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« Il me dit : dès que vous en avez marre vous toquez et on va vous ouvrir. »
L’entretien entre l’avocat et son client commence, ce dernier dit avoir subi de mauvais traitements pendant sa nuit, « et qu’ils sont très très racistes ». Il passe outre. Puis, accablé de chaleur, toque pour sortir. Personne. Le local est doté d’une vitre sans tain :
« Eux nous voient, nous pas. Mais comme c’est mal isolé, on entend tout. J’entends chuchoter, ricaner. »
Plusieurs minutes passent. Il commence à tambouriner à la porte. À l’extérieur, il entend seulement : « Taisez-vous ! ». Kada Sadouni hausse le ton et exige que la porte soit ouverte. Ce que les gendarmes font finalement.
« Trois jeunes, un gabarit imposant. Ils arrivent comme des cow-boys, pour m’intimider. »
L’homme recule, les agents le tancent. « Je vous entends rire, passer, repasser, discuter, vous n’ouvrez pas. La moindre des choses, c’est de s’excuser », lance-t-il aux pandores, qui appellent leur chef. L’avocat pense qu’il va calmer la situation :
« Mais, en fait, c’était le pire. C’était un gradé… Il arrive et se colle à mon visage en me hurlant dessus. Je lui dis : “Monsieur, je travaille, j’ai le droit de parler, vos collègues m’ont enfermé”. Il commence à me dire : “Les gens comme vous, je les connais”. Et il ne parlait pas des avocats. »
Confondu avec un gardé à vue ?
L’échange se poursuit et s’envenime. Le pandore appelle du renfort, se souvient Kada Sadouni, et plusieurs gendarmes arrivent et bloquent la porte de la petite pièce. « Ce n’était pas rassurant, et je commençais à avoir peur que ça dégénère. » Un jeune agent arrive et filme les faits. Selon Kada Sadouni, l’officier énervé aurait alors lancé :
« – Vous avez dit qu’on était en France.
– Et ?– Et bien, en France, vous n’êtes pas chez vous. »
La querelle se calme une fois que l’Officier de police judiciaire (OPJ) revient. Maître Sadouni reçoit des excuses avant de lui expliquer :
« On m’a dit que j’avais été confondu avec un gardé à vue, et que c’est pour ça qu’ils ne voulaient pas ouvrir. »
Une raison extrêmement bancale car dans le local d’entretien, il n’y a jamais deux gardés à vue en même temps, le retenu est toujours accompagné soit d’un docteur, soit d’un avocat :
« Ils sont passés plusieurs fois derrière la vitre sans tain et ils me voyaient bien, en costume, d’autant que j’ai déposé ma carte en arrivant. Je ne crois pas à cette histoire. Et c’est encore pire, et vraiment raciste, s’ils m’ont pris pour un gardé à vue juste parce que j’étais arabe ! »
L’histoire et ces remarques xénophobes font écho à une précédente enquête de StreetPress sur le racisme envers certains avocats dans la profession et de la part de membres des forces de l’ordre.
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Une plainte
Malgré l’insistance de ne pas le faire, Kada Sadouni décide de déposer des observations écrites sur l’incident, directement envoyées au procureur comme la loi le permet aux avocats. Le lendemain, son client est auditionné sans lui – ce qui est interdit par une réforme de… juillet 2024. Et, alors qu’il est au tribunal, il reçoit un appel pour une convocation. Un peu plus tard, deux gendarmes l’attendent à son cabinet. Ils lui apprennent qu’il est poursuivi pour « outrage » par le gradé, après que Kada Sadouni lui ait lancé que « même en étant en arabe, je suis sans doute beaucoup plus cultivé que [vous], qui n’[avez] jamais lu un livre ni un texte de la loi française ». Il analyse désormais :
« C’est vraiment fou. C’est moi qui ai été enfermé, et c’est moi qui l’ai maltraité… C’est moi qui ai été insulté et menacé, et c’est moi qui suis poursuivi… »
Lui a déposé plainte le 2 décembre pour « séquestration, violences aggravées, injures racistes et discrimination raciale ». Maître Sadouni a reçu le soutien du bâtonnier de Nice, du Syndicat des avocats de France, et des dizaines d’avocats se sont rassemblés en soutien lors de son audition, rappelle Nice-Matin. Il conclut, amer :
« Dans les commissariats, on me demande ce que je fais là, si je me suis échappé des écrous, ou si je suis convoqué pour une audition, ou alors si je viens porter plainte. Mais, pour eux, je ne suis jamais un avocat… »
Contacté, le service de communication de la gendarmerie a renvoyé vers le parquet, qui n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress.