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Si Justine Audoin a définitivement laissé ce « monde à part », aux « odeurs particulières » d’« humidité » et de « clope froide », pour la chaleur et les odeurs épicées de ses cuisines, elle reste marquée par son expérience carcérale :
« Je n’ai jamais caché mon parcours. J’en parle à tout le monde. J’ai l’impression de mentir si je le cache. »
La cheffe aime pourtant détourner l’attention et pose autant de questions qu’elle en reçoit. « La seule raison pour laquelle je continue de répondre aux sollicitations des médias c’est pour parler de ça », insiste-t-elle. « Ça » pour la prison pour femme de Fleury-Mérogis et ses « murs des cellules qui suintent d’histoires ». Dont la sienne, qui a basculé après une soirée étudiante.

Justine Audoin est cheffe à Élement Terre, une « cave à manger » du 10e arrondissement de Paris. / Crédits : Louisa Ben
Numéro d’écrou : 433 703
« Quand tu arrives en prison, tout te semble irréel. J’ai passé une semaine à croire que j’étais là par erreur, que j’allais sortir rapidement », confesse Justine :
« La seule raison qui m’a mené en prison, c’est que j’ai été une petite conne. »
Issue d’une bonne famille, Justine est « une prouveuse », analyse-t-elle en commandant un second café. Ses études de droit, puis en art pour devenir commissaire-priseure, se déroulent sans encombre. À 25 ans, elle enchaîne les fêtes, un peu, puis beaucoup. « Je voulais que les gens m’aiment bien. Mon rôle, c’était la fêtarde de service ». Jusqu’à celle de trop. Le 23 décembre 2016, Justine ramène de la MDMA – des amphétamines avec des effets psychotropes – diluée dans une bouteille d’eau en soirée. La concentration de drogue est mortelle. Une jeune fille, Alice, en prend et perd la vie. Une enquête est ouverte et quelques semaines plus tard, Justine est présentée à un juge d’instruction :
« C’était la rentrée universitaire : j’avais un sac pour la prison, un autre avec mon ordinateur pour aller en cours. »
L’étudiante est placée en détention provisoire en attente de son procès au début de l’année 2017. D’abord quatre, puis 12 mois d’attente, enfermée à la prison pour femmes de Fleury-Mérogis (91) avant une audience en janvier 2020. Elle est condamnée à une peine de huit ans pour homicide involontaire.

« C’était la rentrée universitaire : j’avais un sac pour la prison, un autre avec mon ordinateur pour aller en cours. » / Crédits : Louisa Ben
Yoga et gâteau au chocolat
« Mon seul rapport à la prison, c’était la série américaine Orange is the new black », se remémore-t-elle. « Et il y a plein de choses réalistes : ça peut être assez communautariste et il y a un rapport de dominantes. Mais il y a aussi des tranches de vie », souligne Justine. Elle croise, entre les murs, des victimes de violences conjugales, des mules – surnom donné aux personnes payées, forcée ou contraintes de transporter de la drogue à travers une frontière –, « qui se font expulser dès leur sortie ». Et surtout, des femmes précaires. « Une Roumaine a été incarcérée six fois pour des mini vols », s’indigne-t-elle, avant d’ajouter :
« Il y a des histoires tragiques en prison. Moi, c’est une histoire de riche. »
À Fleury, sa présence détonne. « Je cristallisais ce que les autres détenues n’aimaient pas. J’ai fait du Droit donc certaines pensaient que les juges étaient mes potes », lâche-t-elle. « J’ai esquivé quelques baffes. » Enfermée dans sa cellule 9m2, la jeune femme tourne en rond et peine à maîtriser son énergie. « J’ai eu beaucoup d’embrouilles au sujet de l’utilisation des douches parce que je bougeais beaucoup », éclate-t-elle de rire.

« Mon seul rapport à la prison, c’était la série américaine Orange is the new black », se remémore Justine Audoin. / Crédits : Louisa Ben
Pour évacuer, Justine Audoin se focalise sur « une routine millimétrée et militaire » : sport, yoga, rédaction de courriers et surtout, cuisine en cellule. Elle fait des cookies pour ses co-détenues et des gâteaux sans levure, qui est interdite en détention. Pour les ingrédients, il faut cantiner, c’est-à-dire acheter au magasin interne de la prison, selon les disponibilités. Dans sa cellule, elle ne bénéficie que d’un frigo et de plaques électriques pour cuisiner. Les ustensiles, aussi, sont restreints. Alors elle se débrouille. Faute d’instrument pour peser, elle demande à sa sœur les équivalents des dosages en… pot de yaourt. « Ma sœur, c’était mon Google », explique la jeune femme, le téléphone et Internet étant interdits en prison.

En prison, Justine Audoin se focalise sur « une routine millimétrée et militaire » : sport, yoga, rédaction de courriers et surtout, cuisine en cellule. / Crédits : Louisa Ben
Il y a bien un cursus de formation en cuisine prévu pour les détenues. Mais Justine n’y a pas droit, étant toujours « prévenue », c’est-à-dire en attente de son procès. Peu importe. Dès qu’elle le peut, elle assène de questions la formatrice du cursus Cuisine Mode d’emploi du chef Thierry Marx. « Je lui demandais par exemple quel gâteau on peut faire à la poêle », s’amuse Justine.
« Cuisiner en prison m’a appris à m’adapter »
Après trois ans et huit mois passés derrière les barreaux, dont la majorité en détention provisoire, sa peine est enfin aménageable : elle sort sous bracelet électronique, le 18 août 2020. Justine prend le chemin de l’école de cuisine dédiée aux personnes éloignées de l’emploi du chef Thierry Marx, découverte en détention. Insatiable, elle donne aussi des cours d’origami à l’association de réinsertion Wake Up Café. C’est là qu’elle croise la route de Sofiane Sadi Haddad, chef à Babel, un restaurant de Belleville, dans le 20ème arrondissement de Paris. Le cuisinier la choisit comme sous-chef dans son restaurant :
« J’ai senti quelqu’un de déterminé, de consciencieux et de déjà très pro’. J’ai appris plus tard qu’elle n’avait aucune expérience. »
« Cuisiner en prison m’a appris à m’adapter », lance Justine. « Même quand le four est tombé en panne un samedi après-midi, j’ai toujours des astuces. » Sans prendre de repos, elle poursuit sa carrière dans différents bistrots parisiens où elle affine son style : de la bistronomie généreuse. Elle préfère côtoyer la nouvelle génération, moins toxique selon elle : « En cuisine, on boit plus du matcha que des traces de coke. »
Aux parents de la victime, Justine a écrit une longue lettre d’excuse depuis sa cellule. Elle n’a jamais eu de réponse, explique-t-elle en se tordant les mains. « Peu importe où j’en suis aujourd’hui, je ne peux pas oublier qu’une fille est morte. »
« La prison a été l’électrochoc dont elle avait besoin pour sortir de la spirale dans laquelle elle était », analyse sa sœur cadette Agathe, elle-même devenue sous-cheffe à Hossegor, dans les Landes. « Elle a toujours bien aimé cuisiner quand on était petites, mais ça restait toujours dans la sphère privée. Je n’aurais jamais pensé que ça irait si loin ! » Justine Audoin admet :
« J’ai une histoire un peu bling-bling qui n’est pas représentative des personnes en prison. Celles qui sont vraiment dans la merde, on n’en parle jamais. »

Condamnée pour homicide involontaire, Justine Audoin découvre une passion pour la cuisine depuis sa cellule de prison de Fleury-Mérogis. Elle est aujourd’hui cheffe dans un bistrot parisien. / Crédits : Louisa Ben