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    13/04/2023

    « Ces mobilisations valent tous les cours d’éducation morale et civique du monde ! »

    Après les violences policières, les lycéens de Conflans plus déterminés encore

    Par Elisa Verbeke

    Troisième jeudi de blocus pour les lycéens de Jules-Ferry à Conflans. La semaine dernière, la police est intervenue violemment devant l’établissement. Pourtant, plus de 150 lycéens sont présents ce jeudi matin. Et ils ne comptent pas s’arrêter ici.

    Conflans (78) – Ce matin, il fait grand soleil dans la petite ville des Yvelines. À quelques pas de la gare Saint-Honorine, devant le lycée Jules Ferry, une manifestation s’organise. Les baffes Bluetooth attachées en bandoulière ont remplacé les sacoches des lycéens et elles résonnent au son de Ninho ou Soso Maness. « Il y a une belle ambiance ! », sourit Félix, le porte-parole du mouvement. « La semaine dernière, la police nous a directement rentrés dedans, sans prévenir », raconte-t-il en remontant sa mèche brune sur son front.

    C’est à Jules Ferry que jeudi dernier, des violences policières auraient eu lieu. Les policiers ont usé de leur LBD sur les élèves et de gaz lacrymogènes. Et l’un des jeunes s’est retrouvé en garde à vue. C’est pourquoi ce jeudi 13 avril, le député Louis Boyard ainsi que des soutiens militants ont fait le déplacement. Une vingtaine de professeurs gardent aussi l’œil sur des jeunes, toujours aussi motivés. Ils sont plus de 150 ce matin à être revenus manifester. « On dit que les lycéens ne sont pas politisés, c’est totalement faux ! », relève madame Cellot, prof d’histoire-géo, avant de reprendre :

    « La semaine dernière, le blocus a totalement dérapé. Mais ça les a encore plus soudés. Ils se sont sentis attaqués injustement, alors ils tenaient à être là. »

    Mobilisation historique

    « C’est vous qui avez gagné le blocus challenge », annonce fièrement Louis Boyard, en guise de soutien. Le parlementaire avait invité les lycéens mobilisés à partager des photos de leurs actions, puis de tirer au sort l’établissement vainqueur. « Vous irez tous visiter l’Assemblée ! », lance le député. Il est monté sur un petit muret, et tonne sous les encouragements des lycéens qui ont tous sortis leur téléphone portable :

    « À tous ceux qui disent que la jeunesse est dépolitisée, c’est faux ! La jeunesse n’a jamais été aussi politisée ! »

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    « À tous ceux qui disent que la jeunesse est dépolitisée, c’est faux ! La jeunesse n’a jamais été aussi politisée ! » tonne le député Louis Boyard, aux lycéens qui ont tous sorti leurs téléphones pour le filmer. / Crédits : DR

    À côté, Gwenn, 17 ans, observe la scène. Lui vient d’un lycée de Vitry, mais vient apporter son soutien en tant que vice-président de la FIDL, le plus ancien syndicat lycéen de France. « C’est historique ce que l’on vit, on n’a jamais recensé autant de lycées bloqués ! » Lors de pics de mobilisation contre la réforme des retraites, la FIDL a décompté jusqu’à plus de 400 lycées bloqués. À Jules Ferry, les lycéens sont très mobilisés. Rien que dans la conversation WhatsApp pour l’organisation des blocus, ils sont plus d’une centaine. Parfois, ils ne se connaissent pas entre eux, « ce qui renforce nos liens », justifie une lycéenne.

    À LIRE AUSSI : À Vitry, des lycéens bloquent leur établissement : « La retraite, c’est notre avenir »

    « À force de faire des blocus, plus ce qui s’est passé la semaine dernière, ça montre qu’il y a une utilité à ce qu’on a fait. Le gouvernement veut faire taire les jeunes mais on est là, et on va parler » expliquent Maelys et Anna, élèves de seconde. « On subit des violences policières pour nous faire taire, et Darmanin ne dit rien ce n’est pas correct », reproche Lucie d’une autre classe de seconde. Derrière les filles, un cercle se forme, des pétards vont être allumés. Quand ils pètent, des jeunes crient de peur. « On avait dit non ! », lance Camille à son camarade, qui lui, se marre.

    Engagement personnel

    « Ces mobilisations lycéennes, ça vaut tous les cours d’EMC (éducation morale et civique) du monde », affirme un prof d’EMC et d’histoire géo. « Ça rend les choses très concrètes. Les lycéens assistent à une vraie mobilisation même si tout le monde n’est pas d’accord. » Ce sont des élèves qui ont introduit le professeur. Anna a 15 ans et est en seconde, et à l’image de sa bande d’amis de la même classe, elle est très engagée : « J’ai commencé avec ce prof. Nous avons dû réaliser des affiches sur le droit des femmes aux Etats-Unis ou sur la liberté de la presse. » À sa gauche, son ami Josh, cheveux blonds et tâches de rousseur, participe déjà à des manifestations à Paris pour les droits des personnes LGBTQ+, entre autres.

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    « En cours d'éducation morale et civique, nous avons dû réaliser des affiches sur le droit des femmes aux Etats-Unis ou sur la liberté de la presse », explique une élève de seconde. / Crédits : DR

    « Les lycéens sont déjà politisés », affirme la professeure d’histoire-géographie, « mais ils le sont autrement, au travers de nouvelles luttes comme celle pour le climat par exemple. » C’est le cas de Félix, le porte-parole, « Ça m’est arrivé plusieurs fois d’aller en manif’, pour le climat, contre la réforme des retraites, contre les violences faites aux femmes. » Pourtant, peu de lycéens se sont déjà rendus en manifestation, Felix reste un cas isolé.

    Ce qui n’empêche pas les jeunes de se bouger à leur manière : « La mobilisation, ça passe aussi par les réseaux sociaux », rebondit Anna. « On partage des posts, on en parle aux adultes autour de nous. On essaye de faire participer nos proches. On veut montrer qu’on ne doit pas se laisser marcher dessus ! », continue Luna, élève de seconde elle aussi.

    Parents

    D’autres élèves baignent dans la culture militante : « Mes parents sont bien de gauche ! Avant que je ne sois née, mon père a organisé plusieurs manifestations ! » explique Albane, 17 ans, cheveux décolorés et drapeau Nupes à la main. « J’ai fait quelques manifestations avec mes parents, surtout pour les retraites », enchaîne Chirine, le visage barré d’un grand sourire. « Moi, c’est l’inverse, mes parents sont de droite, alors je ne leur dis pas que je suis là », pouffe Emma (1), 17 ans, élève de terminale, en tenant sa pancarte « Pétain, reviens, t’as oublié tes chiens », tamponnée de cœurs de toutes les couleurs.

    Mais surtout, avec les événements de la semaine dernière, les parents sont inquiets : « Ma mère a peur depuis qu’elle a vu que je m’étais fait braquer à moins d’un mètre par un LBD », explique Félix, en bidouillant son badge Rick et Morty pinnsé sur sa veste de jogging vintage. « Ils redoutent que je me fasse embarquer comme notre camarade Mathieu qui a fini en garde à vue », continue Anna. Rayan lui n’a pas le droit d’aller en manif « mes parents ne veulent pas, j’attends d’avoir 18 ans. Il y a beaucoup de violences et de répression, et ça fait peur. »

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    Plusieurs camions de police encerclent le lycée. Une des policière affirme : « nous sommes là pour protéger la mobilisation.» « Nous avons pu discuter avec eux cette fois », raconte Félix, le porte-parole. / Crédits : DR

    Certains élèves aussi ont peur et le reconnaissent. Ils ont goûté aux gaz lacrymogènes pour la première fois la semaine dernière : « Quand il y a eu les tirs de gaz, j’ai commencé à faire une crise de panique. Et c’est pour ça que je n’ai pas envie d’aller en manifestation » raconte Emma. Pour d’autres, « pas de raison d’avoir peur, c’est notre lycée. Et maintenant, on a des soutiens, le député, des journalistes… », finit Felix.

    À LIRE AUSSI : Les manifestants ont peur de la police

    La plupart des jeunes présents ce matin ont l’intention de continuer à se mobiliser. « Je vais faire médecine et je sais que je n’aurais pas trop le temps. Mais quand on voit comment sont traités les médecins à l’hôpital, je ne resterais pas sans rien faire », explique Chirine, 17 ans. Pour Albane, c’est la même chose : « Je vais être prof alors, il y a plein de choses à faire ! » De leurs côtés, les élèves de seconde Lucie et Luna se verraient reprendre le flambeau de la mobilisation quand leurs camarades de terminale finiront l’année scolaire et quitteront l’établissement :

    « On va essayer au maximum de refaire d’autres blocus, d’autres manifs. C’est une cause qu’on peut et qu’on veut défendre ! »

    (1) Le nom a été changé

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