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    12/06/2025

    « Il est sorti de la maison tout propre, il est revenu défiguré »

    Cocard, fracture et luxation : la police municipale de Bezons accusée de violences et contrôles abusifs

    Par Vincent Victor

    Plusieurs jeunes, dont un mineur, accusent des policiers municipaux de Bezons (95) de les avoir violentés et menacés. Sur fond de contrôles abusifs et de tensions, trois plaintes ont été déposées en une semaine.

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    « Tôt ou tard, il y aura une bavure, un enfant qui va succomber aux coups. » Au téléphone, Isabelle (1) craint pour son fils violenté par des agents de la police municipale de Bezons (95). En une semaine, trois plaintes ont été déposées contre la brigade, composée seulement d’une douzaine d’agents.

    Le 1er mai dernier, dans le cœur-de-ville de la petite commune à la frontière du Val-d’Oise, Avon (1), 23 ans, est contrôlé par quatre policiers municipaux au seul motif, d’après lui, d’avoir posé le pied sur un des bancs publics jouxtant l’Hôtel de ville. « Il me dit : “Viens-là, toi, on va te contrôler.” Je lui demande pour quel motif, il me répond : “Comme ça, parce ce que j’en ai envie.” », relate autour d’un café le jeune apprenti dans la grande distribution. Un contrôle hors des attributions d’un agent de police municipale, que le quatuor aurait pourtant pris l’habitude de faire, selon de nombreux témoignages recueillis par StreetPress.

    Face à cette vérification qu’il considère abusive, Avon refuse. L’agent « chauve », un brigadier-chef principal intégré dans l’effectif en fin d’année dernière, l’aurait alors attrapé par le cou et jeté au sol. « Je leur dit à plusieurs reprises que je n’arrive pas à respirer, je demande de l’aide, je n’avais plus aucun souffle », continue Avon. Tandis qu’il se débat, un second agent lui aurait fait une clé d’étranglement et un troisième l’aurait aspergé de gaz lacrymogène au visage. Placé à l’arrière du véhicule de police municipale, Avon dit avoir reçu plusieurs coups de poing au ventre et au visage de la part du brigadier-chef et d’un agent noir « costaud » qui l’entouraient, alors qu’il était menotté dans le dos. Les violences auraient duré près d’une dizaine de minutes, jusqu’à leur arrivée au commissariat d’Argenteuil. Il se souvient :

    « Je faisais semblant d’être sonné pour qu’ils arrêtent de me frapper. »

    Son certificat médical, établi deux jours plus tard au centre médical de Colombes (92) et consulté par StreetPress, constate outre de multiples douleurs, une luxation de la mâchoire, un « œdème de l’hémiface » (la moitié du visage) et une « hémorragie conjonctivale », donnant à son œil droit une couleur rougeâtre. « Il est sorti de la maison tout propre, tout bien, il est revenu défiguré », témoigne sa mère Hélène (1). Selon Avon, le « costaud » l’aurait insulté et menacé de lui mettre « un coup de gazeuse dans la bouche ». Le groupe l’aurait aussi menacé de lui « briser les os » la prochaine fois et qu’ils allaient « attraper son pote ».

    Des violences en pagaille

    « Son pote », c’est Adrian (1). Le jeune homme de 18 ans accuse trois policiers du même équipage de l’avoir également violenté, quatre jours plus tôt, sur le parking d’une résidence où le groupe d’amis a pris ses habitudes. Dans sa plainte, consultée par StreetPress, il accuse le policier qui effectuait une palpation de sécurité — illégale hors crime ou délit flagrant — de lui avoir donné plusieurs coups de poing dans le ventre. Une version corroborée par le témoignage d’une connaissance qui a assisté à la scène, précisant qu’Adrian n’a montré « aucun signe de refus ou de violence ». Les trois policiers auraient ensuite poussé et frappé Adrian au sol, déchiré sa veste, et écrasé du pied sa main droite, qui a fortement enflé. Pourtant, le jeune homme est laissé sur place par le trio, sans interpellation ni appel des secours. Amené le surlendemain aux urgences, les médecins ont constaté une fracture du quatrième métacarpien – à la main.

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    Photo de la main droite d’Adrian le 27 avril, après le départ des agents et radiographie du 29 avril qui montre la fracture. / Crédits : DR

    Le soir du 1er mai, le trio d’agents recherche à nouveau Adrian pour l’arrêter. Ils le soupçonnent cette fois d’avoir cassé le rétroviseur d’un de leurs véhicules en représailles à l’interpellation d’Avon quelques heures plus tôt. Des dégradations qu’il nie. Sur le trajet jusqu’au commissariat d’Argenteuil (95), Adrian dénonce des violences similaires de celles vécues par son camarade dans la même soirée. Alors qu’il est également menotté dans le dos, les fonctionnaires se seraient arrêtés à deux reprises pour le frapper au visage jusqu’à, d’après sa plainte, lui faire perdre connaissance. Des faits qu’il a immédiatement dénoncés dans ses auditions. Son visage enflé est remarqué par Avon, qu’il croise au commissariat, puis découvert par sa mère et sa sœur, Kelly, alors qu’il est déféré au tribunal de Pontoise (95). Cette dernière se souvient :

    « Je l’ai vu descendre du véhicule, il avait le visage tuméfié et un œil au beurre noir. Je me suis effondré. Et ma maman, elle était dans un état… »

    Aucune photo de son visage n’aurait pourtant été prise au cours de la garde à vue. Certaines, prises cinq jours après les faits, montrent sa pommette encore enflée. À son procès en comparution immédiate, le 6 mai, la juge se serait également étonnée de la disparition dans la procédure de son certificat médical, rapporte sa sœur. S’il est condamné à des travaux d’intérêt généraux avec un autre homme pour les dégradations reprochées, la justice le relaxe des faits de rébellion dont l’accusait également les policiers municipaux. Trois semaines après les faits, cinq semaines d’incapacité totale de travail lui sont attribuées pour sa fracture à la main. Un choc post-traumatique est également diagnostiqué au jeune homme qui, d’après sa sœur, ne dort plus la nuit.

    Le lundi 5 mai, c’est un autre équipage qui est intervenu sur une bagarre entre élèves devant le collège Gabriel Péri. Un des spectateurs, un mineur de 15 ans en rémission d’une tumeur osseuse à la jambe, est rattrapé, pris par le col et balayé au sol. Là, un des policiers aurait comprimé avec son genou la jambe opérée de l’adolescent pour le maintenir à terre. Selon ses proches, le mineur aurait ensuite été insulté et menacé, enfermé dans le véhicule de police municipale puis relâché sans même être contrôlé par les agents qui, d’après lui, auraient également refusé de prévenir ses parents.

    À la suite de l’intervention, l’adolescent est « blanc comme un linge », décrit son entourage. Le geste lui laisse un engourdissement de la jambe et une boiterie « comme après l’opération », ce qui lui vaut sept jours d’incapacité totale de travail. Là encore, une plainte est déposée et la mairie est prévenue des faits par les familles.

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    Plusieurs jeunes, dont un mineur, accusent des policiers municipaux de Bezons (95) de les avoir violentés et menacés. / Crédits : DR

    Opérations anti-stups et maintien de l’ordre

    Depuis la réduction des effectifs du commissariat de police nationale et son rattachement à celui d’Argenteuil en 2015, les municipalités Parti communiste français, puis Parti socialiste, ont fait reposer sur leurs agents leurs promesses sécuritaires. Dès le début de la nouvelle mandature, en 2020, le pistolet semi-automatique a rejoint leur arsenal de « pistolet à impulsion électrique, bâton de défense, et lanceur de balle de défense », liste le magazine de la municipalité. Dans ses pages, les agents municipaux posent en gilets pare-balles, arme à la ceinture et képi sur la tête, et ressemblent à s’y méprendre à leurs homologues nationaux. Sans crainte de rajouter à la confusion, la mairie fait régulièrement participer ses agents aux côtés de la nationale et du préfet du Val-d’Oise à des « opérations de sécurisation » ou de « lutte contre les stupéfiants », fièrement communiquées sur les réseaux sociaux.

    Le soir du 31 mai, après la victoire du PSG en finale de la Ligue des Champions, ils étaient en pleine opération de maintien de l’ordre avec casques et boucliers, une mission pourtant formellement interdite aux policiers municipaux (2). Sur une vidéo captée à proximité de la mairie, on peut identifier à la main d’un des policiers municipaux casqué un flashball de modèle Verney-Carron Super Pro 2. Une arme « dédiée exclusivement aux professionnels et aux différentes forces étant confrontées à des opérations de maintien de l’ordre, de sécurisation de zones et de gestion démocratique des foules », indique la brochure du fabricant.

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    Le soir du 31 mai, après la victoire du PSG en finale de la Ligue des Champions, ils étaient en pleine opération de maintien de l’ordre avec casques et boucliers, une mission pourtant formellement interdite aux policiers municipaux (2). Sur une vidéo captée à proximité de la mairie, on peut identifier à la main d’un des policiers municipaux casqué un flashball de modèle Verney-Carron Super Pro 2. / Crédits : Capture d'écran

    Kelly, la sœur d’Adrian, « redoute le pire » entre les jeunes qui « se sentent incompris » et les policiers municipaux armés. Avec sa mère et plusieurs autres parents, l’élève-avocate de 28 ans multiplie les demandes auprès de la mairie pour mettre en retrait les trois agents le temps de l’enquête judiciaire et ainsi espérer apaiser la situation. Une marche est également envisagée pour interpeller la municipalité. Elle réclame :

    « Tout ce que je veux, c’est que les jeunes soient en sécurité dans la commune et que les policiers soient sanctionnés pour ce qu’ils ont fait. »

    « Ils vont avoir le cœur dur, ils vont être aigris, ça les pousse à faire des trucs pas bien », craint la mère d’Avon. Son fils est convoqué devant le procureur l’année prochaine pour rébellion. Selon nos informations, la mairie aurait mis fin au contrat d’un des policiers mis en cause. Les autres agents seraient toujours en poste.

    (1) Les prénoms ont été changés.

    (2) Comme pour toutes les polices municipales, la Convention de coordination entre la police municipale de Bezons et la police nationale comporte la mention obligatoire : « En aucun cas, il ne peut être confié à la police municipale de mission de maintien de l’ordre. »

    Photo de Une issue du magazine de la municipalité de Bezons.