Pull noir et mine sombre, Arthur (1), 17 ans, se pointe pile à l’heure au rendez-vous. Assis par terre dans le hall de la Gaîté Lyrique dans le 3e arrondissement de Paris — occupé par 350 mineurs exilés sans solution d’hébergement – le jeune ivoirien explique pourquoi il est revenu dormir ici, à même le sol, alors qu’il a été reconnu mineur en décembre 2024 par le tribunal des enfants de la capitale. Il commence, le regard inquiet :
« J’ai décidé de quitter le centre où j’avais été placé provisoirement, car on n’avait pas le droit de sortir seul et les conditions de vie étaient difficiles. »
Arthur est resté enfermé un mois au DAIS de Melun – dispositif d’accompagnement et d’intervention sociale ouvert depuis septembre 2023. « Un jour, j’avais très mal au ventre et les responsables ont refusé que j’aille à l’hôpital », affirme-t-il en caressant une blessure sous son tee-shirt. Même réponse lorsque l’adolescent demande à aller à l’épicerie. « Un éducateur m’a rattrapé par le col en me disant que je n’avais pas le droit de quitter l’établissement. Tous mes documents sont encore là-bas, mais je n’ose plus y retourner », souffle celui qui s’est enfui au début du mois de janvier.
Des privations de liberté répétées
Géré par l’Association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence de Seine-et-Marne (Adsea 77), ce centre d’accueil d’urgence héberge, au 27 janvier 2025, une vingtaine de mineurs non-accompagnés – filles et garçons – aux statuts différents. C’est à l’intérieur d’un immeuble blanc, sur trois étages, que les bénéficiaires sont priés d’attendre que des places se libèrent ailleurs. « Non seulement, ils doivent encore patienter avant d’être pris en charge, mais, en plus, on les prive de leur liberté, en les menaçant de les signaler au département s’ils sortent du foyer, même pour aller se balader ! », s’agace Anne, militante au Collectif des Jeunes du parc de Belleville. Captures d’écran et audios à l’appui, la quinquagénaire fait défiler sur son téléphone des messages d’adolescents assurant être retenus « comme des prisonniers ». Le dernier date du 25 janvier 2025.
En novembre 2024, Louis (1), 17 ans, contacte le collectif après ne pas avoir été autorisé à se présenter à son rendez-vous à l’hôpital Hôtel-Dieu. « J’avais mal aux yeux et j’avais besoin d’un traitement, mais ils n’ont pas voulu que je sorte », raconte celui qui est resté deux mois au DAIS de Melun avant d’être orienté dans un appartement. Sauf que les déconvenues ne s’arrêtent pas là. Alors que le jeune Guinéen espère retourner sur les bancs de l’école, la direction de l’établissement ne lui donne pas son feu vert :
« J’étais inscrit en CAP électricité à Paris par une bénévole avant d’être reconnu mineur, mais le foyer a refusé de me laisser y aller. Ils ont appelé mes professeurs et leur ont dit de ne pas garder ma place, sans me demander mon autorisation ! »
« Même le chien on le sortait le matin »
Des pratiques dont a également été témoin Jean (1), 16 ans, en France depuis le printemps dernier :
« On voulait un minimum de respect. Même le chien, on le sortait le matin, mais nous on ne pouvait pas se balader. »
Si le mineur Ivoirien ne passe qu’une seule nuit au foyer, avant d’être transféré mi-décembre, il pense à ses camarades toujours coincés là-bas. « Sortir, jouer au football… Ça nous permet de diminuer le stress, car ça tourne dans nos têtes. Pour moi, c’est illégal de ne pas avoir le droit de s’aérer l’esprit », peste-t-il.
Un constat partagé par Christophe Daadouch, co-président du Gisti : « Les établissements sociaux relèvent d’une loi de janvier 2002, d’une charte relative aux droits fondamentaux des usagers, qui prévoit des libertés fondamentales, dont celle de sortir quand on veut. » Il continue :
« Interdire à un mineur d’aller se soigner ou d’aller à l’école est en parfaite contradiction avec les actions des établissements médico-sociaux. »
À la privation de liberté, s’ajoutent des conditions de vie difficiles. « Les douches Algeco étaient placées à l’extérieur, l’eau était froide et le chauffage ne marchait pas… On faisait la queue pour que l’éducateur nous mette du dentifrice sur notre brosse à dents, mais il n’y en avait pas assez », rembobine Pierre (1), 17 ans, originaire d’Afrique de l’Ouest. Il se rappelle aussi les lits picots sur lesquels ses camarades et lui essayaient de dormir, enveloppés dans des draps « fins comme du papier ». La nuit, certains sont réveillés par des cris provenant du centre pénitentiaire de semi-liberté, mitoyen du foyer de Melun.
La crainte de « la vermine ou des punaises de lit »
Le 15 décembre 2024, s’en est trop. Pierre, Arthur et les autres manifestent dans les couloirs du centre, un courrier recto-verso à la main. Leurs revendications : obtenir la permission de sortir, davantage d’hygiène et de l’eau potable, car il n’y aurait qu’un robinet aux toilettes où ils pourraient boire, ce que dément la direction. Si certains obtiennent leur transfert vers un autre foyer dans la foulée, la direction n’est pas prête à changer ses méthodes. L’un d’eux rapporte :
« Un responsable nous a dit qu’il limitait les sorties, car on risquait de ramener de la vermine ou des punaises de lit si on allait à Château d’Eau. »
Interrogé par StreetPress, le chef de service de l’établissement qui fixe les règles, Jamal Daalaoui, se défend de vouloir les enfermer : « C’est différent, je veux que les jeunes soient accompagnés par des éducateurs quand ils sortent. Nous voulons les protéger. On ne va pas les laisser partir sans titre de transport et il ne faut pas oublier qu’ils sont vulnérables (…) Je ne m’appuie sur aucun texte de loi, mais sur ma conscience ! » Tant pis si le centre ne dispose que de deux éducateurs pour une vingtaine de jeunes.
Et sur la question de l’accès aux soins ? Jamal Daalaoui répond que les bénéficiaires sont « réorientés sur les dispositifs de Seine-et-Marne, mais le temps que ça se fasse, on pense qu’on leur a interdit ». Pourtant, Louis dément avoir été redirigé vers un autre établissement hospitalier. Enfin, sur le volet scolaire, le directeur du DAIS de Melun confirme que certains jeunes ont pu être empêchés de se rendre à l’école, selon eux :
« Les débuts de scolarité des jeunes mises en place par les structures militantes ne correspondaient pas à leurs besoins, puisqu’ils doivent reconstruire un projet de scolarité en Seine-et-Marne. »
Derrière lui, Bénédicte Cauchie, directrice de l’Adsea 77, se fait discrète. À chaque question, elle renvoie vers ses supérieurs. L’association, qui compte plus de 800 salariés, avait déjà été épinglée, en 2021, par nos confrères de Libération pour des cas de maltraitances sur des enfants et des dysfonctionnements répétés.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
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