Pendant la palpation, l’un des bleus aurait demandé à Yazid de sortir son shit. Le gamin barbu répond qu’il n’en possède pas. Le policier aurait donc sorti des barrettes de drogue de sa poche, les aurait jeté à ses pieds avant de dire :
« Tu vois que tu as du shit sur toi. Les gens comme toi en ont toujours »
Dans le hall de l’immeuble, à l’abri du public, les esprits s’échauffent. Les jeunes ripostent verbalement. Quant aux policiers, ils auraient répondu par la violence. « Je me suis pris des coups de poing dans les côtes parce que je leur ai dit qu’ils n’avaient rien d’autre à faire que de nous embêter. Un keuf m’a étranglé par derrière avant de me faire tomber par terre et me donner des coups de pied », explique Cheikh, le benjamin de la bande.
Les jeunes se trouvaient dans le hall d’un immeuble de la rue du Faubourg-Poissonnière quand ils se sont fait contrôler et agresser par des policiers, disent-ils. / Crédits : Fanta Kébé
Céline, 33 ans, locataire d’un appartement dans l’immeuble confirme ses propos. Elle a également été témoin de la scène du policier jetant la barrette de drogue aux pieds de Yazid. À la vue de la trentenaire, les fonctionnaires auraient renoncé à l’interpellation du garçon pour détention de stupéfiants.
La jeune femme dit avoir entendu les policiers tenir des propos « sales » et racistes envers les jeunes hommes alors qu’ils étaient alignés contre le mur. Répugnée, elle raconte :
« La policière disait que leurs prénoms étaient trop compliqués. Alors, elle appelait les arabes chameaux et les noirs négros. »
Rafaël, 22 ans, le seul garçon blanc du groupe poursuit le récit :
« Mes potes se faisaient cracher dessus alors qu’ils étaient à terre. Un “schmitt” m’a plaqué contre le mur avec son bras et m’a dit : “Que diraient tes parents s’ils savaient que tu traînais avec ça ? Heureusement que tu es blanc car tu aurais fini comme tes potes les sauvages.” »
Il termine : « Un policier a giflé Ousmane tellement fort, qu’il est tombé par terre et a perdu connaissance pendant quelques secondes. On croyait qu’il était mort. Même le keuf a eu peur, je l’ai vu sur son visage. »
Le jeune garçon de 17 ans au corps frêle acquiesce. Il explique avoir eu un trou noir à son réveil.
Menaces et Interpellations arbitraires
Entre les musées et les restaurants chics du Faubourg-Montmartre, un îlot d’immeuble HLM y est implanté. Selon une vingtaine de jeunes interrogés, ses habitants sont la cible de violences policières récurrentes. « Ceux qui sont censés protéger nos gamins sont ceux qui propagent la haine et l’insécurité. Pourquoi ? Parce que noir ! Parce que arabe ! Ou parce que blanc qui traîne avec des noirs ! », s’offusque Céline.
Un soir d’automne, Jonathan, un lycéen de l’école Lamartine dans le 9ème arrondissement est interpellé par des policiers en civil :
« Ils sont arrivés par derrière. Tout est allé trop vite. Je n’ai même pas eu le temps de les voir. Je pensais que je me faisais agresser. Ils m’ont tiré par le sac à dos. Je suis tombée par terre puis un policier m’a menotté. »
Une fois dans la voiture de police, un des policiers aurait dit au jeune homme : « Tu te souviens de moi ? Je t’ai dit qu’on se reverrait. »
Quelques semaines plus tôt, Jonathan s’était embrouillé avec ce fonctionnaire lors d’un affrontement entre policiers et jeunes du quartier. « J’ai fait de la garde à vue pour rébellion. Ils ont inventé ce motif pour m’enfermer. Quand le policier m’a mis en cellule, il a menacé de m’interpeller toutes les semaines pour me faire chier », explique le lycéen.
Fouille au corps sur la voie publique
La fouille au corps est une mesure de sécurité qui nécessite un local fermé pour préserver l’intimité de la personne retenue. Néanmoins, certains fonctionnaires semblent s’amuser à déshabiller les jeunes du quartier de Faubourg-Montmartre. Younès, 20 ans, raconte en avoir fait l’expérience :
« J’étais sur la rue Sainte-Cécile avec un pote. On fumait à l’entrée de l’église. Trois policiers sont arrivés vers nous. Ils nous ont mis face au mur et un keuf tatoué a baissé mon pantalon avant de regarder dans mon slip. »
Il ironise : « Je crois qu’il cherchait de la beuh mais il n’a trouvé que mon bazooka. »
Younès raconte avoir été fouillé au corps alors qu'il fumait à l'entrée de l'église rue Sainte-Cécile. / Crédits : Fanta Kébé
Utilisation systématique de la lacrymo
La rue piétonne de la rue Sainte-Cécile est un lieu de rencontre et de partage pour les gamins du quartier. Ils s’y retrouvent pour causer et jouer. Au printemps 2019, Abdelkader, habitant du quartier et sa femme Sophie étaient de sortie au parc avec leurs deux filles. Sur le chemin du retour, le couple assiste à une scène qu’ils qualifient de « choquante ».
« Les jeunes étaient en train de discuter quand une voiture de police s’est arrêtée à leur hauteur. Les policiers sont rapidement sortis de la voiture et ils ont, sans même parler, gazé les enfants. Certains jeunes criaient de douleur, d’autres pleuraient. Les flics rigolaient », explique Sophie. Son mari conclut : « Ici les policiers ne parlent pas. Ils gazent, se défoulent sur les gosses et s’en vont. »
Rue Sainte-Cécile, des jeunes se seraient fait gazer sans raison par des policiers, selon les dires d'un couple habitant dans le quartier. / Crédits : Fanta Kébé
Aucun des jeunes interrogés n’a déposé plainte. Ils ne semblent plus croire en la justice. « Déposer plainte pourquoi ? La justice est toujours du côté des keufs », s’exclame Ibra. Yanis complète :
« On est des noirs et des arabes ! Il ne faut pas se leurrer, on est condamné avant même d’être jugé. »
Contacté par StreetPress, le parquet de Paris n’avait, au moment de la publication, pas répondu à nos questions.
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