En ce moment

    06/02/2025

    « En France, vous n’êtes pas chez vous »

    Racisme, plainte… Le calvaire d’un avocat dans une gendarmerie

    Par Mačko Dràgàn

    Le 21 juillet dernier, l’avocat niçois Kada Sadouni visitait un client dans une gendarmerie locale. Il affirme avoir été enfermé dans un local, intimidé et injurié. Les gendarmes lui ont ensuite expliqué l’avoir confondu avec un gardé à vue.

    « J’ai fait tous les commissariats du coin, et à peu près 150 gardes à vue. Parfois tu ressens qu’ils n’aiment pas ta tête et ça se voit, mais elles se sont toujours plus ou moins bien passées. » Dans son cabinet niçois, après avoir offert le café, l’avocat Kada Sadouni rembobine ce qu’il lui est arrivé le 21 juillet dernier dans la gendarmerie de la Trinité, à côté de Nice (06) et pour lequel il a porté plainte, comme l’a révélé Nice-Matin. Une info reprise ensuite par Le MédiaTV et Off Investigation. Cet avocat, qui exerce depuis trois ans, est appelé pour la première fois dans l’établissement en tant qu’avocat commis d’office. « J’arrive là-bas, et l’officier de police judiciaire qui suit l’affaire m’accueille, 50 ans, très sympathique. Je lui donne ma carte pro’, il me note sur le registre, en m’emmène au local d’entretien. » Un local présent dans chaque commissariat ou gendarmerie, où les gardés à vue peuvent notamment voir avocats et médecins. L’été est caniculaire, l’air de la pièce est « très très chaud » se rappelle l’homme aux longs cheveux et aux épaules larges :

    « Il me dit : dès que vous en avez marre vous toquez et on va vous ouvrir. »

    L’entretien entre l’avocat et son client commence, ce dernier dit avoir subi de mauvais traitements pendant sa nuit, « et qu’ils sont très très racistes ». Il passe outre. Puis, accablé de chaleur, toque pour sortir. Personne. Le local est doté d’une vitre sans tain :

    « Eux nous voient, nous pas. Mais comme c’est mal isolé, on entend tout. J’entends chuchoter, ricaner. »

    Plusieurs minutes passent. Il commence à tambouriner à la porte. À l’extérieur, il entend seulement : « Taisez-vous ! ». Kada Sadouni hausse le ton et exige que la porte soit ouverte. Ce que les gendarmes font finalement.

    « Trois jeunes, un gabarit imposant. Ils arrivent comme des cow-boys, pour m’intimider. »

    L’homme recule, les agents le tancent. « Je vous entends rire, passer, repasser, discuter, vous n’ouvrez pas. La moindre des choses, c’est de s’excuser », lance-t-il aux pandores, qui appellent leur chef. L’avocat pense qu’il va calmer la situation :

    « Mais, en fait, c’était le pire. C’était un gradé… Il arrive et se colle à mon visage en me hurlant dessus. Je lui dis : “Monsieur, je travaille, j’ai le droit de parler, vos collègues m’ont enfermé”. Il commence à me dire : “Les gens comme vous, je les connais”. Et il ne parlait pas des avocats. »

    Confondu avec un gardé à vue ?

    L’échange se poursuit et s’envenime. Le pandore appelle du renfort, se souvient Kada Sadouni, et plusieurs gendarmes arrivent et bloquent la porte de la petite pièce. « Ce n’était pas rassurant, et je commençais à avoir peur que ça dégénère. » Un jeune agent arrive et filme les faits. Selon Kada Sadouni, l’officier énervé aurait alors lancé :

    « – Vous avez dit qu’on était en France.

    – Et ?
    – Et bien, en France, vous n’êtes pas chez vous. »

    La querelle se calme une fois que l’Officier de police judiciaire (OPJ) revient. Maître Sadouni reçoit des excuses avant de lui expliquer :

    « On m’a dit que j’avais été confondu avec un gardé à vue, et que c’est pour ça qu’ils ne voulaient pas ouvrir. »

    Une raison extrêmement bancale car dans le local d’entretien, il n’y a jamais deux gardés à vue en même temps, le retenu est toujours accompagné soit d’un docteur, soit d’un avocat :

    « Ils sont passés plusieurs fois derrière la vitre sans tain et ils me voyaient bien, en costume, d’autant que j’ai déposé ma carte en arrivant. Je ne crois pas à cette histoire. Et c’est encore pire, et vraiment raciste, s’ils m’ont pris pour un gardé à vue juste parce que j’étais arabe ! »

    L’histoire et ces remarques xénophobes font écho à une précédente enquête de StreetPress sur le racisme envers certains avocats dans la profession et de la part de membres des forces de l’ordre.

    À LIRE AUSSI : Des avocats dénoncent le « tabou » du racisme dans leur profession

    Une plainte

    Malgré l’insistance de ne pas le faire, Kada Sadouni décide de déposer des observations écrites sur l’incident, directement envoyées au procureur comme la loi le permet aux avocats. Le lendemain, son client est auditionné sans lui – ce qui est interdit par une réforme de… juillet 2024. Et, alors qu’il est au tribunal, il reçoit un appel pour une convocation. Un peu plus tard, deux gendarmes l’attendent à son cabinet. Ils lui apprennent qu’il est poursuivi pour « outrage » par le gradé, après que Kada Sadouni lui ait lancé que « même en étant en arabe, je suis sans doute beaucoup plus cultivé que [vous], qui n’[avez] jamais lu un livre ni un texte de la loi française ». Il analyse désormais :

    « C’est vraiment fou. C’est moi qui ai été enfermé, et c’est moi qui l’ai maltraité… C’est moi qui ai été insulté et menacé, et c’est moi qui suis poursuivi… »

    Lui a déposé plainte le 2 décembre pour « séquestration, violences aggravées, injures racistes et discrimination raciale ». Maître Sadouni a reçu le soutien du bâtonnier de Nice, du Syndicat des avocats de France, et des dizaines d’avocats se sont rassemblés en soutien lors de son audition, rappelle Nice-Matin. Il conclut, amer :

    « Dans les commissariats, on me demande ce que je fais là, si je me suis échappé des écrous, ou si je suis convoqué pour une audition, ou alors si je viens porter plainte. Mais, pour eux, je ne suis jamais un avocat… »

    Contacté, le service de communication de la gendarmerie a renvoyé vers le parquet, qui n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress.

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER