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    18/04/2024

    « Elles sont persuadées que ça facilite les agressions. Les études montrent l'inverse »

    Contre l’éducation à la sexualité, les Mamans louves agitent le complotisme et l’homophobie

    Par Maelle Le Corre

    Elles craignent que les bancs de l’école ne se transforment en cours de kamasutra. Qui sont les Mamans louves, ces daronnes « apolitiques » qui s’opposent aux cours d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle ?

    « On va expliquer aux enfants comment faire une fellation ! » Ce 18 décembre 2023, Gaëlle (1) est tombée des nues en découvrant aux abords de l’établissement où elle enseigne à Nantes (44), deux femmes en train de distribuer aux parents d’élèves des flyers sur les dangers de l’éducation à la sexualité. « Non à l’apprentissage de la masturbation à quatre ans, du changement de sexe à six, de la fellation et de la sodomie à neuf », est-il écrit. « Elles étaient convaincues que l’école s’apprêtait à enseigner des pratiques sexuelles aux élèves. C’est grave », estime Gaëlle. Elle et un éducateur ont bien tenté de les ramener à la raison :

    « Je me suis énervée, je n’aurais même pas dû rentrer là-dedans. Mais je connais les programmes ! »

    Ce genre de tractage n’est pas rare, c’est même le mode opératoire de plusieurs associations anti-éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Il y a Parents vigilants, lancé par le parti zemmouriste Reconquête, mais également Parents en colère ou SOS Éducation. Et aussi les Mamans louves, qui participaient à cette action nantaise en décembre 2023. Créée en novembre 2021 par une anti-pass sanitaire notoire, Roxane Chafei, l’organisation est d’abord composée de parents vent debout contre le port du masque à l’école et la vaccination. Des mesures considérées comme des violences à l’égard des enfants, dont l’éducation en serait désormais une nouvelle aujourd’hui.

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    Mamans louves a aussi des alliances locales avec Parents en colère. Cette dernière asso va plus loin qu’elles : l’éducation à la sexualité serait non seulement dangereuse, mais aussi carrément illégale. / Crédits : DR

    Ce discours s’invite même sur les plateaux télé. Lors de L’heure des pros, le 3 avril sur CNews, la pédopsychiatre réactionnaire Marie-Estelle Dupont (dont les prises de position ont été épinglées par Arrêt sur images) s’est fait la porte-voix des Mamans louves : « Je pense qu’on peut avoir une sexualité adulte très épanouie sans que l’école ne nous ait appris, ou le site internet du gouvernement, comment faire un anulingus à 11 ans », a-t-elle déclaré devant un Pascal Praud incrédule. Un discours tenu par l’association depuis des mois envers le site onsexprime, plateforme destinée aux ados portée par l’agence Santé Publique France.

    Anti-masques, anti-vax… et anti-éducation sexuelle

    Le branle-bas de combat des Mamans louves contre l’éducation sexuelle a débuté au printemps 2023. « Nous avons été interpellées par des parents dont les enfants étaient revenus traumatisés de leurs séances d’éducation à la sexualité, après avoir reçu des propos à caractère sexuel au sens strict », raconte Christelle Comet, vice-présidente des Mamans louves et à l’origine de ce virage. Si elle affirme détenir une centaine de témoignages, l’asso n’en affiche que quatre sur son site.

    Aujourd’hui, Mamans louves continue de vouloir alerter à coups de flyers aux profs et aux parents, en envoyant des courriers aux directeurs d’écoles et en contactant les rectorats dans un seul but : « L’arrêt immédiat des séances aujourd’hui attachées à ce que la loi de 2001 et la circulaire de 2018 nomment “éducation sexuelle”. Nous le demandons jusqu’à la 4ème. » Ensuite, Mamans louves veut recadrer l’éducation à la sexualité à l’information autour de la reproduction, de la contraception, éventuellement du risque de transmission des IST. Exit des sujets comme le consentement, l’identité de genre, ou tout simplement la sexualité hors cadre reproductif. Un discours aux antipodes de celui d’associations, tel que le Planning familial, qui dénoncent le manque de moyens alloués à ces séances.

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    L'association Mamans louves est créée en novembre 2021 par une anti-pass sanitaire notoire, Roxane Chafei. / Crédits : Capture d'écran CNews

    « L’éducation à la sexualité et à la vie affective, c’est dans les programmes, c’est donc la loi », rappelle Grégoire Ensel, président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). « Aujourd’hui faire pression sur les enseignants et sur d’autres parents sur ces questions-là, c’est contrevenir à la loi. » Il dénonce les méthodes de ces groupes : « Quand les Mamans louves disent que le Covid a eu des effets délétères sur la santé mentale des enfants, qu’ils sont pour un certain nombre en détresse psychologique, on est d’accord ! » Et de déclarer :

    « Là où on ne l’est plus du tout, ni sur les questionnements, ni sur les pratiques, c’est lorsque ça devient un moyen de faire pression sur l’école publique. »

    Même discours que Farida Belghoul

    L’action des Mamans louves peut paraître moins virulente que leurs prédécesseures, comme la Journée de retrait de l’école. Initiée par Farida Belghoul, militante antiraciste dans les années 80 devenue soutien d’Alain Soral, la JRE a été, entre janvier et mai 2014, une campagne de désinformation qui incitait les parents d’élèves à ne pas emmener leur enfant à l’école. L’objet de cette protestation ? L’expérimentation d’un programme dans plusieurs académies, les ABCD de l’égalité. Destiné à lutter contre les stéréotypes de genre en maternelle et primaire, le dispositif a fait l’objet de fausses rumeurs, comme par exemple l’enseignement de la masturbation.

    Même si elle n’a touché que quelques écoles sur tout le territoire, elle a eu un impact sur les pouvoirs publics : face à cette vague réactionnaire, le gouvernement, déjà échaudé par la mobilisation de la Manif pour tous un an plus tôt, a reculé et renoncé à la mise en place du programme l’année suivante. Si elles ne se réclament pas héritières de Farida Belghoul, les Mamans louves tiennent le même discours contre la soi-disant « théorie du genre », terme fourre-tout brandi par les réactionnaires dès qu’il s’agit de s’opposer à toute réflexion sur le sujet. Chez les Mamans louves, on refuse les lectures d’artistes drag à destination des enfants. La série Netflix Sex Education est le signe d’une « hypersexualisation » de la société. Quant à onsexprime, la plateforme destinée aux 12-18 ans portée par l’agence Santé Publique France, ce serait une « version ludique du kamasutra ». S’il donne tout un tas de définitions utiles aux ados pour mieux aborder la sexualité, le site précise surtout l’importance du consentement dans les relations sexuelles et donne des outils pour se protéger des IST.

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    Selon Mamans louves, la plateforme Onsexprime, portée par l’agence Santé Publique France, serait une « version ludique du kamasutra ». / Crédits : Site internet de Mamans louves

    Christelle Comet préconise l’échange pour convaincre que le bien-être des enfants est menacé : « Nous conseillons aux parents de prendre rendez-vous avec l’établissement scolaire de leurs enfants afin d’ouvrir un dialogue, partager leurs inquiétudes légitimes et vérifier que les dispositions prévues dans les deux circulaires de références soient pleinement respectées. » Dans les faits, les tracts distribués laissent peu de place au dialogue : celui qu’a reçu Gaëlle en décembre dernier, édité par Parents en colère, transpire le complotisme. « Non à l’incitation au consentement sexuel précoce et au transgenrisme. Non à la transgression », est-il écrit au recto de la feuille. Tandis qu’au verso, se pose une question pleine de sous-entendus :

    « Pourquoi veulent-ils développer la sexualité de nos enfants, et si tôt ? »

    Apolitiques, vraiment ?

    Les Mamans louves entretiennent justement des liens avec ce groupe de collectifs qui a aussi émergé en réaction aux mesures sanitaires contre le Covid. Si elles sont globalement très proches avec SOS Education, Mamans louves a aussi des alliances locales avec Parents en colère. Cette dernière asso va plus loin qu’elles : l’éducation à la sexualité serait non seulement dangereuse, mais aussi carrément illégale. En février 2024, un article du Monde indiquait que ce mouvement était « réputé proche des sphères complotistes et de l’extrême droite ».

    Des membres des Mamans louves et des Parents en colère ont d’ailleurs été invités en décembre 2023 à L’enfance en danger, événement initié par France Patrie, groupe d’extrême droite basé à Toulouse. « Les membres qui adhèrent à notre association sont heureusement libres de participer aux initiatives de leur choix et nous n’avons aucun droit de regard à cet effet », indique à ce sujet Christelle Comet. Depuis, les relations entre Parents en colère et Mamans louves se sont rafraîchies. Ces dernières marchent aussi main dans la main avec SOS Éducation. C’est elle qui avait mené la fronde contre l’exposition Zizi sexuel en 2014. Désormais, l’association se mobilise contre « l’idéologie transgenre à l’école ». Ensemble, elles s’invitent sur leurs plateformes respectives et ont œuvré à l’élaboration d’un rapport contre l’éducation à la sexualité.

    Mamans louves se défendent d’une quelconque proximité avec les milieux conservateurs ou l’extrême droite. « Peut-être naïvement, nous pensons que la préservation de l’enfance n’a pas de couleur politique car tous doivent nécessairement se préoccuper du respect de l’intérêt supérieur des enfants français », lance Christelle Comet. Pourtant, l’action et les méthodes des Mamans louves n’intéressent qu’une certaine frange d’élus. La vice-présidente reconnaît :

    « Jusqu’ici, en effet, les seules réponses que nous avons eues ont été faites par le Rassemblement National ou encore Les Républicains. »

    Rhétorique LGBTphobe et amalgames avec la pédophilie

    Animatrice de la chaîne YouTube de vulgarisation médicale Fantine et Hippocrate, Fantine a eu affaire aux Mamans louves sur X en mars 2023 : « Un de leur tweet disait que l’éducation à la sexualité rendait les enfants plus facilement attaquables par les pédophiles. J’ai réagi de manière un peu provocante en faisant un thread pour dire qu’au contraire c’était bien de parler de sexualité aux enfants. » Le fil est massivement repris et déformé. « J’ai pris un raid et il y a eu suffisamment de signalements pour suspendre mon compte en quelques heures. » Elle a pu finalement le récupérer six mois plus tard. Entretemps, elle a fait une vidéo explicative sur l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle.

    Elle estime aujourd’hui que les Mamans louves, au même titre que les autres collectifs anti-éducation à la sexualité, font preuve d’une profonde méconnaissance. Pour elle, cette crispation s’explique de plusieurs façons : « Il y a la peur de voir son enfant devenir grand et faire ses propres choix, développer sa sexualité, avec derrière des relents LGBTphobes. Il y a aussi l’aspect pédophilie, qui va de pair avec la désinformation ». La youtubeuse soutient :

    « Ces personnes sont réellement persuadées qu’il existe un risque que les enfants puissent être plus facilement manipulés par des adultes au comportement pédophile à cause de l’éducation à la sexualité. »

    Interrogée à ce sujet, Christelle Comet cite mot pour mot le rapport de SOS Éducation, qui affirme que « banaliser la sexualité adulte dans le monde de l’enfance n’est en rien de la prévention », que l’école « génère de la confusion chez les enfants en remettant en cause les interdits parentaux » et contribue « inexorablement à une sexualisation précoce des enfants ».

    Sur Twitter-X, les Mamans louves vont jusqu’à comparer les intervenants en éducation à la sexualité à des pédocriminels et à des agresseurs sexuels. « Le but est justement de donner des informations aux enfants pour qu’ils sachent reconnaître ce qui est normal de ce qui ne l’est pas », déplore la youtubeuse Fantine. Elle renchérit :

    « Je pense qu’elles sont persuadées qu’à partir du moment où on en parle, ça facilite les agressions. Les études montrent l’inverse. »

    À la FCPE, ce mouvement de fond anti-éducation à la sexualité est sous surveillance : « On attend une réaction de la part de l’État », réclame Grégoire Ensel. « On a le sentiment qu’on laisse impunément prospérer des gens qui font pression et qui déstabilisent l’école publique. » La fédération et d’autres syndicats enseignants ont alerté par écrit Gabriel Attal, alors aux manettes du ministère de l’Éducation. Seule réponse obtenue, un « silence poli, gêné ».

    (1) Le prénom a été changé.

    Illustration de Une de Caroline Varon.

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